Hana Halia Lebo TRAORÉ est une cheffe opératrice. Dès son plus jeune âge, elle a montré une curiosité naturelle pour le monde de l’image et de la narration, un intérêt qui, avec les années, s’est transformé en vocation. Son histoire est celle d’une femme qui a su s’imposer dans un domaine où les défis sont nombreux.
Après l’obtention de son baccalauréat, Hana TRAORÉ s’est rapidement orientée vers le cinéma, un domaine qui la fascinait de plus en plus. C’est donc naturellement qu’elle a poursuivi ses études en cinéma à l’Institut supérieur de l’image et du son (ISIS). Ce fut pour elle un véritable terrain d’apprentissage où elle a pu se confronter aux aspects pratiques du métier de chef opératrice.
Les trois années qu’elle a passées à l’ISIS furent marquées par un apprentissage intensif de la prise de vue, un aspect du cinéma qu’elle a appris à maîtriser avec une grande habileté. En sortant de l’école, elle a choisi de se consacrer pleinement au métier, ce qui l’a conduite à travailler sur une diversité de projets, allant des longs-métrages aux séries télévisées.
« Au départ, quand je venais à l’ISIS, je me disais que je voulais faire de la réalisation. Et quand je suis arrivée, j’ai côtoyé des aînés dans différents corps de métier, j’ai beaucoup discuté avec eux et ils m’ont dit : si tu veux faire de la réalisation, c’est bien. Maintenant, nous te conseillons de faire de la technique d’abord. Et parmi tous les métiers techniques qui existent, c’est celui de l’image qui m’intéressait. Mais j’avais peur de l’image parce que c’était un métier physique. Je voyais que c’était un métier qui était très exigeant et en même temps très physique à gérer. Et je me demandais si j’allais pouvoir assurer. Mais après, j’ai décidé d’affronter ma peur, d’y aller et de me donner les moyens. Et je pense que, jusqu’à aujourd’hui, je m’en sors très bien. Même si je sais qu’il y a beaucoup de choses encore à faire », a-t-elle confié.
Etre chef opérateur, c’est être artiste
Tout au long de son parcours, elle a occupé des rôles de plus en plus importants, notamment celui de première assistante cadreuse, avant de s’impliquer davantage en tant que chef opératrice. À chaque projet, elle a su faire preuve de professionnalisme et son talent n’a pas tardé à être reconnu. Mais au-delà de ses compétences techniques, c’est aussi son approche artistique qui la distingue.
Ce qui frappe chez Hana TRAORÉ, c’est sa capacité à allier exigence technique et vision artistique personnelle. En tant que cheffe opératrice, elle n’est pas seulement responsable de la qualité de l’image, elle doit aussi veiller à ce que chaque plan, chaque cadre, chaque éclairage raconte une histoire et renforce la narration du film. Le cadrage, la lumière, l’angle de prise de vue, tout doit s’harmoniser pour traduire l’émotion voulue par le réalisateur.
« Pour parler des qualités, je pense qu’être chef opérateur, c’est déjà être artiste. Donc, il faut avoir cette fibre artistique de créateur de lumière, de composition de cadre. En plus de ce volet artistique, il faut être également un technicien rigoureux. Donc, il faut avoir beaucoup d’autodiscipline, beaucoup de passion. Tourner un film, c’est dur. Les gens voient notre métier comme de l’amusement, du divertissement. Mais c’est une machine difficile derrière qui tourne, beaucoup de pression qu’il faut savoir gérer, sinon ça ne marche pas. Il faut également être très attentif aux détails, parce qu’il y a des erreurs qui se passent sur le plateau qui ne sont pas rattrapables en post-production. Et c’est mauvais de dire on va gérer cela au montage. Ça se dit souvent ici, mais ce n’est pas bien. Tout ce qu’on peut faire et très bien faire sur le plateau, on doit le faire. On doit s’y mettre à fond pour permettre aux monteurs de travailler aisément », a expliqué la cheffe opératrice.
Mais derrière cette maîtrise artistique et technique se cache également une femme qui a dû surmonter de nombreuses difficultés, notamment liées à son genre. Dans le milieu du cinéma et particulièrement dans les métiers techniques, les femmes restent largement sous-représentées. Hana a dû faire face à des situations parfois difficiles, voire injustes. Elle a été confrontée à des remarques désobligeantes, à des stéréotypes sexistes et a même vécu des expériences de harcèlement sur les plateaux.
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Harcelée, comme bon nombre de femmes
« J’ai rencontré des hommes qui ont eu envie de m’apprendre des choses, qui m’ont tenu la main. Il y a beaucoup de chefs avec lesquels j’ai travaillé et la plupart sont des hommes. J’ai aussi rencontré des personnes dans ce domaine-là qui me voulaient du mal ou qui ne voulaient pas que je sois là, juste parce que j’étais une femme. C’est vrai que cela énerve, mais ça demande aussi de la hauteur par rapport à leur action. J’ai été harcelée comme bon nombre de femmes dans des équipes où, si tu ne cèdes pas aux avances de la personne en face et qu’elle a un quelconque pouvoir sur toi, elle va te faire baver. On va te faire faire des corvées inutiles juste pour te dire, c’est moi le patron, donc accepte et tu as la paix. Moi, j’ai refusé jusqu’au bout et je n’ai pas eu la paix jusqu’à ce que je me révolte et que je dise à la personne : si tu continues, je vais le crier, je vais le dire et on saura qui tu es, on saura ce que tu fais. C’était dur, parce qu’avant d’arriver à cela, quand je rentrais, je pleurais et je disais à ma mère que je ne voulais plus aller sur ce plateau-là. Mais avec le temps, j’ai eu la force d’aller le voir et lui dire clairement dans les yeux que je ne voulais plus subir cela et qu’il avait le choix d’arrêter ou d’aller répondre devant qui de droit de ce qu’il fait, donc il a été sage, on va dire, il a arrêté. Mais c’est quelqu’un pour qui je n’ai plus beaucoup de respect, donc je peux travailler avec, mais je lui parle comme bon me semble », a-t-elle déclaré.
Cependant, loin de se laisser abattre, elle a choisi de répondre à ces défis avec fermeté et détermination. Elle a compris que sa compétence et son autorité en tant que chef opératrice étaient sa meilleure réponse à ceux qui doutaient de sa place dans ce métier. Elle a appris à affirmer sa position avec respect.
« J’ai eu des stagiaires qui viennent, et parce que c’est une femme, leur chef, en tant qu’hommes, souvent ils ne veulent pas me respecter. Si tu viens dans une équipe, que tu es stagiaire, tu es stagiaire. Je suis ton chef, j’ai 10 ans de moins que toi, mais je suis ton chef. Il y en a qui ne voulaient pas, qui ne supportaient pas, qui estimaient que moi, en tant que femme, je n’avais pas à leur donner d’ordre. Mais une fois de plus, il faut savoir installer son autorité et, comme je le dis, ce n’est pas avec des points, ce n’est pas en criant, c’est en lui montrant par A plus B qu’il est sous ton ordre et qu’à tout moment, tu peux te passer de lui, donc soit il fait ce que tu lui demandes, soit il peut très bien quitter l’équipe, parce que personne ne pleurera de son absence, donc il n’est pas indispensable, on pourra avancer très bien sans lui. Généralement, quand on arrive à ce niveau, ils se ressaisissent, ils comprennent qu’il y a ce qu’on appelle l’autorité et il faut faire attention, donc ils se rangent, et puis on continue », a-t-elle poursuivi.
Hana a su démontrer que l’autorité d’une femme sur un plateau de cinéma ne doit pas être remise en question et que ses compétences doivent primer avant tout. Cette expérience l’a d’ailleurs confortée dans sa conviction que les femmes ont toute leur place dans les métiers techniques et qu’il est temps que cette réalité soit pleinement reconnue.
« En tant que femme dans ce domaine, je trouve que c’est un beau métier et que les femmes ont leur place. Ici, au Burkina, et de plus en plus dans le monde, les femmes optent pour l’image, à savoir chef opératrice, directrice photo, cadreuse, pilote de drone et tout, et je trouve que c’est beau. Mais je pense que c’est une place qu’on ne donne pas, mais qu’on arrache. Pas en criant ou en se battant, mais en travaillant dur au quotidien et en montrant sur le plateau qui on est, ce que l’on vaut et ce que l’on a dans le cœur, dans la tête et aussi dans les bras. »
Premier court-métrage de fiction
« J’ai travaillé avec un chef électro qui était très content de mon travail et, pendant qu’on travaillait sur le même projet, on l’a appelé pour un tournage et on lui a demandé de proposer une personne qui pourra gérer la lumière sur une semaine, et j’étais enthousiaste lorsqu’il m’a demandé si j’étais intéressée. Il a donc appelé le producteur en question et lui a dit que je suis la personne qui lui faut pour le boulot. Il dit OK, donne ses coordonnées. Tout allait bien jusqu’à ce que mon chef dise : Traoré Anna Alia, c’est une femme. Et dès qu’il a dit ça, l’énergie avec laquelle le monsieur à l’autre bout du fil parlait a baissé. Il a dit ah bon, c’est une femme ? En fait, on va beaucoup travailler la nuit, ce sera en brousse, est-ce qu’elle va tenir ? Il dit oui, elle va tenir, ne t’inquiète pas. Là même, on travaille en brousse, ça fait des nuits qu’on bosse, mais il n’y a pas de problème. Je te dis qu’elle va faire ton affaire. Si c’était un homme, il n’allait même pas demander s’il était compétent, il allait juste dire OK, mais parce que je suis une femme, il a dit ah est-ce qu’elle pourra ? Tout de suite, il a remis ma compétence en cause. Il a dit OK, donne quand même, je vais te rappeler, mais je savais qu’il n’allait pas me rappeler. J’ai compris qu’il allait me mettre à l’écart parce que je suis une femme et parce que, pour lui, une femme ne peut pas le faire. Donc, ce sont des croyances que nous devons encore travailler à bannir. À chaque fois que j’ai l’occasion de me produire sur un plateau de travail, je me donne tous les moyens pour que personne ne vienne dire : je l’ai vu travailler, ce n’est pas la peine. Non ! C’est un combat au quotidien qu’il faut relever et il faut le faire avec beaucoup de patience. Comme je l’ai dit au début, si tu n’es pas passionnée, tu ne tiendras pas et tu auras donné les armes pour t’abattre. »
Également une passionnée de la réalisation, Hana Traoré a franchi une étape importante de sa carrière en réalisant son premier court-métrage de fiction, en 2024.
« Si je devais, du haut de mes petites années d’expérience, donner des conseils à mes sœurs qui veulent embrasser le métier, c’est qu’elles doivent venir. Elles ne doivent pas avoir peur, il y a de la place pour elles, et cette place-là, il faut qu’elles viennent la prendre. Il faut qu’elles viennent avec beaucoup d’ambitions, beaucoup de patience, beaucoup de courage et de force, parce qu’elles en auront besoin et qu’elles se disent qu’on ne leur fera pas de cadeaux. Donc, au quotidien, elles devront travailler à mériter leur place, mais ça, ça ne doit pas leur faire peur, parce qu’elles ont la capacité de le faire, elles ont la force et on les attend. Les femmes ont une belle âme, elles ont ce côté créatif que le cinéma burkinabè, africain et mondial recherche. Elles ont quelque chose dont elles ne doivent pas nous priver, donc je les exhorte à venir et à se dire que seul le travail paye. Les gens vont vous proposer des solutions de facilité, mais dites-vous que sur un plateau de tournage, lorsqu’on te remet la caméra, c’est toi, ta caméra et ton savoir-faire qui comptent. Ce n’est pas ta beauté, ce n’est pas qui tu connais qui compte, parce qu’après, ton travail sera projeté sur un écran, et cet écran-là va montrer tes arts, tes forces. Donc, c’est à toi de montrer le meilleur de toi-même et d’apprendre tous les jours de tes erreurs. On va tous faire des erreurs, on va tous tomber, mais le plus important c’est de ne pas s’arrêter là où on est tombé, de se relever et d’avancer. Je les exhorte à être solidaires parce que cette solidarité féminine nous manque. Il faut qu’on soit tous solidaires pour bien avancer. Après, nous ne sommes pas là pour nous battre contre les hommes, nous sommes là pour nous battre avec les hommes pour avancer. Toute personne qui s’avère être un obstacle, parce que dans le domaine, tu vas peut-être croiser des femmes même qui sont des obstacles pour des femmes, donc toute personne, que ce soit homme ou femme, qui est un obstacle pour nous, on doit travailler à l’écarter pour avancer », a indiqué Hana Traoré.
Comme dernier mot, Hana Traoré souligne que, malgré les difficultés et les sacrifices sur les plateaux de tournage, la satisfaction de voir son travail à l’écran apporte une immense fierté. Elle encourage les passionnés du cinéma à poursuivre leurs rêves, à travailler ensemble pour faire rayonner le Burkina Faso et l’Afrique à travers des œuvres cinématographiques de qualité. Elle a également insisté sur l’importance de se relever et de continuer à contribuer à l’élévation de la culture pour laisser un héritage aux générations futures.
Hanifa Koussoubé
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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