À l’occasion de la biennale du 7ᵉ art africain et de sa diaspora, un colloque est organisé par le comité d’organisation du FESPACO et l’université Joseph Ki-Zerbo, les 24 et 25 février 2025 au sein du Conseil burkinabè des chargeurs. Les réflexions ont porté sur le thème de la 29e édition, « Cinéma d’Afrique et identités culturelles ». C’est le réalisateur Gaston Kaboré qui a ouvert le bal des communications. Il a animé la sous-thématique suivante : « Réflexion d’un cinéaste sur la notion d’identité culturelle », le lundi 24 février.

Gaston Kaboré est l’une des figures de proue du cinéma burkinabè. Il est un réalisateur, scénariste, producteur de cinéma et formateur. Il a remporté l’Etalon d’or de Yennenga avec le film « Buud Yam » à la 15ᵉ édition du FESPACO en 1997.

Du point de vue du cinéaste, l’identité culturelle d’un individu, d’une communauté, d’une société ou d’une nation n’est pas un lieu défini, fermé et statique. Selon lui, un individu, une communauté, une société ou une nation sont toujours en transit vers d’autres appartenances dont l’agrégation, à un moment donné, permet de percevoir en leur sein un caractère commun dominant qui permet de les distinguer d’autres individus, d’autres communautés, d’autres sociétés, d’autres nations.

Ce caractère commun dominant embrasse et relie intimement les contenus complexes des manières d’être, de percevoir, de comprendre, de vivre, d’imaginer, de ressentir, de se projeter dans le futur et de croire en une communauté de destin affectée en permanence par des mutations, des transformations, des variations, des discontinuités, des ruptures, qui ne l’empêchent pas de garder une certaine cohérence et une proportion d’identité dans la longue durée.

La modération de cette communication a été assurée par Ardiouma Soma (au milieu), ancien Délégué général du FESPACO

« Chaque individu, me semble-t-il, a le sentiment d’être héritier, cependant qu’il est dans le même temps conscient de devoir léguer quelque chose à la postérité », explique Gaston Kaboré.

Il dit percevoir l’identité culturelle comme une masse mouvante en perpétuelle transformation de volume, de densité et de morphologie. Elle est en quelque sorte un liquide amniotique dans lequel des individus, des communautés, des sociétés et des nations baignent, y puisant des substances nutritives pour se constituer et dans lequel ils déversent leurs propres productions sensorielles, émotionnelles, imaginaires, leurs propres visions, rêves et interrogations, questionnements.

En somme, « c’est une sorte d’énorme digesteur » dans lequel tout vit et se transforme en utilisant des substrats et des sédiments anciens qui se modifient au contact de nouvelles matières visuelles, intellectuelles, spirituelles, imaginaires, poétiques, métaphysiques, cosmogoniques, philosophiques, et sous l’effet d’événements extérieurs impactants qui imposent des ajustements divers, à des échelles pouvant être imperceptibles, telluriques, traumatiques, dévastatrices ou puissamment inspirationnels, a-t-il laissé entendre.

Pour Gaston Kaboré, la transmission des valeurs culturelles peut se faire à travers le cinéma

L’anecdote

Le professionnel de cinéma est revenu sur l’une de ses expériences lors de sa présentation.

« Je me souviens du voyage que j’ai fait en pays Lobi il y a une vingtaine d’années. Ce voyage m’a fait un effet extraordinaire que je n’oublierai jamais. En effet, en une journée, j’ai eu le sentiment d’avoir effectué un voyage multimillénaire au cœur d’une culture qui, malgré sa proximité géographique, m’a entrouvert les yeux, l’esprit, l’âme et le cœur, me faisant plonger dans des réalités et des constructions imaginaires, morales, sociales, idéelles, cosmogoniques, religieuses, métaphysiques, philosophiques que je ne soupçonnais pas, au point que j’ai eu l’impression d’avoir voyagé au bout du monde, dans une terre inconnue. Et cela, malgré le paradoxe d’une certaine familiarité, car je n’étais pas dans la peau d’un touriste médusé et stupéfait de découvrir un pays lointain, mais plutôt dans l’âme d’un pèlerin à qui l’on avait fourni des clés de compréhension d’une culture à la fois proche et si différente », s’est remémoré Gaston Kaboré.

Il se dit convaincu que les différences culturelles permettent aux individus et aux communautés d’exister les unes à côté des autres. Car, a-t-il argumenté, les différences culturelles enrichissent réciproquement et stimulent les facultés de questionnement sur l’existence et les trajectoires identitaires des individus.

Les participants ont interrogé le cinéaste pour avoir plus d’éclaircissements sur la thématique

« En tant que cinéaste exerçant son regard sur les mondes intérieurs et extérieurs qui m’habitent et dans lesquels je navigue, à la recherche de nouvelles sèves nourricières et à l’écoute de vibrations et de sonorités improbables qui percutent ma conscience et mon moi profond, j’ai toujours tenté, de mon mieux, de m’éloigner des certitudes et des évidences pour faire, inlassablement, l’apprentissage illimité du questionnement qui m’ouvre de nouveaux sens, de nouvelles connaissances, de nouveaux désirs d’être et de rencontrer d’autres formations culturelles dont le mouvement et la dynamique influent sur mon propre sentiment d’appartenance », a développé l’homme de cinéma.

Gaston Kaboré a expliqué que le cinéma peut contribuer à lutter contre la disparition de certaines langues en Afrique et à travers le monde. Les réalisateurs peuvent utiliser les langues dans leurs films. Il a rappelé que, dans ses œuvres cinématographiques, les acteurs échangent généralement dans les langues nationales. Gaston Kaboré a souligné que si certaines langues disparaissaient, c’est tout un héritage culturel qui sera réduit à jamais, d’où l’importance d’utiliser le septième art pour y remédier.

Samirah Bationo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net