L’offensive se poursuit pour la Coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale (CODER) qui multiplie « les initiatives qui peuvent conduire au pardon, à la justice et à la réconciliation nationale ». C’est dans cet élan qu’elle a sonné la mobilisation autour d’une conférence publique pour interroger les valeurs traditionnelles dans la dynamique de la réconciliation et de l’unité nationales. L’activité a eu lieu dans la soirée de jeudi, 22 décembre 2016 à Ouagadougou avec pour principal orateur, Pr Albert Ouédraogo, enseignant de Littérature orale africaine à l’Université de Ouagadougou.

« La figure du Weemba ou le sens de la grâce royale chez les Moosé ». C’est sur ce thème que le Pr Albert Ouédraogo a entretenu son public après un instant d’exécution de l’hymne national et une minute de silence observée « en la mémoire des martyrs ». Puis, il va décortiquer le sujet en faisant observer qu’on ne peut pas vivre ensemble sans qu’il y ait des conflits qui, selon lui, font d’ailleurs partie du vivre-ensemble. La tolérance, le pardon sont des valeurs incontournables pour la construction d’une société.


‘’Celui qui refuse le pardon se soustrait de l’humanité et devient un montre. Refuser le pardon, c’est se mettre à la place de Dieu car, seul Dieu ne se trompe pas ‘’, estime Pr Albert Ouédraogo. Il poursuit en ajoutant : « Les forts d’aujourd’hui sont les faibles de demain, les faibles d’aujourd’hui sont les forts de demain ». La justice n’est pas une finalité, c’est un moyen et la justice doit être au service de la cohésion sociale.

A en croire Pr Ouédraogo, la « weemba » est une figure de la tradition des Moose qui consiste à ce qu’une femme, au départ, puisse être celle-là qui soit capable d’intercéder auprès du roi pour demander la grâce royale.

Dans la société traditionnelle, poursuit-il, le roi était à la fois l’exécutif, le judiciaire et même le législatif. « Donc, lorsqu’il jugeait et condamnait certaines personnes à mort, il n’y avait plus rien à faire, plus de recours, le seul recours possible reste la weemba qui vient et qui implore la grâce du roi qui a obligation de donner suite favorable à cette grâce et celui qui est condamné et qui est libéré est réintégré dans la société et continue de vivre avec la bénédiction et la protection de la weemba », indique le conférencier.

Dans son développement, l’enseignant de Littéraire orale africaine a démontré que la weemba, en tant que figure emblématique de demande de la grâce royale, a quelque chose d’assez particulière dans la société (traditionnelle) que la société moderne n’en a pas ; la société moderne ayant souvent une « justice punitive et vindicative, qui sait sanctionner mais qui ne sait pas souvent réconcilier ».


« Après la justice, qu’est-ce qu’il faut faire maintenant ? La justice n’étant pas une fin en soi, il faut savoir aller au-delà. Et après la question de la réconciliation qui vient avec ou sans la justice qui permet de faire en sorte que lorsqu’on vit ensemble, on est souvent dans une situation de belligérance. Lorsque le conflit est grave et massif, la justice traditionnelle est disqualifiée pour pouvoir connaître de tous les dossiers et c’est pourquoi est-il bien de s’inscrire dans quelque chose d’assez exceptionnel telle que la justice transitionnelle que l’on a retrouvé en Afrique du Sud, au sortir de la deuxième guerre mondiale en Europe, etc. », illustre Pr Ouédraogo. De son avis, le Burkina aussi qui a traversé sa zone de turbulences devrait avoir les ressources pour pouvoir aller plus loin et ne pas se laisser tétaniser par son passé ; les grandes crises forgeant les grandes nations.

« Cette conférence est donc une façon de se replonger dans nos racines parce qu’on a souvent tendance à avoir la tête dans les étoiles et on oublie que nos pieds doivent plonger dans nos racines. Le Burkina est un pays qui plonge ses racines plus de 60 cultures traditionnelles et il est bon de ne pas l’oublier. Souvent, notre démocratie se construit en oubliant qu’il faut un fondement, si nous oublions les fondements, nous serons ballotés par tous les vents contraires », dit le conférencier, invitant à s’inspirer de cette pratique de weemba.

« On dit que la justice est rendue au nom du peuple, de quel peuple s’agit-il ? »


« Vous savez bien que notre société a mal à sa justice ; les Burkinabè, depuis longtemps, n’ont pas confiance en leur justice. On a fait des critiques, des réformes, des ateliers mais on a l’impression que la justice (moderne) est une greffe qui ne prend pas. Qu’est-ce qui se passe ? D’abord, la justice ne parle pas la langue des Burkinabè (les rendus ne se font pas dans les langues nationales). Or, on dit que la justice est rendue au nom du peuple, de quel peuple s’agit-il ? Quelque part, nous devrions avoir le courage de revisiter notre culture, voir comment nous pouvons ressortir des choses de notre culture pour construire la démocratie et notre vivre-ensemble », relève Albert Ouédraogo pour qui, en tablant sur ce thème, il s’agit de faire comprendre que la femme dans la société est plus apte à amener à la réconciliation. En claire, il est demandé à la femme de jouer ce rôle légué par leurs grands-mères, leur mère et leurs ancêtres.


A l’issue de la communication, le président de la CODER, Dr Ablassé Ouédraogo, a confié être comblé et pour lui, en invitant le Professeur Albert Ouédraogo sur ce thème, il s’agit de dire aux Burkinabè que, tout comme les autres grandes nations, « le Burkina qui traverse actuellement une crise trouvera les ressources et le ressort nécessaire pour s’en sortir ».

« Nous disons qu’au Burkina, nous avons des valeurs traditionnelles dont les Burkinabè doivent s’inspirer pour résoudre leurs problèmes au niveau de la justice, de la réconciliation, de l’unité nationales », convainc l’ancien chef à l’organisation du CFOP-BF (Chef de file de l’opposition politique au Burkina-Faso) aux temps forts de la lutte contre l’article 37.

La CODER envisage parcourir les douze autres régions du pays et identifier dans chacune d’elle, un « éminent conférencier » pour exposer sur comment dans ces localités, les problèmes de justice, de pardon, de réconciliation nationale étaient réglés. « Il est clair que le Burkina ne s’en sortira de cette crise, ne se relancera, que si tous les Burkinabè acceptent de se pardonner, de se réconcilier entre eux, parce que, c’est simplement quand nous sommes unis que nous sommes forts. Et nous avons, au niveau de la CODER, un plan d’activités que nous sommes en train de dérouler », dévoile Dr Ablassé Ouédraogo, rappelant qu’il y a quelques jours, la structure a été reçue par le Cardinal (Philippe Ouédraogo) « qui nous a dit ceci : pour faire de la réconciliation, il faut que vous soyez assis ensemble et vous regarder dans la même direction ». Ces propos du Cardinal ont été, note-t-il, soutenus par Pr Albert Ouédraogo qui a ajouté que la justice à laquelle nombre de gens s’accrochent, « et nous sommes tous d’accord qu’il ne peut pas y avoir de réconciliation, si les problèmes de justice ne sont pas réglés », n’est qu’un moyen ; l’ultime finalité étant la réconciliation de tous les Burkinabè.

« Et c’est cela que nous disons au Président du Faso, qu’il devrait écouter le cri de cœur des Burkinabè et initié sans délai, le dialogue inclusif, ce que lui-même a appelé à Madagascar, le dialogue social, pour permettre aux Burkinabè de s’asseoir, de se regarder et d’aller vers une véritable réconciliation nationale. C’est la seule voie qui donnera à notre pays, les chances, les possibilités, les forces de se relancer et nous tous, Burkinabè, nous voulons que notre pays se relance après ces trois années de crise que nous sommes en train de vivre », lance pour conclure, le président de la CODER, Dr Ablassé Ouédraogo.

Oumar L. OUEDRAOGO

Lefaso.net

Source: LeFaso.net