Comédien et acteur de renommée internationale, Issaka Sawadogo s’est fait un nom sur les scènes et écrans d’Afrique et d’Europe. Ses grands rôles joués dans de nombreux films et ses nombreuses distinctions lui ont permis d’être une référence dans le monde du cinéma. Dans cet entretien, il revient sur son parcours, les défis du métier d’acteur, ses engagements pour une meilleure représentation des Africains au cinéma, ainsi que son actualité durant cette 29ᵉ édition du FESPACO.

Lefaso.net : Qu’est-ce qui vous a attiré vers la scène et le grand écran ?

Issaka Sawadogo : J’avais avant tout besoin de m’exprimer. J’avais des critiques à formuler, des injustices à dénoncer. Avec le temps, j’ai compris que c’était surtout une quête existentielle qui m’animait. Le théâtre est devenu l’espace privilégié pour poser ces questions et dialoguer avec le public.

Vous jouez en mooré, en français, en anglais et en norvégien. Comment avez-vous réussi ces prouesses ?

J’éprouve ce besoin vital de m’exprimer, de partager mon regard sur le monde. Cette quête qui m’habite dépasse les langues. Sur scène ou à l’écran, je m’exprime naturellement en mooré, ma langue maternelle, mais je maîtrise également le français et l’anglais. En arrivant en Norvège et en intégrant le Théâtre national, j’ai appris la langue pour pouvoir communiquer et surtout exercer mon métier. Être acteur, c’est être professionnel des arts de la scène et de l’image.

Grâce aux outils de notre discipline, on apprend à naviguer entre les langues. J’ai développé une technique qui me permet d’interpréter un rôle quelle que soit la langue. C’est aussi parce que, tout simplement, je suis un professionnel. Je suis professionnel des arts du spectacle et aussi de l’image. Je sais qu’il y a beaucoup qui ont des difficultés à le faire, mais j’ai pu développer une technique pour pouvoir le faire.

Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées en tant qu’acteur en Afrique et en Europe ?

Les obstacles sont globalement similaires. Partout, les artistes exercent dans un cadre libéral. En l’absence d’un contrat au sein d’une institution comme un théâtre national ou une grande maison de production, l’acteur est freelance. Il doit alors se gérer lui-même, chercher des opportunités et organiser sa carrière. Cependant, en Afrique, le métier d’acteur est encore souvent mal perçu. On n’y voit pas toujours une profession à part entière, comme celle de médecin ou d’enseignant.

Lorsque l’on dit que l’on est acteur, beaucoup pensent qu’on est chômeur. C’est une question de perception culturelle. Il nous appartient de faire comprendre que c’est un véritable métier. On peut s’enregistrer auprès des autorités, obtenir une carte professionnelle, cotiser à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), souscrire à une assurance et payer ses impôts. En Europe, ce cadre est déjà bien établi, ce qui facilite la reconnaissance du métier.

Parmi les différents rôles que vous avez joués, lequel vous a le plus marqué et pourquoi ?

C’est une question difficile. Pour un acteur, chaque rôle est un défi singulier. Chaque personnage que j’ai incarné m’a marqué à sa manière. Je suis content et tous les rôles me plaisent. Franchement, si je vous dis qu’un rôle m’a marqué plus qu’un autre, je mens à moi-même.


Avez-vous déjà refusé des rôles et pourquoi ?

Oui, j’ai refusé des rôles véhiculant une image dévalorisante de l’homme noir. En tant que noir, je refuse d’être l’outil d’une narration perpétuant les clichés tels que le noir esclave, misérable, à sauver. Je rejette ces personnages qui rabaissent l’image de l’Africain. Certains producteurs européens imposent aussi des censures sur des sujets sensibles comme la colonisation ou l’exploitation des ressources africaines. Par exemple, si un Africain veut parler des méfaits de la colonisation, des méfaits de l’impérialisme et de l’exploitation qui se fait en Afrique, ils vont refuser. Ils diront qu’il faut enlever cette partie. Alors que quand c’est eux qui sont mis en valeur et que l’on tape sur le noir, ils financent tout de suite si tu acceptes de faire. Et moi, je dis non, non et non à ça.

Est-ce que vous pensez que le théâtre et le cinéma collaborent bien au Burkina Faso ?

Ceux qui connaissent le métier savent que les meilleurs acteurs de cinéma ont souvent fait leurs armes sur les planches. Le théâtre forge l’acteur. Il lui apprend la rigueur, l’analyse approfondie d’un personnage, la discipline. Les comédiens de cinéma sans cet ancrage finissent souvent par se répéter, tourner en rond. Cela se perçoit à l’écran. Je conseille vivement aux acteurs de cinéma de passer par le théâtre. Il y a beaucoup de comédiens dans le cinéma qui, quand on leur donne des rôles, ne peuvent pas se dépasser.

Ils arrivent à un niveau où ils ne font que buter. Peu importe le rôle qu’on leur donne, ils retombent dans leurs habitudes. Ça veut dire que l’acteur n’a pas suffisamment de marge de travail, de connaissances approfondies sur le personnage de l’acteur. C’est pourquoi c’est important que les acteurs de cinéma qui ne sont pas passés par le théâtre se mettent à l’école du théâtre pour se découvrir eux-mêmes.

Quel rôle allez-vous jouer lors du FESPACO 2025 et avez-vous des projets qui y seront présentés ?

Il faut dire que cette édition du FESPACO 2025, comme les autres du FESPACO, nous interpelle en tant qu’acteurs de la culture burkinabè. En plus, nous devons chacun apporter notre contribution, notre pierre, pour conserver l’édifice national. Personnellement, il y a des films dans lesquels j’interviens qui vont être diffusés. Et deuxièmement, j’ai mis en place le projet FESPACO Kids, un projet de projection en plein air. Je ramène la fête du cinéma aux côtés de nos mamans, de nos enfants, des personnes démunies qui n’ont pas la possibilité de s’octroyer un billet pour aller voir un film dans les salles en centre-ville.

Nous avons donc proposé au FESPACO de faire le FESPACO Kids avec l’appui de certains partenaires. Nous avons un camion qui se déploie avec trois écrans et un podium. Nous avons mobilisé des artistes musiciens, du théâtre et du cinéma qui vont faire des sketchs, de l’humour, des chants.

Il y a aussi des films que nous avons sélectionnés qui ne sont pas des films en compétition pour les projeter dans certaines localités. On a défini six localités autour de Ouagadougou qui vont recevoir deux jours de manifestations, de projections en plein air avec des prestations d’artistes. Cette année, l’innovation, c’est que nous avons organisé des mini-foires.

Les commerçants qui sont dans les différentes localités ont la possibilité de venir faire du business autour de cet événement qui est une fête nationale. Donc, le FESPACO nous a octroyé son autorisation via le ministère de la Culture et nous faisons maintenant des approches au niveau des différentes localités pour les impliquer aussi. Nous y travaillons depuis presque 3 mois et nous commençons avant le début du FESPACO, le 18 février.

Si vous avez un conseil à transmettre à la nouvelle génération d’acteurs burkinabè, quel serait ce message ?

Je dis aux acteurs burkinabè de persévérer dans leur travail, d’y croire et de foncer. C’est vrai que c’est un métier qui n’est pas encore au top de son développement ici en Afrique, pas seulement au Burkina Faso, et qui rencontre énormément de problèmes. Mais je pense que si d’autres ont réussi et font aujourd’hui la pluie et le beau temps dans leur pays, nous en sommes aussi capables. Je prends mon exemple. J’ai suivi des formations à l’école qui n’ont rien à voir avec le cinéma ni le théâtre.

Mais aujourd’hui, si depuis plus de 30 ans je vis de ça, c’est que ça nourrit son homme. Il faut y croire. Il faut aller chercher les éléments, les outils qui vont te permettre de rentabiliser, d’avoir du pain sur la table et de payer tes factures. Je souhaite beaucoup de courage à tous ! Que Dieu bénisse le Burkina Faso, qu’il nous donne la paix et la santé. Qu’il nous ouvre les portes du succès et du développement. Et qu’il donne l’intelligence à chacun de pouvoir se défendre et s’en sortir.

Farida Thiombiano

Lefaso.net

Source: LeFaso.net