Né à Edmundston, au Canada, de parents haïtiens ayant fui la dictature dans les années 80, Henri Pardo débute par les planches avant d’embrasser le métier de comédien. Aujourd’hui réalisateur, scénariste et producteur, il pense à former la relève, grâce à son programme « Encre noire » qui appuie les réalisateurs des communautés afrodescendantes.

Présent à Ouagadougou, dans le cadre du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), Henri Pardo nous a accordé, cet après-midi du 25 février 2025, un entretien dans lequel il revient sur son parcours, son combat et son tout premier long métrage fiction, Kanaval. Ce film est en compétition dans la catégorie Sukabè à cette 29e édition du Fespaco. Il a déjà remporté en 2023 le Prix du public Air Canada au Festival de films Cinémania et une mention honorable du meilleur film canadien au Toronto international film festival.

Lefaso.net : Est-ce votre première fois de visiter le Burkina Faso ?

H.P. : Oui, c’est ma première fois. J’avais très hâte d’y être. Ça fait longtemps que j’en entends parler, donc je suis très heureux d’être là.

Qu’est ce qui vous a marqué lorsque vous êtes arrivé ici ?

La vie est partout, la vie est flamboyante, elle est belle, elle est riche. Et puis on sent enfin que le FESPACO a son empreinte. On sent que tout le monde adore le FESPACO.

Avez-vous déjà dégusté le poulet bicyclette ?

Non, pas encore. Je souhaite le déguster ce soir. On en a parlé et j’ai goûté du poisson. J’ai oublié le nom du poisson, mais la viande est très bonne.

Y a-t-il des cinéastes, des comédiens burkinabè que vous appréciez particulièrement ?

Je n’en connais pas. C’est vraiment pour moi une découverte du cinéma burkinabè et également du peuple de sa culture.

Vous êtes Canadien d’origine haïtienne. Dans quel environnement avez-vous grandi ?

J’ai grandi dans un environnement majoritairement blanc. Le Canada l’est. On est en minorité. Mais on a vraiment une communauté qui se tient solidement et qui essaie vraiment de développer, entre autres, son propre cinéma. C’est l’environnement dans lequel j’ai grandi. Il y a également les quatre saisons qui sont très accentuées. L’hiver est très rude.

Êtes-vous retourné depuis à Haïti ?

Oui, j’y suis retourné à plusieurs reprises pour des événements assez différents. La première fois, c’était pour le décès de mon papa. Donc, c’était un moment très émouvant, très bouleversant que de rencontrer ses racines et de dire adieu à son père. Les autres fois, c’était pour des projets de cinéma. Cela m’a permis à chaque fois de découvrir le pays très intimement. La caméra appelle l’intimité. Et c’était des voyages extraordinaires.

Comment êtes-vous arrivé au cinéma ?

J’ai toujours fait du théâtre. J’ai commencé quand j’avais onze ans. J’en ai fait toute mon adolescence, toute ma jeunesse et j’ai poursuivi en allant à l’école, au Conservatoire d’art dramatique de Montréal. Donc, c’était le théâtre au départ. Graduellement, je me suis prêté au jeu de la caméra et après ça, j’ai été derrière la caméra parce que j’ai décidé de raconter nos histoires.

Aviez-vous des références, des modèles dans le cinéma ?

Il y en avait peu. En fait, l’un des problèmes que peut rencontrer un cinéaste afrodescendant, c’est de trouver ses repères, ses modèles, ces inspirations qui poussent à aller plus loin. On est pris un peu dans un cycle de devoir nous-mêmes tout inventer. Dans ce contexte où l’on est minoritaire, c’est vraiment important pendant un moment de s’afficher, d’être fier de nos origines, de les porter fièrement, d’être capable de rentrer dans ses histoires et de les décrire adéquatement.

Mais oui, il y a eu des grands cinéastes, que ce soit Spike Lee ou Harry Belafonte du côté nord américain, qui ont été très présents dans ma culture, dans mon arrivée au monde cinématographiquement.

De comédien, vous êtes passé derrière la caméra. Comment s’est faite la transition ?

Elle s’est bien faite et il a fallu que je passe au-dessus de mon syndrome de l’imposteur que j’avais au tout début. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis allé à l’école de cinéma, pour prouver au milieu que je n’étais plus comédien et que j’avais maintenant les aptitudes pour réaliser des films. En fait, ce qui m’a vraiment aidé à réussir cette transition, c’est le fait que j’étais comédien et que j’adorais les comédiens.

J’ai réalisé que peu de réalisateurs aiment les comédiens. Moi, c’était l’une de mes qualités. Je les aime et j’ai ce désir de les comprendre et de les pousser plus loin. C’était ma force avant que je n’ai cette force technique pour les plans de caméra, la mise en scène générale. Je suis toujours proche des comédiens qui portent mes œuvres.

Aujourd’hui, vous êtes réalisateur, scénariste et producteur. Dans quelle casquette, vous sentez vous le mieux ?

Je dirais d’abord la casquette de réalisateur, ensuite, celle de scénariste, puis de producteur et enfin d’acteur. En fait, le métier de scénariste et de producteur permet de soutenir le premier qui est la réalisation. C’est là où j’aime raconter l’histoire.


Combien de films avez-vous à votre actif ?

J’en ai un. C’est un long métrage de fiction (rires). J’ai aussi des œuvres documentaires. J’ai fait beaucoup plus de documentaires que de fictions, même si ma première passion est la fiction. Kanaval est le premier. Le scénario de mon deuxième film est écrit et ce n’est plus qu’une question de financement. Et ce matin, j’ai commencé mon troisième film. Donc, je suis très content.

Vous êtes le fondateur de Black Wealth Media, société de production de films et coproductrice de la série documentaire historique « Afro-Canada ». Vous êtes également le créateur du programme de mentorat « Encre Noire » qui est consacré à la relève de cinéastes afrodescendants et membre fondateur de Black on Black films, un organisme de réseautage et de professionnalisation. Le mot « Noir » revient toujours. Cela répond t-il à un besoin particulier ?

J’ai des gens que j’aime beaucoup autour de moi, dont mon amoureuse, qui viennent de pays noirs. Ils n’ont pas besoin de se définir de la sorte parce qu’ils ont toujours été dans un environnement qui allait dans leur sens. Moi étant du Canada, ce n’est pas vraiment le cas. Il faut se battre. Donc, il est nécessaire de s’identifier premièrement pour soi, je crois, parce que des fois, il y a une espèce de contamination. On oublie un peu qui on est parce qu’on est dans une minorité. C’est un effort culturel pour se définir et s’afficher fièrement. Tout ça vient avec le plaisir d’éducation, parce qu’on veut passer le relais. Aux jeunes cinéastes, on veut transmettre tout ce qu’on a appris sur le tas et on les encourage à aller chercher encore plus de connaissances pour vraiment illustrer notre culture le mieux possible.

Est-ce que le cinéma est un moyen pour vous de montrer un autre visage d’Haïti qu’on ne voit pas souvent dans les médias ?

Oui. C’est un travail de mémoire collective. C’est une des forces d’Haïti. La culture nous permet d’exister et de grandir, d’être prospère et de raviver la flamme révolutionnaire, parce qu’on est né d’une révolution. Donc, on continue ce travail de dénonciation. Il faut porter fièrement la culture, réajuster le tir, réajuster les visions qu’on a d’Haïti et des Haïtiens.

Comment se porte le cinéma haïtien ?

Ce n’est pas qu’il est à ses débuts, mais il réussit à sortir. Je pense que le cinéma haïtien a toujours été là, mais à cause de l’environnement précaire autour d’Haïti et de la pression que les Haïtiens ont, il est difficile de sortir des œuvres. Mais, la diaspora s’y met maintenant et on se retourne vraiment vers Haïti comme point d’ancrage, un pays qui est capable d’être et de raconter ses histoires.

Et comment avez-vous accueilli la sélection de votre film Kanaval au FESPACO dans la catégorie Sukabè ?

Waouh ! C’est le FESPACO. Vous avez tantôt relevé la récurrence du mot « Noir » dans tout ce que je fais. Le but, c’est de revenir dans mon pays, mon continent. Le FESPACO, c’est le top. Je suis ici, je suis à ma place. J’ai hâte de rencontrer les Burkinabè et les gens qui viennent d’ailleurs pour voir mon film.

De quoi parle le film ?

Eh bien, c’est l’histoire d’un jeune garçon qui est arraché de son île et qui est déposé sur une étrange planète qu’on appelle Canada. Ça parle de migration, d’exil forcé, de déplacement forcé. Dans notre cas, c’est dû à la dictature. Ça parle aussi des traces que cela peut laisser et des solutions qui sont à notre portée pour être heureux.

Est-ce un film autobiographique ?

C’est plutôt un film auto fictionnel, c’est-à-dire que je m’inspire d’anecdotes du passé, de mon passé pour écrire une histoire. Mais dès qu’on sort des anecdotes de leur contexte, ça ne m’appartient plus, ça appartient à l’histoire. Dans Kanaval, le personnage Rico est influencé parce que j’ai vécu avec mes parents, mon frère et mes sœurs dans l’environnement canadien, dans l’environnement de devoir rapidement sortir de l’île coûte que coûte. C’est quelque chose qu’on connaît bien, mais je pense qu’il y a plusieurs migrants qui pourraient raconter la même histoire.

Dans la plupart des films des cinéastes de la diaspora, il y a comme un besoin de revendiquer une identité, de faire des films engagés. Kanaval est-il un film politique ?

Je ne sais pas comment c’est ici, mais en Amérique du Nord, être noir, c’est politique. On est politique. Notre présence est le résultat d’une politique fasciste, capitaliste. C’est un acte politique que d’être capable de marcher dignement dans la rue. C’est comme ça que je le vois. Je ne peux pas m’empêcher d’être comme mes parents, de m’impliquer, d’être militant, de dénoncer ce qui ne marche pas, mais aussi de souligner ce qui est beau, ce qui fonctionne. Mon plus grand désir, c’est que mon fils ait une belle planète.

Avez-vous une anecdote à raconter sur l’écriture ou la réalisation du film Kanaval ?

Tout a commencé par une blague. Je me suis souvenu d’un lointain souvenir de mon enfance, comme si c’était hier. Je l’avais complètement oublié et je l’ai raconté à un ami qui l’a prise pour une blague. Mais après, il m’a dit que ça ferait un bon film. Il est vrai que je croyais aux extraterrestres quand j’étais jeune, mais je n’allais quand même pas faire un film là dessus. était là dessus. Finalement, il avait raison (Rires). Me raconter mon enfance m’a permis de mieux me comprendre et d’y trouver une histoire à partager.

Quel message souhaitez-vous que les cinéphiles retiennent de ce film ?

Je veux que les cinéphiles retiennent qu’être Haïtien, c’est être révolutionnaire. Et puis qu’ on a besoin de notre maman en bonne santé physique et mentale.

Être Haitien, c’est être révolutionnaire. Le Burkina Faso a aussi vécu une révolution dans les années 80 avec le capitaine Thomas Sankara. Actuellement, le pays est à un tournant décisif de son histoire avec d’autres pays du Sahel. Est-ce une thématique qui vous parle en tant que cinéaste de la diaspora ?

Énormément ! Je suis très heureux de voir ces mouvements récents qui reflètent le passé, particulièrement ici. C’est fort, c’est touchant. Je trouve qu’il y a un grand lien entre les pays d’ici et Haïti. Cette âme révolutionnaire, ce désir de s’affirmer, de s’émanciper est très fort chez nos deux peuples. Ça me touche beaucoup.

Suivez-vous l’actualité du cinéma africain ? Si oui, quelle analyse faites-vous de son évolution ?

J’essaie de plus en plus de suivre cette actualité cinématographique africaine, même si ce n’est pas assez. Je regarde ce qui se passe au Nigeria et puis ailleurs. Et là, je commence à me faire des liens en Afrique du Sud.

Pour mon analyse, je dirai que ce n’est que le début. Il y a une effervescence assez incroyable. Je souhaite que le cinéma reflète vraiment la culture. Il ne faut pas qu’on soit en train de recréer ce que le blanc est en train de faire à Paris ou ailleurs. Il faut qu’on ait nos propres langages cinématographiques. Je pense que c’est là dessus que j’essaie de travailler. Dans Kanaval, j’utilise le mouvement haïtien qui est le réalisme merveilleux. C’est typiquement antillais, typiquement haïtien. J’utilise ce mouvement pour changer mes prises de vues, mon écoute, la chronologie de mes histoires, pour me détacher du système américain.

Un mot sur l’organisation de la 29e édition du FESPACO ?

Je suis à mes débuts. Je suis émerveillé par l’engouement des Burkinabè pour leur festival. Je suis arrivé à 1h du matin dans ma chambre. Lundi, j’ai allumé la télé et sur les trois chaînes, il n’y avait que le FESPACO. On débattait du Fespaco sur les trois chaînes à 1h du matin. C’est vraiment formidable ! Ça prouve que le comité d’organisation du FESPACO fait son travail et que surtout les Burkinabè participent vraiment au festival.

Où peut-on suivre Kanaval ?

On peut le voir bien sûr au FESPACO. Mercredi 26 février à 16h à la mairie centrale de Ouagadougou et le jeudi 27 février à 10h au CENASA. Sinon, on essaie de faire de notre mieux pour le vendre à un diffuseur, à une plateforme.

Quelle sera votre actualité après le FESPACO ?

Après le FESPACO, on va continuer à écrire. Je suis en train de travailler sur une suite de Kanaval parce que je suis tombé amoureux de mon comédien principal. Il est formidable ce jeune acteur et je lui souhaite du bien. Je désire retravailler avec lui. Je vais continuer à révéler le passé. J’essaie de rendre le passé présent pour le futur. J’essaie vraiment de le moderniser, puis de le rendre accessible aux générations à venir.

Nous sommes à la fin de l’entretien. Y a-t-il quelque chose que vous souhaitez ajouter ?

J’ai hâte de revenir au Burkina.

Fredo Bassolé

Lefaso.net

Source: LeFaso.net