Se traiter mutuellement d’esclaves, prendre en otage un cadavre ou l’enduire de cendres sans que ses parents ne bronchent, s’échanger des propos qui pourraient paraitre discourtois pour un profane. Dans les sociétés africaines et singulièrement burkinabè ce sont des scènes auxquelles on assiste régulièrement. Le fondement de cette pratique, c’est l’alliance ou la parenté à plaisanterie. Héritage ancestral sauvegardé et qui a toujours constitué un amortisseur social.
Elles leur ont permis et permettront encore de maintenir la paix entre les peuples à travers des générations et des siècles, écrit Jacques Chevrier du centre d’études Francophones à Paris IV Sorbonne, dans « Alliances et parentés à plaisanterie au Burkina Faso : Mécanisme de fonctionnement et avenir », de Alain Joseph Sissao.
Moyens d’instaurer la paix, l’entraide, la solidarité inter-ethnique, et interpersonnelle, les alliances et parentés à plaisanterie sont aussi et surtout un moyen de catharsis social.
Le terme d’alliances à plaisanterie a été introduit dans la littérature ethnographique par R . H Lowie en 1912 sous la forme anglaise de « Joking Relationship » pour traduire un terme employé par les indiens des plaines de l’Amérique du Nord.
Le terme désignait alors, note Alain Joseph Sissao, un certain type de conduites verbales, voire gestuelles très libres touchant à l’obscénité vis-à-vis d’individus de même clan et avec lesquels se trouvaient établies des relations familiales précises.
Cette valeur est un acquis des peuples à tradition orale. Les plaisanteries se placent à plusieurs niveaux. Familial, clanique, inter-ethnique, interrégional… Ainsi sous nos cieux, cette pratique est courante pratiquement entre toutes les ethnies.
Le groupe Moaga plaisante par exemple avec les San (dans la région de Tougan, Toma) et les Samogo (dans les régions de Samogohiri, Samorogouan). Les Moose du Yatenga plaisantent avec les Gulmance. Les Gulmance eux plaisantent avec les Kotokoli du Togo, les Yaadse, les Djerma du Niger et les Dagomba du Ghana. Les Bobo quant à eux plaisantent avec les peuls. Les Senufo avec les Marka. Les Dafing et les Dagara. Les Dafing plaisantent avec les peuls, Bobo, dioula, Bwaba ; les Bwaba avec les Vigué, peuls, Dafing.
Egalement, de façon générale, les peuples du sud-ouest du Burkina Faso (Dagara, Lobi, Gan, Djan, Puguli, Birifor) plaisantent avec les peuples de la Comoé et du Kénédougou (Turka, Cerma, Karaboro, Senufo, Siamu). Spécifiquement, les gans, plaisantent avec les Dafing, Cerma, Bobo, Bwaba.
De leur côté, les Birifor ont pour alliés à plaisanterie les Lobi, Cerma, Dafing. Les Lobi plaisantent avec les Cerma, Birifor , Dioula. Les Gurunsi avec les Bissa ; les Kassena avec les Djerma ; les Kô avec les peuls, Bisa, Lagana, Djerma ; les Dioula avec les Lobi.
Les peuls, une fois de plus, plaisantent avec les Bobo, Yarse, Bambara, Maransé, Dioussambé. Les Yana avec les Zoose ; les Fulse avec les Gurunsi, Bisa, Gulmance ; les Dogon avec les Bozos. Les Toussian, Turka. Les Siamu plaisantent avec les Cerma ; les Sénoufo avec les Dafing, Dagara, Lobi ; les Bolon avec les Dagara.
On peut également noter des alliances entre régions. Les ressortissants du Ganzourgou‘’ ne laissent » pas ceux du Kouritenga notamment Koupèla.
Le dolo, l’arachide, la tête de chien, le riz, le sable, la sorcellerie, l’esclavage sont autant d’expressions que l’on utilise pour identifier son parent à plaisanterie.
Tout n’est pas permis
Si les alliances et parentés à plaisanterie ont traversé le temps et s’imposent toujours comme une valeur sûre, c’est parce que les choses ne sont pas faites ‘’au hasard ». Il ya des garde-fous.
Ainsi, on ne fera pas la cour à la femme d’un autre, fut-il parent à plaisanterie. L’adultère est prohibé. Aussi, les insultes sur les défauts physiques de la mère ne sont pas admises. Il est formellement interdit aussi de saigner.
Même la modernité n’a pas eu raison des Alliances et parentés à plaisanterie, dans certains milieux. Quand intervient un différend entre parents à plaisanterie, au lieu de recourir aux tribunaux du ‘’blanc », cela se résout souvent avec les leviers de ce lien ancestral.
« Dans un monde où, on nous le répète chaque jour, les identités sont de plus en plus menacées par toutes les formes de la modernité, cette prise en compte des mécanismes de régulations sociaux inscrits dans la tradition apparait donc comme un gage d’équilibre et de stabilité (…) », relève Jacques Chevrier du centre d’études Francophones.
Tiga Cheick Sawadogo
Lefaso.net
Source : « Alliances et parentés à plaisanterie au Burkina Faso : Mécanisme de fonctionnement et avenir », de Alain Joseph Sissao
Source: LeFaso.net
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