Après la soirée d’incertitudes du 16 septembre 2015, dans la matinée du 17, les choses se précisent. Les appels à la libération des otages la veille n’avaient pas été entendus par les mutins. Et en cette matinée du 17, le médecin lieutenant-colonel Mamadou Bamba se mue en présentateur télé sur la chaine nationale de télévision. Les putschistes dissolvent tout de ce qui est Transition. Président de la transition, gouvernement de la transition, conseil national de la transition ! On apprend la venue du Conseil national pour la démocratie (CND), avec un certain Gilbert Diendéré comme président. Golf cessait ainsi d’être un homme de l’ombre.

La résistance ne se fait pas attendre. Malgré les morts qui commençaient à joncher les rues de la capitale, les ‘’résistants » étaient toujours déterminés et la suite leur donnerait raison.

Mais la veille, l’Unité d’action syndicale (UAS) tout en appelant à la libération des autorités prises en otage, décrétait une grève générale. Débrayage n’a jamais été autant suivi. Dans la matinée du 17 septembre, les rues sont désertes. Les médias publics (radio et télévision nationales notamment) sont occupés par des éléments du RSP armés jusqu’aux dents. La place de la révolution, lieu de convergence habituel des manifestants est quadrillée.

C’est dans cet environnement qui donne l’impression d’un pays attaqué par un ennemi extérieur qu’aux environs de 7h, le lieutenant-colonel Mamadou Bamba apparait à la télévision nationale et commence une lecture interminable de communiqués dont les numéros se succèdent.

Il apprend aux téléspectateurs que « les forces patriotiques et démocratiques alliant toutes les composantes de la nation et réunies au sein du Conseil National pour la Démocratie (CND)ont décidé de mettre un terme au régime déviant de la transition ».

Comme en pareille situation, les nouveaux venus égrènent les griefs contre ceux qu’ils « croient » avoir renversé. « La loi électorale taillée sur mesure pour des individus » (Ndlr. La nouvelle loi électorale) ; la loi portant statut général des personnels des Forces Armées Nationales « promulguée à des fins personnelles » et celle portant code de l’information aux fins de « museler la presse » ; les « arrestations arbitraires » qui donnent l’impression d’une justice sélective des vainqueurs ; sans compter que « nombre d’acteurs de cette transition se sont illustrés par des comportements aux antipodes des règles de bonne gestion de la chose publique ».


Au regard donc de tout ce qui précède, le CND décide de dissoudre tous les organes de la transition et annonce une large concertation pour former « un gouvernement qui se dévouera à la remise en ordre politique du pays et à la restauration de la cohésion nationale pour aboutir à des élections inclusives et apaisées ».

La déclaration, même si elle n’est pas totalement dénuée de vérité est vomie par la majorité des Burkinabè. Mais certains partis politiques et certains acteurs politiques n’hésitent pas à applaudir. Mis sur le banc de touche pour les élections à venir, ils voyaient là, une belle occasion de revanche. On sait maintenant à qui le putsch profite.

Shérif Sy, président par intérim

Le centre-ville étant quadrillé, la résistance se mène dans les différents quartiers de la capitale. Le président Michel Kafando, le premier ministre Yacouba Zida étant aux mains des ravisseurs, le président du CNT entre en clandestinité, mais annonce qu’il assure l’intérim de chef d’Etat.

« Dans la situation où le chef de l’Etat et le Premier ministre et le gouvernement sont actuellement séquestrés, j’assume désormais les pouvoirs dévolus au chef de l’Etat. Et c’est à ce titre que j’invite le chef d’Etat-major des armées et les chefs d’Etat-major des différentes régions militaires à prendre immédiatement toutes les dispositions pour que cette forfaiture soit arrêtée puisque c’est un groupe armé qui s’oppose à la volonté du peuple, c’est pour cela j’en appelle aux forces républicaines, militaires » lance- t- il.

Les médias chauds tous presque fermés, ou aux mains des putschistes, c’est à travers une radio appelée, ‘’Radio de la résistance », 108.0 FM (une radio pirate en fait), que le président par intérim s’adresse à ‘’ses » compatriotes. « Aucun sacrifice ne doit être trop grand pour préserver les acquis de la marche vers le renouveau que notre peuple a acquis de haute lutte à l’issue de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 » ; lance le journaliste.

Sur les différentes artères qui mènent au centre-ville, la résistance est farouche. Les pneus sont brulés par des manifestants, le moindre regroupement est dispersé par les ‘’nouveaux hommes forts ». Ils auront fort à faire. Pratiquement tous les quartiers sont en mode résistance. Seuls à faire la patrouille, les hommes du général n’en peuvent plus. Même les tirs à balles réelles sur les manifestants n’entament pas la détermination de ces derniers. Les balles perdues ou non, font des victimes. Les jeunes qui pour la plupart n’ont jamais vécu un coup d’Etat n’entendent pas voir leur liberté confisquée. C’est avec audace, au risque de leurs vies qu’ils participent à la lutte. Du sang, de la sueur, ils en ont coulé, pour exprimer leur désaccord. Un héroïsme qui a fait peur, et dont certains se rappellent avec une légitime fierté, malgré les blessures et la perte de certains d’entre eux.

Des condamnations en cascade

Les résistants au putsch sont galvanisés par les condamnations qui fusent de partout. L’Organisation des Nations Unies, l’Union Européenne, l’Union Africaine, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), entre autres, sont d’accord pour dire que ce coup de force est inopportun. L’Union africaine, habituellement en retard, qualifie la rétention des autorités de la transition d’« acte terroriste qui doit être traité comme tel par l’ensemble de la communauté internationale ».

Plus loin, l’institution décidait « de suspendre, avec effet immédiat, la participation du Burkina Faso à toutes les activités de l’UA ».

L’étau se resserre autour de Gal. Diendéré et ses hommes. Mais le bras de fer continue. Résultat : une dizaine de morts, la plupart par balles. A peine était-il née que le CND comptait ses premiers cadavres.

Le silence assourdissant de l’armée régulière


Les appels au secours lancés par des manifestants à l’armée régulière se heurtent au silence de la haute hiérarchie militaire. Certains ‘’civils » n’hésitent pas à demander aux militaires et gendarmes de leur donner leurs armes pour qu’ils aillent combattre. Devant l’Etat-major général des armées même, les éléments du RSP répriment à la barbe des militaires et de leurs chefs.

Il faut attendre le 19 septembre pour voir le premier communiqué du chef d’Etat-major général des armées. Le Gal. Pingrenoma Zagré « condamne fermement tous les actes de violence à l’encontre des populations » et « invite tous les militaires à garder à l’esprit qu’ils doivent exécuter leur mission avec professionnalisme ».

Il demande par ailleurs « aux populations de garder leur confiance aux Forces Armées Nationales qui sont engagées depuis les premières heures de cette crise avec les acteurs nationaux et internationaux, dans la recherche d’une solution qui assurera à notre nation, la paix et la sécurité ».

Pendant que la répression s’abat sur les populations, ce message est qualifié de ‘’vide » par certains, ‘’codé » pour d’autres.

Alors que les présidents Macky Sall (Sénégal) et Yayi Boni (Bénin) sont dépêchés par la CEDEAO à Ouaga pour trouver une solution à la crise, tout est bloqué au Burkina Faso. Les Banques et autres services sont fermés, les marchés ne connaissent pas leur affluence d’antan.

Le 19 septembre dans la soirée et après les travaux, le président béninois Yayi Boni semble optimiste et donne rendez-vous le lendemain pour annoncer ‘’la bonne nouvelle ». Finalement la montagne accouche d’une souris. La transition est rétablie avec comme président Michel Kafando, la question de la dissolution du RSP doit être réglée par le prochain président, il est proposé le vote d’une amnistie pour les événements intervenus à partir du coup d’État, des élections sont ramenées au 22 novembre avec la participation des candidats exclus.

Le président Kafando fait un discours ‘’musclé » dans lequel il déclare que ces propositions n’engagent que la CEDEAO.

C’est en ce moment que les jeunes officiers de plusieurs garnisons du pays, apparemment sans ordre de la ‘’haute hiérarchie », décident d’arrêter l’humiliation en descendant sur la capitale le 21 septembre 2015. Des provinces jusqu’à la capitale, ils sont salués comme les messies, venus libérer la capitale. Les putschistes qui cultivaient un mythe sur leur unité ‘’d’élite » sont pris dans leur propre piège.

Aussitôt des négociations sont entamées entre les jeunes officiers venus des provinces et les cadres du RSP chez le Mogho Naba. Les tractations d’après sont interminables, et les ‘’boys » comme les a appelés le président Michel Kafando sont obligés de bombarder le Camp Naaba Koom II, sanctuaire du RSP, pour obliger les éléments récalcitrants à déposer les armes. Nous étions le 29 septembre 2015. C’était la fin d’un coup d’Etat que l’éphémère président du CND dit regretter. Il trouvera refuge chez le nonce apostolique pour ensuite être remis aux autorités rétablies. Il sera entendu par la justice peu après, et déposé à la maison d’arrêt et de correction des armées.

Tiga CheickSawadogo(tigacheick@hotmail.fr)

Lefaso.net

Source: LeFaso.net