L’Institut des peuples noirs (IPN) dont la création officielle a été actée au cours d’un symposium international en 1986, a suscité bien d’espoirs à travers le monde, surtout le continent africain. Malheureusement, il a sombré dans un coma profond, après la mort de son géniteur, le Président du Conseil national de la Révolution, le capitaine Thomas Sankara. Cet institut va-t-il enfin renaître de ses cendres ? C’est la question que beaucoup de gens se posent aujourd’hui, après l’annonce du Président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré de lui redonner vie.
Dans son message à la Nation du 31 décembre 2024, le président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré a dit ceci : « Notre diplomatie rayonne et nous poursuivrons notre démarche pour qu’elle puisse être encore plus forte et que les représentations du Burkina Faso à l’extérieur puissent prendre en compte notre diaspora et aussi prendre en compte tous les amis du Burkina Faso qui souhaitent visiter le Burkina Faso, participer au développement du Burkina Faso. C’est dans ce sens que nous serons un exemple de souveraineté, un exemple de dignité et une fierté à travers l’Afrique et à travers tout le monde entier. L’Institut des Peuples Noirs (IPN) devra être un tremplin pour attirer au Burkina Faso tous les Noirs du monde entier qui viendront se ressourcer, revoir les cultures et pouvoir apprendre de nos cultures, les moderniser pour faire développer notre Patrie. Un bâtiment sera érigé au niveau du musée pour prendre en compte certains aspects de notre culture pour que l’institut puisse se baser sur ces valeurs-là et enseigner au monde entier ce que c’est que le peuple noir, ce que c’est que l’Afrique. »
Voilà de quoi ressusciter un rêve brisé du président Noël Isidore Thomas Sankara pour en faire, nous l’espérons, une réalité vivante et pérenne. Pour mémoire, ce projet d’institut lui tenait vraiment à cœur. Malheureusement, le président Sankara est parti de façon brutale et atroce, emporté pas ses bourreaux, sans voir en la réalisation de l’IPN, le bout du tunnel. Même si cet institut a connu une sorte de renaissance en 2020, suite à une décision du gouvernement d’alors de mettre en place un secrétariat technique pour lui donner une chance de visibilité, il n’a pas vécu l’envergure escomptée.
Frappé depuis sa création, d’une certaine léthargie, en partie à cause d’une certaine hostilité à l’échelle internationale à son égard, ce brillant projet mérite aujourd’hui une exhumation de sauvetage. Et c’est ce à quoi le président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré entend s’investir dans l’espoir et l’espérance de redonner à l’IPN ses lettres de noblesse. L’acte à poser est donc à apprécier et à saluer à sa juste valeur, en mémoire non seulement du président du Conseil national de la révolution, le capitaine Sankara mais aussi et surtout en faveur et dans l’intérêt du monde entier.
L’IPN tel que le concevait le président Sankara
Dans le rétroviseur de l’histoire, il vous souviendra que le Président du Faso, le capitaine Thomas Sankara tenait beaucoup à la réalisation de l’Institut des peuples noirs (IPN). Pourquoi ? Sa réponse est sans équivoque : « Il nous faut cet institut pour que tous les hommes, Noirs, Blancs ou de tout autre couleur, y viennent pour connaître ce que l’homme noir lui aussi apporte à l’humanité. Cet institut sera pour tous et permettra à chacun de venir témoigner de ce que l’homme noir a fait hier, de ce qu’il fait aujourd’hui et de ce qu’il fera demain. On parle souvent des grandes civilisations en oubliant le Noir et c’est ce qu’il faut réparer. Sans les Noirs d’Afrique, la France ou l’Angleterre seraient aujourd’hui des colonies d’Hitler ! Et pourtant, on ne veut pas leur reconnaître leur mérite. On parle de musique comme si le Noir n’a rien apporté à la musique universelle. Extrayez de la musique la part de l’homme noir, et il ne reste plus que quelques bourdonnements qui ne réussissent plus à faire vibrer un homme car le rythme c’est d’abord nous. Dans tous les domaines, le Noir a apporté sa part et l’IPN doit contribuer à faire connaître cette part. Cet institut n’a pas une coloration raciste car son objectif est de connaître pour mieux participer. Lorsqu’il sera ouvert, les hommes de toute couleur qui ont quelque-chose à apporter, seront conviés… Nous avons à communiquer, communiquer pour balayer nos différences, communiquer pour nous permettre de nous accepter mutuellement… Voilà notre vision de cet Institut des peuples noirs ! Nous connaître pour mieux participer. Mais il ne faut certainement pas donner à cet institut une coloration raciste… Nous souhaitons que cet institut puisse réussir et faire en sorte que demain il n’y ait plus qu’une seule couleur dans le monde entier… Et lorsque nous aurons fusionné toutes les couleurs, on sortira quelque-chose de différent mais peut-être de très beau » .
Pour le président Sankara, « L’IPN se veut un centre d’importance et d’intérêt. Et ce centre vise à la régénérescence dynamique et positive de la culture africaine noire, démarquée des visions sentimentalistes, contemplatives et exclusivement philosophiques des tenants de la négritude. Nous ne voulons pas contempler l’homme noir, mais au contraire, lui montrer qu’il recèle en lui des valeurs utiles à l’émancipation de son peuple et concourant également à l’affermissement de l’amitié entre tous les peuples. Car il faut comprendre la création de ce centre non pas comme une attitude raciste, à rebours, mais comme un moyen d’insérer le peuple noir dans le concert de l’humanité en apportant sa touche. C’est pourquoi nous ne manquons pas de souligner qu’à ce centre travailleront des Noirs d’Afrique et d’ailleurs, mais également des non-Noirs qui voudraient venir parler de la sensibilité de l’homme noir, de ce qu’ils savent ou de ce qu’ils attendent de ce dernier. Nous voudrions que notre idée ne soit pas confondue avec celle, déjà entendue, réclamant le regroupement des Etats d’Afrique noire, et ce, par opposition avec les Etats d’Afrique blanche, notamment les Arabes. Notre idée n’a rien à voir avec celle-là et même mieux, nous disons que nous ne voyons pas l’intérêt d’un regroupement des Etats d’Afrique noire car nous y appréhendons le danger d’une nouvelle balkanisation au profit de l’impérialisme. Nous nous garderons pour notre part de faire de notre centre une institution exclusive et sectaire. Par conséquent, les intellectuels arabes, d’Afrique surtout, seront les bienvenus dans ce centre. L’Histoire passée et présente de nos peuples inclut la partie arabe, et on ne peut parler des peuples africains, sans parler des Arabes » .
Les peuples noirs appelés à assumer leur propre histoire et à contribuer à la civilisation de l’universel
Dans son allocution à l’ouverture du symposium international sur la création de l’IPN, le 21 avril 1986, à la salle de conférence de la Communauté économique ouest-africaine (CEAO), le Président Sankara justifie mieux la pertinence de cet institut en ces termes : « Partis de nos continents, de nos pays, de nos îles respectives, nous avons accepté de nous réunir aujourd’hui à Ouagadougou, capitale de la terre libre du Burkina Faso pour une cause, un but qui peut-être fera enfin souffler sur nos têtes, sur leurs têtes, sur ceux comme disait Aimé Césaire ‘qui n’ont jamais inventé ni la poudre ni la boussole… », mais qui connaissent bien les tréfonds de la souffrance, le vent de l’espoir.
En effet, aujourd’hui nous nous sommes réunis pour essayer ensemble, sans exclusive, de réfléchir sur l’idée, sur le projet de création d’un Institut des peuples noirs. Projet audacieux ; pari redoutable, on s’en doute !
Quand il nous est venu à l’idée la création d’un cadre de rencontre de tous les peuples noirs de cette planète, nous ne nous sommes pas une minute, mépris de la hardiesse de la tâche. Mais nous avions aussi à cœur et à l’esprit comme un leitmotiv le slogan de nos plus jeunes militants, les pionniers ‘’Oser lutter, savoir vaincre. » Alors nous avions vu que nous pouvions arracher des montagnes pour qu’enfin, tous les peuples noirs du monde puissent enfin se connaître dans un cadre, un lieu où se ressourcer.
Il était à notre sens devenu impérieux pour que devant l’histoire, les Peuples noirs, l’Afrique et ce qu’on appelle la diaspora noire, répondent tous ensemble à cette question – et c’est à mon avis cette question-là – qui fonde l’IPN et sa mission : qu’est-ce que les peuples noirs ont fait, peuvent et doivent encore faire pour assumer leur propre histoire et contribuer par cela à la civilisation de l’universel ?
En effet, que sommes-nous pour nous-mêmes Noirs et pour les autres ? Le cliché est tout tiré : Peuple de souffrances, Peuple de brimades et d’humiliations, Peuple qui vit encore l’éclatement intérieur de sa personnalité du fait de l’outrage qui fêle sa conscience d’être humain, du fait de la malédiction, de la pigmentation à jamais noire de sa peau.
C’est ainsi que nous entendons que les peuples noirs concernés qui sont en Afrique ou qui en sont partis ont une origine commune, un fond commun que constitue pour eux le patrimoine culturel d’origine vers lequel les ramène leurs luttes contre l’esclavage, contre la colonisation, contre l’apartheid, pour les droits civiques, pour l’indépendance politique et économique…
Mais aujourd’hui, et je m’adresse tout particulièrement à vous Messieurs les invités, honorables séminaristes, les peuples noirs vous regardent. Le monde entier est tourné vers vous, vers le symposium pour lequel vous êtes venus souvent de si loin. Car l’histoire enfin donne raison aux peuples noirs de s’organiser et de développer autour d’initiatives communes déjà existantes, tant en Afrique-mère que dans les pays de la diaspora, leur solidarité active. C’est dans ce cadre que l’Institut des Peuples Noirs devrait être dans la conscience des peuples noirs géographiquement dispersés dans un espace éclaté, un symbole réunificateur, le symbole de leur volonté commune à préserver leurs identités culturelles, leurs génies créateurs et leur dignité.
C’est pourquoi, l’Institut des peuples noirs ne sera pas clos, ni sur lui-même, ni sur son objet, c’est-à-dire les peuples noirs. Il sera ouvert aux autres peuples. C’est la condition primordiale pour les peuples noirs de réapprécier leur patrimoine historique, de redéfinir leur identité totale dans le monde contemporain. L’Institut des peuples noirs, ses objectifs, ce sera à notre sens toujours s’affirmer et participer au dialogue des cultures, c’est pour nous la compréhension entre les peuples quelle que soit leur couleur.
Confiant en ces réflexions riches et fructueuses qui se dégageront de vos travaux au cours de votre symposium que je souhaite franc et loyal, Messieurs les invités, honorables séminaristes, il importe que jamais ne quitte les esprits que l’œuf qui devait éclore doit être le creuset de rencontre, d’échange et de coopération loyale entre les peuples du monde entier.
Pour ce faire, vous devez, au cours de vos présentes assises, vous départir de l’enthousiasme et de la passion qui découvriraient toutes les bonnes causes et intentions du projet. Vous devriez vous inspirer plutôt de prudence, de précautions pour ne tenir compte que des intérêts des peuples noirs et des autres peuples pour l’Institut des peuples noirs, pour ses préfigurations qui doivent nécessairement être adossées à des principes et orientations formulés, consentis et acceptés par le plus grand nombre possible. Messieurs les invités, honorables séminaristes, le Burkina Faso n’est que l’humble initiateur d’un projet, d’une idée collective avant tout démocratique, voire universelle, par conséquent dénationalisée, dépersonnalisée pour devenir le cheval de bataille de tous ceux qui ont de tout temps entretenu, par quelque moyen que ce soit, l’espoir de voir l’unité culturelle des peuples noirs à travers un cadre de réflexion commune. A cela, il conviendrait de rendre hommage aux martyrs, aux combats politiques, artistiques, scientifiques, littéraires de tous ceux qui ont cru, croient à l’avènement de la ‘’civilisation de l’universel » c’est-à-dire à l’amour et à la solidarité.
C’est à cette réflexion que vous êtes conviés, vous qui avez accepté, malgré les distances, malgré les emplois de temps très souvent chargés, d’apporter votre inestimable concours -j’en suis d’ores et déjà persuadé- à l’édification d’un idéal commun… » .
Les conclusions du symposium de Ouagadougou en rappel
De la résolution générale issue de ce symposium international tenu à Ouagadougou (Burkina Faso) du 20 au 26 avril 1986, sous la direction du Professeur Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l’OUA (décédé le 11 avril 2020, de suite d’AVC, à l’Hôpital américaine de Paris, Neuilly-sur-Seine, France), les participants : « convaincus de la nécessité d’établir un programme d’échanges et de coopération entre les peuples noirs d’une part et entre les peuples noirs et les autres peuples du monde d’autre part, (…) saluent l’initiative prise par le Capitaine Thomas Sankara, Président du Conseil national de la révolution, Président du Faso, d’organiser cet important symposium ».
Ils « affirment qu’il est opportun de créer un Institut des peuples noirs (IPN), symbole réunificateur, symbole de la volonté commune des peuples noirs de préserver leur identité culturelle, leur génie et leur dignité ». Par ailleurs, ils ont demandé au Capitaine Sankara, de prendre, en relation avec le Comité scientifique international que le symposium a mis en place, « les mesures nécessaires à réunir dès que possible l’Assemblée constitutive de l’Institut des peuples noirs ».
Cette assemblée constitutive de l’IPN s’est effectivement tenue à Ouagadougou du 7 au 10 avril 1990, sous l’ère du Capitaine Blaise Compaoré, devenu alors Président du Faso. Elle s’est tenue sans le Capitaine Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987. Mais le constat aujourd’hui est que le projet n’a pas survécu après la mort de son géniteur ! On peut alors se demander si finalement, et comme certains esprits le croient et le font croire, « l’Afrique n’est-elle pas maudite ? ». Peut-être que comme le relève le Professeur Laurent Bado, enseignant-consultant qui a réalisé un audit organisationnel de l’IPN en mai 1997, « Elle (l’Afrique) s’oublie et est oubliée ». Mais qu’à cela ne tienne, renchérit le Pr Bado, « l’Afrique, berceau de l’humanité et de la première grande civilisation de l’histoire (civilisation égyptienne) doit retrouver et recouvrer son passé pour gérer le présent et baliser son avenir » .
Une œuvre gigantesque qui requiert la contribution de tous les peuples
En s’engageant dans la voie de redonner vie à l’Institut des peuples noirs, le président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré se fait donc le continuateur de cette œuvre gigantesque du président Sankara dont la dynamique a été brisée par son assassinat le 15 octobre 1987. Le défi est lourd à relever certes, mais l’espoir reste permis au regard de l’esprit d’engagement et de détermination, d’organisation et de méthode, reconnu au capitaine Ibrahim Traoré dans la gestion des grandes œuvres, au bénéfice non seulement des peuples noirs, mais de l’humanité entière. C’est donc dire que le combat pour l’exhumation et la vie rayonnante de cet institut ne doit pas reposer sur les seules épaules du capitaine Ibrahim Traoré.
La contribution de tous les peuples du monde est par conséquent attendu, afin qu’ils puissent enfin se connaître et se reconnaître dans un cadre, un lieu où se ressourcer avec les valeurs et le génie des peuples noirs. Mais faut-il le rappeler avec insistance, la création de l’IPN n’a pas pour vocation d’opposer un peuple à un autre, une couleur à une autre, encore moins une civilisation à une autre. Il s’agit pour l’IPN d’assurer une différence fondamentale, une différence fondée non pas sur la couleur de la peau mais sur les disparités culturelles et artistiques, historiques et philosophiques, dans la complémentarité réciproque avec les autres peuples de notre planète.
Sita Tarbagdo (Collaborateur)
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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