Il réside à Taïwan depuis 2007 et fait la fierté de son pays de par ses compétences, en remportant notamment plusieurs concours. Joagni Paré, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a accordé un entretien à Lefaso.net alors qu’il était de passage dans son Burkina natal. Il a brossé son parcours estudiantin et professionnel, en passant par ses succès dans son pays d’adoption. Il a également donné quelques conseils à ceux qui souhaitent se rendre à l’extérieur.
Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter ?
Joagni Paré : Je suis un Burkinabè qui réside actuellement à Taïwan. J’ai quitté le Burkina Faso en 2007. Après deux ans à l’université de Ouagadougou où j’étais inscrit dans la filière anglais, j’y suis allé avec une bourse de l’État taïwanais. À l’époque, on avait une coopération avec ce pays. Après les études, j’ai décidé de rester dans ce pays pour avoir de l’expérience professionnelle. J’ai fait sept ans à l’université en tant qu’enseignant. Après cela, je me suis lancé à mon propre compte dans le domaine du digital.
Quelle activité faites-vous exactement dans le digital ?
Je faisais des investissements dans les marchés boursiers chinois et américains. Après cela, je suis devenu copywriter, c’est-à-dire concepteur-rédacteur. J’aide les compagnies à avoir beaucoup plus de visibilité sur la toile en vendant leurs services ou produits de façon efficiente et efficace à travers les réseaux sociaux, par exemple.
Quelles sont les grandes étapes de votre parcours ?
Du primaire jusqu’à l’université, j’ai été au Burkina Faso. J’ai un diplôme d’études universitaires générales (DEUG) en anglais. J’ai ensuite eu la chance d’avoir la bourse taïwanaise. En 2007, je me suis envolé pour Taïwan. J’ai passé une année à apprendre la langue chinoise (le mandarin est communément appelé langue chinoise par abus de langage). Après cette étape, j’ai fait quatre ans de bachelor. Une année pour apprendre la langue n’était pas assez suffisante.
J’ai donc acheté tout un lot de documents, des cassettes et des DVD pour me perfectionner. Lorsque les gens me voyaient passer tout le temps avec les écouteurs, ils pensaient que j’écoutais de la musique. J’entraînais mes oreilles et mon subconscient. Après le bachelor, j’ai décidé de faire un master. C’est après le master que j’ai été embauché pour enseigner dans une université privée. J’étais enseignant d’anglais là-bas pendant sept ans. Finalement, j’ai décidé de voler de mes propres ailes.
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Pourquoi avez-vous décidé de rester à Taïwan après les études ?
J’avais beaucoup de liens là-bas. J’avais déjà fait certains investissements dans les marchés boursiers. J’investissais à travers certaines plateformes qui ne sont pas ouvertes à ceux qui sont hors de la Chine. Si tu résides par exemple au Burkina Faso, tu ne peux pas t’inscrire au niveau de ces plateformes. Aussi, j’ai eu la résidence permanente.
Quelles sont vos principales occupations aujourd’hui ?
L’une de mes passions, c’est l’écriture. J’aime écrire des livres, j’ai déjàpublié trois livres sur Amazon. Mais, après la rédaction des deux premiers, je me suis rendu compte qu’il ne suffit pas seulement d’écrire. Il faut savoir également faire le marketing de ces livres, parce que ce ne sont pas tous les écrivains qui vont avoir une certaine notoriété ou vivre du jour au lendemain de l’écriture. Il a fallu apprendre à faire le marketing de ce que j’écris parce que je n’écris pas seulement pour moi-même. Je suis allé apprendre le marketing digital. Cela m’a permis de savoir pour qui j’écris, qu’est-ce que je veux offrir comme valeurs à mes lecteurs et ce que je veux avoir à l’issue de tout cela.
Les gens ont vu des extraits de mes écrits en ligne et ils m’ont approché pour me dire qu’ils aiment mon style d’écriture. Ils ont souhaité que je puisse écrire leurs mémoires, biographies ou un livre blanc pour leurs compagnies, etc. J’ai eu des commandes, ce qui fait que j’ai dû mettre mes projets de livres de côté pour me focaliser sur ce que les gens ont commandé. Après réflexion, je me suis dit que je peux en faire un business à temps plein et de façon libérale. Je suis dans la rédaction des livres. Je suis dans mon projet digital en aidant les compagnies à vendre leurs produits et services à travers la toile.
Ma spécialisation, c’est d’écrire des e-mails qui vont leur permettre de mieux vendre. Je commence déjà par la rédaction d’un livre blanc en fichier PDF qu’on met en ligne par la suite. Vous téléchargez le fichier, mais en retour, vous allez donner votre contact email, votre nom et prénom. On collecte les informations et, à partir de cet instant, nous commençons une nouvelle relation. Si vous avez téléchargé le document, cela signifie que vous vous êtes intéressé au thème qui a été abordé. On va donc nouer certaines relations. Une fois qu’il y a une certaine base de confiance, on peut alors vous vendre d’autres services.
Quels conseils pouvez-vous donner à ceux qui veulent travailler à l’international ?
Il faut apprendre l’anglais. Même si vous ne voulez pas sortir du pays, il faut apprendre l’anglais parce que c’est une langue qui permet d’avoir accès à des informations de sources. Au lieu d’attendre que le livre soit traduit de l’anglais au français, vous pouvez les lire en avance. Il faut aussi savoir pourquoi on veut aller à l’extérieur. Une fois à l’extérieur, il faut savoir se vendre. De façon générale, les Burkinabè sont très humbles. On a la compétence et l’expertise, mais l’humilité fait qu’on ne va pas se pousser pour arracher certaines opportunités. C’est bien, on peut vendre ses compétences tout en gardant son humilité. Mais, il faut savoir garder cet équilibre.
Pour vendre ses compétences, il faut d’abord faire un inventaire de ce dont on est capable et ce qui manque. Vous devez connaître votre passion, vos centres d’intérêts et relever les aspects où vous avez moins de capacités. Vous devez vous demander : avec qui je dois m’associer pour combler ce vide ? À l’extérieur, il faut aller vendre des valeurs que les gens n’ont pas là-bas. On ne dit pas d’avoir toutes les compétences avant d’y aller. Mais il faut savoir ce qu’on veut et, une fois sur place, vous allez exploiter toutes les ressources de façon plus importante.
Vous avez plusieurs fois remporté des concours d’éloquence en chinois ; pouvez-vous nous parler de ces expériences ?
J’ai fait deux ans à l’université et à la troisième année, j’allais avoir la licence. Avec la bourse, je devais faire un choix difficile. Si je pars, je ne vais pas avoir la licence. En analysant la situation de l’époque, j’ai constaté que des aînés et des camarades faisaient trois ou quatre ans avant de défendre leurs mémoires. Les opportunités arrivent très rarement, je l’ai donc saisie. Une fois à Taïwan, ma première détermination était de faire en sorte que l’année que j’allais passer pour apprendre le chinois ne soit pas une perte. Je me suis posé la question suivante : combien est-ce que je vais gagner après avoir étudié le chinois ? Petite anecdote : il fallait payer les frais de scolarité, en francs CFA, c’était une forte somme d’argent et cela m’inquiétait. Si je disais à mes parents que les frais de scolarité atteignaient un tel montant, ils allaient me dire de revenir au pays avec cet argent. Je me suis dit que c’est le prix à payer pour avoir la connaissance qu’on est venu chercher. Je me suis dit intérieurement que je vais faire en sorte qu’à la fin de mes études, la langue chinoise que j’ai apprise puisse me rapporter ce que j’ai payé comme frais de scolarité. Je me suis donc donné à fond. Personne ne le savait, mais c’était ma motivation première. Quand les gens allaient dans les bars, moi j’allais au dortoir afin d’apprendre le chinois. Après une année, on n’a pas forcément toute la maîtrise de la langue parce qu’elle est très compliquée.
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Pour des raisons évidentes, certains disent que c’est la langue la plus difficile au monde. À la fin de la première année, nous nous sommes spécialisés. J’ai fait le management des affaires internationales. En même temps, je continuais ma formation en apprentissage de la langue chinoise. On m’a même embauché pour être un assistant comme enseignant de chinois. Je me donnais des défis à relever et je m’améliorais dans la langue. Il y avait d’abord ce concours de langue chinoise au sein de l’établissement. J’y ai participé et j’ai été classé premier. Cela m’a donné confiance en moi. Voilà quelqu’un qui a appris le chinois pendant une année et qui a battu des gens qui sont ici avant lui. Après l’école, sur le plan national, il y a eu un concours de langue chinoise qui a été lancé par le ministère des Affaires étrangères taïwanais. Ce concours était dédié à tous les Africains. La première édition a eu lieu en 2010. J’ai remporté le prix et cela m’a réconforté davantage. Je ne dis pas que j’étais le meilleur ou que j’avais la maîtrise parfaite de la langue, mais, je savais utiliser le peu que j’avais étudié. Je savais agencer les choses de façon à ce que je sois dans le sujet. En 2011, il y a eu également la deuxième édition que j’ai remportée. Les gens hésitaient à participer parce qu’ils se demandaient si j’allais participer également. Ils se disaient que si j’y étais, ils n’allaient pas gaspiller leur temps. A la troisième édition, on a dit qu’il faut que je sois membre du jury, plutôt que d’être candidat. Mon apprentissage m’a rapporté de l’argent, et en peu de temps, j’avais récupéré les frais de scolarité que j’avais eu à dépenser en première année.
À côté des joutes oratoires, je faisais également de la traduction. Il y avait des compagnies spécialisées dans les services de traduction qui s’offraient mes services parce que je pouvais traduire du français à l’anglais, de l’anglais au français, du chinois au français et du chinois à l’anglais. Il faut dire également que c’est la langue chinoise qui m’a également emmené à l’Assemblée générale des Nations Unies en 2014, grâce à un concours qui était à sa première édition. Je travaillais comme volontaire au sein d’une école alors que j’étais étudiant. Je dispensais des cours sur l’inter-culturalisme. Plus précisément, le cours portait sur comment faire en sorte que les étudiants internationaux et locaux puissent interagir et s’enrichir mutuellement. J’ai vu ce concours de façon accidentelle et j’ai postulé. La règle pour participer au concours était d’écrire entièrement un essai dans une langue qui n’est pas votre langue maternelle et celle d’instruction.
Je ne pouvais donc pas utiliser le français, les langues nationales ou l’anglais, étant donné que j’avais fait le département d’anglais à l’université. J’ai donc choisi la langue chinoise. Je l’ai rédigé (l’essai) tout seul avec simplicité. On était 4 000 candidats en provenance de 128 pays à travers le monde qui ont participé au concours. J’ai parlé en live en présence de 6 000 personnes présentes dans la salle et à travers le monde. C’était une belle expérience qui m’a fait comprendre qu’apprendre une nouvelle langue peut vous ouvrir beaucoup d’opportunités.
- Lire aussi : Fasobaromètre du 9 juillet 2014
En tant que Burkinabè de la diaspora, comment vous intéressez-vous à ce qui se passe au pays ?
C’est justement à travers les canaux et les plateformes comme Lefaso.net que je m’informe. Presque tous les jours, je m’informe à travers ce canal. Il faut dire que c’est un travail volumineux et intéressant qui est fait par le média. On s’informe sur l’actualité du pays et on découvre de nouvelles choses. Il y a par exemple des portraits de certaines personnes qu’on admirait, surtout des figures de la révolution. Même si souvent les informations ne sont pas complètes, on a un début d’information qui peut nous permettre de chercher d’autres sources en complément. Grâce à vos efforts, on porte toujours le Burkina Faso en nous, même si nous sommes loin de la mère patrie.
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Vous travaillez plus ou moins dans le digital ; de façon générale, quelles solutions le digital pourrait apporter aux problèmes du pays ?
Le digital peut être une solution à la majeure partie de nos problèmes. Il y a par exemple le problème de la monnaie qui est récurrent ici. C’est à l’acheteur de chercher la monnaie, alors qu’ailleurs, cela ne se fait pas. Avec la digitalisation, je pense que certains systèmes qui sont mis en place sont des solutions à ces problèmes. La digitalisation peut simplifier également les tâches quotidiennes comme les courses. Elle permet d’accéder immédiatement à l’information, surtout en cette période que nous traversons.
Il faut dématérialiser certains services afin de faciliter leur accès aux populations. Pendant mes études, j’avais besoin de certains documents. Il fallait donc les transporter du Burkina Faso à Taïwan. Durant la période de Covid-19, il n’était pas possible de les envoyer par la poste. Heureusement, j’ai pu contacter les auteurs qui ont eu confiance en moi en me transférant les fichiers numériques, tout en me demandant de ne pas les partager.
De nombreux jeunes rêvent de s’expatrier ; quels conseils avez-vous à leur donner ?
Le rêve est toujours permis. Il ne faut jamais dire à quelqu’un de ne pas aller à l’extérieur. Mais, il faut avoir une vision de ce qu’on veut. Il faut avoir des valeurs comme l’intégrité. Une personne intègre ne va pas chercher des raccourcis lorsqu’elle aura des opportunités. Par exemple, j’ai eu des opportunités où on me demandait de faire gratuitement des choses. Mais je le faisais comme si j’étais payé. Par exemple, à l’école, on me dit de faire un exercice, j’en fais cinq. Rapidement, je me distingue des autres. C’est pour cette raison qu’à chaque fois qu’il y a une petite opportunité au sein de l’école, je suis appelé.
Aussi, il y a la maîtrise de la langue anglaise. Même si vous vous rendez dans un pays non anglophone, il faut maîtriser la langue parce que cela peut faire en sorte que vous ayez plus d’avantages que les locaux. Une fois là-bas, vous allez être diverti à plusieurs niveaux. Par exemple, il y a des gens qui ne vont pas vous apprécier parce que vous venez d’ailleurs, à cause de votre façon de parler, de votre peau noire, etc. Mais il faut se rappeler qu’on a un rêve et il faut rester attaché à ce rêve.
Une fois qu’on a les compétences, il faut penser au retour. Les compétences doivent vous servir à votre retour. C’est la raison pour laquelle, lorsque j’ai commencé, je me suis intéressé au digital. Je sais que le digital peut me servir partout où je vais, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire ou ailleurs. Alors que si je m’étais spécialisé dans un domaine, valable là-bas et pas ici, je serais inutile. Il faut avoir cette ouverture d’esprit dans l’acquisition des compétences dont on a besoin.
De plus en plus de Burkinabè se mettent à l’apprentissage du chinois, qu’en pensez-vous ?
C’est une très bonne chose. Je sais que dans les débats, certaines personnes ont tendance à dire : « il apprend le chinois au lieu d’apprendre sa propre langue ». Apprendre le chinois ne veut pas dire qu’on abandonne sa propre langue. Je parle toujours ma langue et le français, même si je n’ai plus la flexibilité que j’avais au départ. Apprendre la langue chinoise, c’est avoir une ouverture sur le reste du monde et une autre vision du monde. Vous allez pouvoir apprécier les choses de différentes façons et vous êtes beaucoup plus admirés. Lorsque je parle le chinois, quand on me regarde, les gens disent que s’ils ne me voyaient pas, ils penseraient que je suis un local. Ce n’est pas seulement en Chine qu’on parle le chinois, il y a des pays comme la Malaisie et bien d’autres. Vous vous construisez des opportunités en apprenant la langue.
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Êtes-vous en contact avec d’autres Burkinabè qui résident à Taïwan ?
Oui, plus particulièrement ceux avec qui on a débuté notre aventure. Les relations sont restées intactes. On se donne des informations. Par exemple, si on a des idées d’affaires, on se les partage. Il y a également ceux qui sont venus beaucoup plus tard avec qui on a maintenu les relations. Nous ne sommes pas nombreux, il est donc nécessaire de rester soudés.
Un dernier message ?
Merci à Lefaso.net pour le beau travail abattu au quotidien pour le service des Burkinabè d’ici et d’ailleurs. Merci pour le travail de sensibilisation que vous faites. Cela permet à tout le monde de s’épanouir de là où il est. Merci également à tous ceux qui ont soif de la vraie information qui libère de l’ignorance. Merci à tous les acteurs du pays, tous ceux qui travaillent pour le retour de la paix. Que ce soit ceux qui sont au front ou qui, à travers leurs plumes et compétences artistiques, font en sorte que les cœurs se remplissent de plus en plus d’amour. Nous avons besoin d’amour et de sagesse pour qu’on puisse travailler au développement du pays et nous faire respecter à travers le monde.
SB
Crédit photo et vidéo : Auguste Paré
Source: LeFaso.net
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