L’actualité politique burkinabè est ces derniers temps dominée par les charges verbales entre le parti au pouvoir et l’opposition politique. Avec des formules chocs, l’on ne manque pas de génie verbal dans chaque camp pour jeter l’anathème sur l’autre. Si fait qu’en quelques jours, le ton est monté d’un cran entre les deux pôles politiques. Mais à cette allure, il faut vraiment redouter que nos politiciens ne se trompent vraiment de débat et de combat. Car il faut bien se poser cette question : que gagnent les Burkinabè dans cette bagarre à coup de discours pamphlétaires entre pouvoir et opposition ? L’essentiel pour le bien commun des Burkinabè n’est-il pas ailleurs ? La classe politique burkinabè est plus que jamais en mode croc-en-jamberie avec d’aigres discours courageusement jusqu’auboutistes qui riment à bien des égards à de la diversion et à de la déraison politique.
Une entente comme chien et chat, c’est ce qui se constate ces derniers temps dans les relations entre la majorité au pouvoir et l’opposition politique au Burkina Faso. Déjà dans un contexte d’âpres discussions sur le phénomène de l’insécurité qui donne du fil à retordre à nos forces sécuritaires et sur la grogne syndicale qui ne s’essouffle pas, les anathématisations systématiques et les dénégations véhémentes sur fond de mémorandum et de déclarations entre les deux pôles politiques sont venues envenimer davantage le climat sociopolitique.
La traine dont le pouvoir a fait preuve dans la concrétisation de sa promesse de remaniement gouvernemental a également donné lieu à toutes sortes d’interprétations tranchées. Et bien qu’ayant trainé pendant deux mois, le pouvoir n’a pas pu faire une recomposition gouvernementale à même d’estomper le doute et la méfiance de la population à son égard. Comme un jeu de chaises musicales, la configuration du nouveau gouvernement semble ne pas faire rêver bon nombre de Burkinabè. Et les discours, eux, se raidissent de plus en plus.
Dans ce forum, chaque camp, pouvoir comme opposition, défend la raison qui est la sienne. Du mémorandum « Une année de perdue pour le Burkina Faso » de l’opposition, à la réplique du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) au pouvoir, le jugement et les mises en cause sont à l’emporte-pièce, sans concession. Chaque camp accuse l’autre d’être le sicaire des intérêts du peuple burkinabè.
Les crocs-en-jambe comme mode de gouvernance
Dans une logique de « tout est permis en politique », les politiciens du Burkina Faso rivalisent âprement de subterfuges pour se disqualifier en termes de légitimité et de légalité dans la conduite de l’Etat. Ce qui est à l’origine d’un malaise sociopolitique qui rabaisse le débat démocratique, en même temps qu’il a un effet domino sur l’économie et le développement social des Burkinabè.
Comme des usurpateurs authentiques, politiciens du pouvoir et de l’opposition semblent ne pas avoir dans leurs têtes les vraies préoccupations de ceux au nom desquels ils mènent leur activisme politique. C’est pourquoi tous les coups sont permis pour dénier à l’autre sa capacité de contribuer à la bonne marche de l’Etat.
Mais que peut rapporter vraiment un combat politique qui au lieu de se fonder sur des canons éthiques et républicains respectueux du bien commun, s’enlise dans l’emploi des coups bas de façon outrancière ?
A l’analyse du climat politique en cours, l’on est bien loin de cette conception de la politique comme débat d’idées cohérentes pour s’entraider au nom de l’intérêt national commun et pour améliorer la bonne gouvernance. On dirait que dans chaque camp, il y a ce syndrome du « Peul lépreux qui ne peut pas attraper la calebasse de lait, mais peut et est prêt à le renverser »…
L’on raconte que sous la 1ere République présidée par Maurice Yaméogo, c’est ainsi que son opposant Joseph Ouedraogo alias Jo Ouéder s’était surnommé, manifestant par ricochet toute son opposition au pouvoir en place. La suite, on la connait… Et les historiens et les contemporains de cette période sont unanimes sur le rôle crucial que le « Peul lépreux » de la 1ere République a joué dans la chute du premier président de la Haute Volta indépendante.
Depuis, cet esprit malin qui amène souvent le politicien à penser individuel au lieu de penser collectif n’a jamais quitté le landerneau politique burkinabè. Bien entendu, cet esprit est observable encore de nos jours dans les propos et les comportements de nos hommes politiques. L’on remarque aisément, en tout cas, cette attitude qui consiste à louvoyer le monde en noir et blanc.
Dans le mémorandum de l’opposition, les titres comme « une vision invisible », « une réelle difficulté à incarner la fonction », « du tricéphalisme à l’affrontement », pour ne citer que ceux-là, développent une rhétorique sévère sans concession par rapport au leadership du président du Faso. En compulsant ce document produit par l’opposition, l’on constate qu’un peu partout, la règle n’est autre que cette critique acrimonieuse.
Après avoir dénoncé « une gouvernance politique chaotique », les partis de l’opposition n’ont pas manqué de boulets rouges pour tirer sur des domaines régaliens « en jachère » (réconciliation nationale, justice, sécurité, diplomatie…) et sur les gouvernances économique, administrative et sociale où le pouvoir ne conjuguerait que des ratés. Une critique totalitaire pourrait-on dire… Et dans ce cas, au lieu d’être une force de construction de la gouvernance démocratique, elle devient plutôt une faiblesse.
L’on constate malheureusement qu’au niveau du pouvoir, les fifres jouent les mêmes travers. La réplique du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) à l’opposition a effectivement pris la même allure totalitaire du mémorandum. Alors, un ping-pong verbal, une réponse du tic au tac où la logique n’est autre que de tacler, de croc-en-jamber pour faire tomber. Et dans la déclaration du « Secrétariat à l’Information et à la Communication du MPP », les exemples se comptent à foison.
« L’attelage hybride, contre-nature et funeste UPC, ADF/RDA, CDP, NAFA et comparses regroupés au sein d’une pseudo-opposition, après le désaveu des urnes, dévoile par voie de presse ses allures putschistes. En effet, dénué de programme, rongé par l’amertume de la déroute électorale, ce club de politiciens revanchards vient de répandre leur bile sur la République, ses institutions et ses nobles serviteurs. » Le ton ainsi donné dès le commencement de la déclaration est resté tel jusqu’à la fin.
Les anciennes alliances entre décomposition et recomposition pour se contester
Rien qu’à analyser les clashes verbaux entre les deux camps, en cours, tout porte à croire que la logique des camps politiques est de se bouffer le nez sans concession. Chose intéressante dans cette histoire, d’une part, la rivalité met aux prises ceux-là mêmes qui s’étaient bien ligués pour chasser Blaise Compaoré et son système. Ce sont eux qui se retournent les uns contre les autres pour se disqualifier. Chacun est prêt à mettre son intelligence politique en aiguisage pour trouver des ruses pour bien nuire à l’autre.
La déchéance de Blaise Compaoré, désormais, est loin d’être ce patrimoine commun. D’autre part, l’on observe que les déchus du système de la compaorose sont dorénavant dans les amours des perdants des élections du 29 novembre 2015. Une alchimie de partis politiques qui n’est pas sans peine pour se souder et constituer une opposition républicaine digne de ce nom.
Que de lézardes politiques, que de calculs politiciens qui risquent fort bien d’emmener notre classe politique à verser seulement dans d’aigres rivalités stériles et, par ce coup, oublier la nécessité d’une certaine complicité patriotique pour refonder la gouvernance au Burkina Faso et faire d’elle un véritable tremplin de conscientisation et de participation citoyennes pour hâter l’avènement du bien-être tant souhaité par les Burkinabè depuis des lustres. Il y a nécessité que l’intérêt commun prévale sur ceux personnels ou d’officines.
Gare à la politicardise de la veille garde politicienne
L’appréciation des agitations politiques actuelles peut donner des comparaisons fort intéressantes avec le passé. Le parallélisme peut se faire avec la Haute-Volta de l’époque de l’indépendance où le personnel politique avait la responsabilité historique d’incarner une vision noble pour jeter les bases d’un Etat à même d’assumer ses réalités et réussir son développement.
Ce qui ne fut pas le cas. S’entre-déchirant par toutes sortes de coups tordus pour se hisser à la tête de l’Etat, leur goût de l’opportunisme avec pour seule ambition d’avoir le pouvoir pour en jouir ne leur a pas permis d’être à la hauteur d’une architecture politique et socio-économique pour tracer les premiers sillons d’un éveil authentique du peuple voltaïque et d’un développement.
L’appel à la création d’une économie par certains politiques est resté un vœu pieux, sans matérialité, jusqu’à ce que la première République soit vouée aux gémonies par le soulèvement populaire du 03 janvier 1966. La profession de foi de Ouézzin Daniel Coulibaly – « nous revendiquons le droit de trouver par nous-mêmes les solutions à assurer dans le calme, l’évolution de notre pays » – n’a pas trouvé d’écho au sein des bonzes politiques de l’époque.
Le deuxième parallélisme. A l’orée de la Révolution démocratique et populaire (RDP), et même pendant, les rapports houleux et de disqualification entre les différentes organisations politiques, conjugués aux plans individualistes ont constitué un nid combien fertile aux intrigues et aux conspirations, ce qui a conduit à l’éviction sanglante de Thomas Sankara et à la fin précoce d’une expérience qui pouvait être une des prémisses d’un développement authentique du pays.
Sous la Rectification et la IVe République, l’opportunisme et l’individualisme ont été de véritables cancers de la bonne gouvernance et du développement de par la corruption, la gabegie, les détournements de deniers publics, la fraude, les assassinats politiques qu’ils ont créés. Et c’est certainement cette conception de considérer la politique comme un moyen de réalisation personnelle et non comme un service du peuple qui a conduit le pays dans la situation actuelle où il stagne sans prendre de l’envol de façon décisive.
Les hommes politiques à l’épreuve d’un nouveau rendez-vous avec l’Histoire
Le personnel politique actuel du Burkina Faso post-insurrectionnel doit se garder d’être amnésique et comprendre enfin qu’il a un nouveau rendez-vous avec l’Histoire. L’urgence présentement est d’honorer ce rendez-vous capital afin d’étancher la soif de démocratie et de développement des Burkinabè. Laurent Kilachiu Bado disait que « la force d’une société est faite de la conscience qu’elle a de son passé qui détermine et conditionne la confiance qu’elle a en son avenir ».
A ce niveau se situe la responsabilité de nos politiques actuels, appelés à être les porte-étendards ou les ferments de cette conscience et de cette confiance en l’avenir. C’est une condition sine qua non pour réussir la gouvernance post-Transition.
L’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 est certes un désaveu cinglant d’un système qui était devenu oppressif, mais elle est surtout la manifestation de tout un espoir en des lendemains qui chantent bonne gouvernance et développement. La responsabilité de nos politiques actuels à ne pas faire de l’insurrection et de la transition une victoire à la Pyrrhus est engagée. Ce qui commande qu’ils transcendent leurs egos et leurs intérêts immédiats pour étudier et planifier l’opérationnalisation de leurs idéaux (s’ils en ont vraiment) au profit des Burkinabè, sans oublier que comme Sénèque le disait : « Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va ».
En tout cas, nous sommes dans une situation de crise qui interpelle vraiment. La désaffection de la population vis-à-vis des gouvernants, le printemps syndical, l’insécurité galopante, la persistance de l’incivisme…sont autant de situations qui interpellent qu’il faut se concerter pour travailler ensemble au nom de l’intérêt national plutôt que de se paralyser par des oppositions stériles. C’est pourquoi il est plus que jamais urgent de refonder l’Etat sur des références respectueuses de l’identité en laquelle se décode le nom Burkina Faso qui du reste constitue tout un programme de gouvernance et de développement durable.
Les leaders politiques burkinabè pourront-ils faire abstraction de leur entente comme chien et chat pour s’inscrire dans la dynamique souhaitée ? Ils ont la lourde et historique responsabilité de le faire. Sinon, leurs entreprises politiques vont encore battre la breloque comme leurs devanciers. Et ce sera vraiment dommage ! « Ceux qui ne se souviennent pas de leur passé sont condamnés à le revivre » (George SANTANAYA). A bon entendeur, salut messieurs les politiques du pouvoir et de l’opposition.
K. Marcel Marie Anselme LALSAGA (KAMMANL)
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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