Porté sur les fonts baptismaux le 21 avril 2013, le M 21 (Mouvement du 21 avril) visait principalement (et comme bien d’autres organisations) à dénoncer et à faire barrage à la révision de l’article 37 de la Constitution burkinabè. L’action conjuguée des forces opposées au projet de révision de la Constitution va aboutir, les 30 et 31 octobre 2014, à une insurrection populaire. Deux ans après, le président du M21, Marcel Tankoano, jette un regard rétrospectif sur le chemin parcouru et lance un appel à la tolérance à l’ensemble des Burkinabè. Nous l‘avons rencontré dans la matinée de ce jeudi, 27 octobre 2016 à Ouagadougou.
Lefaso.net : A la veille de la commémoration de l’An II de l’insurrection populaire, comment revivez-vous cette étape de l’histoire du Burkina ?
Marcel Takoano : Avant tout propos, je voudrais m’incliner devant la mémoire de nos camarades tombés pour la Patrie. Ils ne sont pas morts pour rien, ils sont tombés pour une cause juste. Ils ont, en un mot, cherché le bien-être pour le pays. En cette date, je ressens cette journée du 27 (octobre 2014) ; on était presque des morts-vivants. Nous étions, faut-il le rappeler, à la veille de la grande marche du 28 octobre (2014, marche de l’opposition, ndlr). Avant ça, il a eu la marche des femmes qu’on a appelé la ‘’marche des spatules ». Nul ne savait ce qui allait arriver à notre pays, à sa jeunesse bref, à l’ensemble de ses couches sociales. Mais, ce dont on était sûr, est qu’on était dans une dynamique de changer les choses et d’engager notre pays vers une démocratie réelle, dans la voie d’un développement véritable. On était vraiment engagé pour ne pas accepter ce forcing de Blaise Compaoré. Donc, le peuple s’est levé pour faire face à l’entêtement d’un pouvoir unique, un pouvoir corrompu, un pouvoir arrivé à ses limites. Il fallait aller vers une alternative.
Lefaso.net : A cette étape, imaginiez-vous une telle issue : Assemblée nationale partie en fumée et surtout la chute du régime… ?
Marcel Tankoano : Merci vraiment pour cette question. J’étais au CFOP-BF (Chef de file de l’opposition politique au Burkina-Faso) le 27 octobre et une journaliste de DNF (Dernières Nouvelles du Faso, quotidien d’information générale, ndlr) m’a posé la question : ‘’Est-ce que la marche de demain (28 octobre) connaîtra-t-elle un succès et l’assaut sur l’Assemblée nationale le 30 octobre qui a été annoncée va-t-il être possible ? ». Je lui ai simplement répondu que tout est prêt et qu’elle verra. Je lui ai dit que ça ira, parce que ça a été savamment préparé. On n’a négligé aucun aspect, on n’a négligé personne. On était sûr de nous-mêmes ; c’est pourquoi, j’ai dit plus haut que nous étions des morts-vivants. Vous vous souviendrez que lorsque le 21 octobre 2014, le Conseil des ministres extraordinaire a décidé de l’envoi du projet de modification de l’article 37 à l’Assemblée nationale, Ouagadougou, particulièrement, s’est mise en ébullition et ça avait contaminé les autres localités. Et pour nous, on savait à l’époque qu’il fallait vaille que vaille prendre l’Assemblée nationale ; parce que si on ne le faisait pas, notre mort était programmée. Donc, nous, en tant qu’acteurs de l’insurrection, on s’est dit qu’il faut se battre et aller jusqu’au bout.
Lefaso.net : Des menaces et intimations à l’approche de cette date de 30 octobre ?
Marcel Tankoano : On avait déjà dépassé ce stade. Pour mon cas, c’était avant cette période. Cette période, c’est lorsque je me suis vu licencier de la RTB (Radiodiffusion-Télévision du Burkina), je me suis donc retrouvé avec ma famille et face à des charges… C’était vraiment compliquer. C’est en ce moment j’ai senti le danger. Mais, plus on avançait, mieux je m’organisais et je me disais qu’il fallait arriver à quelque chose. J’étais dans la dynamique que c’est déjà gâté, il faut foncer, donner un sens à mon licenciement. Je m’étais déjà fait cet esprit. On était donc à un stade où ça passait ou ça cassait. Je suis devant vous aujourd’hui par chance… C’est Dieu qui a fait que je sois aujourd’hui devant vous pour relater un peu ce qui s’est passé, sinon je ne vois pas ce que j’ai fait pour mériter d’être-là, en vie aujourd’hui.
Lefaso.net : Des images qui vous marquent encore de ces journées des 30 et 31 octobre ?
Marcel Tankoano : L’image que je retiens, c’est lorsqu’on a demandé aux gens de se retrouver à la Place de la révolution pour qu’on marche bras-nus, les mains levées, pour prendre l’Assemblée nationale. Et quand nous sommes arrivés au rond-point des Nations-Unies (c’est cette image que je garde), on ne pouvait plus avancer ; parce qu’il y avait les barrières et un impressionnant dispositif militaires, prêts à tirer. Lorsque nous sommes arrivés, c’était comme une folie, on a traversé tout ça, il y avait mes véhicules à canons, des véhicules qui projetaient de l’eau chaude. Malgré les tirs et autres, on a pu traverser pour prendre l’Assemblée nationale. La deuxième image, c’est lorsqu’on a pu effectivement entrer à l’hémicycle et qu’on a soulevé le drapeau, nous sommes ressortis et on a continué à la RTB (Télé d’abord et la Radio). Il y avait quatre cibles dans notre stratégie : la première cible était l’Assemblée nationale, ensuite le siège du CDP (ex-parti au pouvoir), la RTB (Télé et Radio) et la quatrième cible qui était le Palais présidentiel, Kosyam. Ce sont vraiment des images qui m’ont marquées, chacun sait qu’il fait face à un danger mais qu’il faut foncer… Tomber ou entrer à l’Assemblée nationale.
Lefaso.net : Après la chute du régime, le Général Honoré Nabéré Traoré (chef d’Etat-major général des armées) est appelé à gérer le pays… Puis, dans un flou, lieutenant-colonel Isaac Yacouba Zida arrive, fait une déclaration …. Pouvez-vous nous retracer un peu ces instants ?
Marcel Tankoano : Je peux dire que je n’ai véritablement pas suivi l’étape du Général Traoré, parce que j’étais en ce moment dans le coma (conséquence de la journée du 30 octobre, ndlr). C’est le lendemain, vers 9h, que j’ai pu me rendre à la Place de la Révolution et c’est en ce moment que nous sommes entré à l’Etat-major général des Armées pour dire à l’Armée de prendre ses responsabilités. Nous étions d’abord allés vers Kwamé Lougué (général) qui a décliné l’offre. Il dit qu’il n’avait pas l’autorisation…, qu’il y avait déjà la déclaration de la hiérarchie militaire et que lui, il n’a pas reçu un coup de file dans ce sens. On a tenté de lui faire comprendre que les gens scandaient son nom et que sa venue allait vraiment être une bonne chose mais, il a décliné. Donc, quand nous sommes entrées à l’Etat-major, on a voulu entonner l’hymne national, ils (les militaires, ndr) nous ont dit que ce n’était pas la peine, qu’ils ont compris notre message. C’est là qu’on a aperçu lieutenant-colonel Zida (que je ne connaissais pas) qui descendait l’escalier, il a enlevé son béret qui était placé au niveau de ses épaulettes, il a porté puis il a soulevé le poing… On a compris que c’était l’homme qui a compris le message des jeunes. C’est comme cela qu’il nous a approchés et on a compris qu’il était prêt…
Lefaso.net : Etiez-vous entre leaders OSC (organisations de la société civile) ou avec des leaders politiques ?
Marcel Tankoano : Aucun leader politique n’était avec nous. Il y avait Hervé Kam (Balai Citoyen), Hervé Ouattara (CAR) et moi-même. (…). Pr Augustin Loada (constitutionnaliste) est venu quand on avait fini de présenter Zida à la foule à la Place de la Révolution et que nous sommes entrés au camp Guillaume (Ouédraogo) pour réfléchir sur la déclaration… On se demandait maintenant s’il fallait dissoudre la Constitution, la suspendre, etc. Nous sommes des novices, on n’y connaît rien…. Je sais qu’on avait rédigé un communiqué qu’on devait envoyer aux médias et ça, il fallait revoir le contenu. Nous avons fait appel au Pr Loada (Hervé Kam l’a appelé) qui est donc venu, il a pris le communiqué et a corrigé le contenu, en disant aussi qu’on ne dissout pas la Constitution mais on la suspend… Nous on ne s’y connaissait pas, les militaires non plus. Colonel Auguste Denise Barry a aussi voulu soutenir mais il ne s’y connaissait pas. On avait donc le pouvoir en main mais on ne savait que faire….
Lefaso.net : Donc le communiqué a été rédigé entre vous ?
Marcel Tankoano : Oui, on l’a rédigé comme ça, sur place au camp Guillaume.
Lefaso.net : Le pays était donc entre vos mains…. !
Marcel Tankoano : Disons oui, mais on ne le savait même pas parce qu’on était toujours dans le feu de l’action. Et je vous fais une confidence : pendant qu’on y était, on a entretemps appris que le RPC (Régiment de Parachutiste Commando) de Dédougou allait nous attaquer. Donc, rapidement, les militaires ont déployé leur dispositif et nous y sommes restés jusqu’au tour de 16 heures, l’heure à laquelle on m’a maintenant autorisé à aller déposer le communiqué auprès des médias.
Lefaso.net : Puis, les structures de la Transition sont mises en place dont le CNT (Conseil national de la transition) qui faisait office d’Assemblée nationale et où ce sont retrouvées la plupart des OSC qui ont mené la lutte. Mais, à l’arrivée, votre organisation n’y était pas. Qu’est-ce qui a expliqué cela ?
Marcel Tankoano : C’est vrai. Il y avait une raison ; parmi les OSC, nombreuses étaient des ramifications de partis politiques.
Lefaso.net : Vous étiez au courant de ce fait bien avant… ?
Marcel Tankoano : On était au courant de cela. On savait que des partis politiques avaient créé des OSC pour tenter de casser les OSC qui étaient sur le terrain et sur lesquelles, ces leaders politiques n’avaient pas de mainmise. Egalement, au départ, nous avions cru que ceux qui allaient aller au CNT, c’était dans la dynamique de poursuivre le sacrifice, l’engagement et non pas pour s’octroyer un salaire, un véhicule… Non ! C’était vraiment notre compréhension dès le début. Dans cet esprit, nous avions envoyé, à la constitution des listes, le nom de notre représentant. Par la suite, on s’est rendu compte qu’il y avait infiltration et que les gens travaillaient à ce que le CNT soit tenu par des jeunes de partis politiques. Voilà pourquoi nous nous sommes simplement abstenus de participer. Dieu merci d’ailleurs, si on y était, c’est sûr qu’on n’aurait pas bénéficié de cette crédibilité dont on jouit aujourd’hui auprès du peuple. A tort ou à raison, beaucoup d’OSC ont vu leur nom abîmé au CNT. L’objectif du M21, c’est d’être une structure de veille citoyenne, une OSC n’est pas là pour le pouvoir.
Lefaso.net : N’est-ce pas cela aussi qui a fait qu’à un moment donné, certaines d’entre vous ont été indexées d’être pro-Zida… !
Marcel Tankoano : Bien sûr ! Parce qu’on ne nous maîtrisait pas, on ne rendait pas compte à quelqu’un en réalité. Tout ce que nous avons fait avec la transition, nous n’avons rendu compte à personne. En dehors des instances de notre organisation. Or, les autres étaient obligés de rendre compte à des ‘’ gourous politiques » derrière ; tout ce qu’ils faisaient, ils devaient rendre compte. Or, nous étions directement rattachés à la transition, de sorte que lorsqu’il y a un problème, on nous appelait directement et on intervenait directement (parce que nous ne rendions compte qu’à nos structures). C’était plus facile pour nous d’agir pour défendre l’intérêt général. Alors que les autres devaient d’abord rendre compte et prendre des instructions. Ce que certains partis politiques n’ont pas aimé, le fait de ne pas pouvoir contrôler toutes les OSC.
Lefaso.net : On a eu l’impression que le nouveau régime a, à un moment donné, fait de la transition, notamment de Zida, son chou gras. N’aviez-vous pas à un moment donné regretté d’avoir mené un combat …. ?
Marcel Tankoano : On n’a pas le droit de regretter de la lutte qu’on a menée. Quoi qu’on dise, on a abouti à quelque chose. Au moins, un changement est intervenu et quelle qu’en soit la nature de ce changement, il faut gérer. Là où il faut regretter, c’est parce que ceux qui ont pris le pouvoir à l’issue des élections n’ont pas en réalité compris qu’ils auraient pu se faire parrainer par les acteurs de la transition, bien qu’ils ne soient plus là. Au moins, tout le monde se retrouve dedans (dans la transition). S’ils avaient fait ça, ça allait éviter des problèmes. Mais, dès qu’ils ont pris le pouvoir, ils ont versé, à tort ou à raison, dans des accusations. Entretemps, le Président Michel Kafando a été malmené dans sa façon de gérer le pouvoir. Ce fut le cas également pour le Premier ministre Zida. A mon avis, on ne devait pas y arriver.
Lefaso.net : Deux ans après, et au regard des objectifs de départ, le M21 est-il satisfait de la marche du Burkina ?
Marcel Tankoano : Dans tous les cas, même si c’était mieux que ça, j’allais toujours dire qu’on n’est pas satisfait. La vie est une perpétuelle quête de bien-être. Mais, on peut dire que les choses n’évoluent pas comme on l’aurait souhaité. Ça au moins, il faut être concret. A partir du moment où ceux qui ont pris le pouvoir ont voulu faire l’exception et que ça n’a pas fonctionné, il est normal qu’on se rende compte que çà et là, les choses n’ont pas fonctionné. C’est pour cela que nous avons animé récemment une conférence de presse pour titiller un peu les dirigeants, pour dire que ça ne fonctionne pas. Il faut prendre à bras-le-corps les aspirations du peuple. Tout se dégrade et il faut s’y pencher sérieusement. Le gens espéraient un changement à tous les niveaux, jusqu’au panier de la ménagère. Mais on constate que ça ne va pas et cela donne l’impression qu’on n’a rien fait. C’est pourquoi, nous avons dit de satisfaire rapidement ce peuple qui a longtemps souffert. Qu’à cela ne tienne, on a foi que les choses vont décoller pour le bonheur de notre peuple.
Lefaso.net : L’An II est commémoré dans un contexte caractérisé par une sorte de crise de confiance entre justice et justiciables, une ‘’morosité » de l’économie, une crise de confiance entre Burkinabè et un processus de réconciliation nationale qui peine à se mettre en route. Quelle doit être l’attitude des Burkinabè en ce moment pour que tout aille dans le bon sens ?
Marcel Tankoano : C’est d’abord la tolérance. Il faut comprendre que les Burkinabè sont un peuple qui, quelles qu’en soient les divergences, ont toujours su s’entendre autour de l’essentiel. On parle de réconciliation, c’est vrai. Mais, il faut qu’on arrive d’abord à savoir qui a fait quoi et à qui. Pour nous, c’est vérité, justice et réconciliation. Aller à une réconciliation sans un tour d’horizon, une réflexion véritable, à mon avis, ce serait passer à côté de la plaque. En 2002, Blaise Compaoré avait organisé la Journée nationale du pardon où on a lâché des colombes sans savoir, au préalable, véritablement ce qui s‘est passé. Conséquence : elle a été une réconciliation de façade, où on a dépensé beaucoup pour rien. Voilà pourquoi, il faut, cette fois-ci, une véritable réconciliation qui part d’abord des préalables, où on dira qui a fait quoi. Avant de pardonner, il faut que l’autre reconnaisse son tort.
C’est difficile à tous les niveaux aujourd’hui, surtout côté économique, ça ne se discute pas (les commerçants, un peu partout les gens crient). Mais, je peux demander un peu de patience et tout ira bien. Si on a pu supporter pendant 27 ans, je pense qu’on peut accorder au nouveau régime, un sursis pour qu’il prenne à bras-le-corps les problèmes qui assaillent la société afin que les mois et années à venir, on ne soit pas-là à regretter. Je souhaite donc que le peuple soit tolérant, compréhensif, comme il l’a toujours fait. Quand ça va démarrer, on va oublier la souffrance. Demain, on va rigoler ensemble et le reste ne sera que souvenir. Je souhaite enfin des commémorations partout dans le calme, la quiétude, pour qu’à la fin, on se comprenne et tire leçons de tout ce qui s’est passé et pour le bonheur du Burkina.
Entretien réalisé par Oumar L. OUEDRAOGO
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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