Lassina Ouattara est docteur en Lettres modernes, spécialisé en grammaire et didactique du français. Il a soutenu sa thèse de doctorat unique à l’université Joseph Ki-Zerbo, en Lettres modernes, le 10 juin 2024. Il a décortiqué le thème suivant : « La norme grammaticale entre règle et usage dans le texte administratif et journalistique au Burkina Faso : formes concurrentes, perspectives lexicographiques et didactiques ». Le jury, après délibération, a sanctionné ses travaux par la mention ‘’Très honorable ». Dans cet entretien accordé au journal Lefaso.net, le lundi 30 décembre 2024, le Dr Lassina Ouattara revient sur le choix de ce thème, les objectifs poursuivis par ce sujet de recherche, les conditions de la recherche sur le terrain et les résultats auxquels il est parvenu. Entretien !
Lefaso.net : Présentez-vous à nos lecteurs ?
Je suis Lassina Ouattara, professeur certifié des lycées et collèges en service au Lycée de Nioko. Par ailleurs, j’ai été fraichement élevé au grade de docteur de l’université Joseph Ki-Zerbo, en Lettres modernes, dans la spécialité grammaire et didactique du français. Et j’ai travaillé sur le sujet suivant : « La norme grammaticale entre règle et usage dans le texte administratif et journalistique au Burkina Faso : formes concurrentes, perspectives lexicographiques et didactiques ».
Pourquoi le choix de ce thème ? Et quels sont les objectifs poursuivis par ce sujet de recherche ?
Avant d’avancer dans l’échange, qu’il me soit ici permis de rendre un hommage mérité à d’éminents professeurs grâce auxquels cette thèse que j’ai eu l’honneur de présenter a pris graduellement forme jusqu’à terme. Sans être exhaustif, je voudrais ici nommément citer le Pr Sidiki Traoré, mon directeur de thèse, de qui j’ai énormément appris et en qui je vois un mentor. Je ne saurais également taire le nom du Pr Youssouf Ouédraogo, de qui j’ai également beaucoup appris, qui a été l’examinateur de ma thèse et qui reste, disons-le avec beaucoup d’euphémisme, une référence de la grammaire française au Burkina. Ces deux ont su susciter, attiser et aiguiser ma passion pour la grammaire française. Je termine par un autre baobab, et pas des moindres, du département de linguistique, le Pr Alou Keïta, qui a présidé ma soutenance de thèse et dont les observations ont apporté une plus-value à mes travaux. En si peu temps de collaboration, j’ai immensément tiré profit de son expertise. Nul besoin de préciser que les apports de ces éminents professeurs, dans la réalisation et la finalisation de cette thèse, ont été d’une réelle préciosité d’autant plus que leurs travaux m’ont servi de boussole et de balises pour conduire la présente recherche.
Revenant à vos questions, relevons que tout est parti de l’observation d’une certaine démarcation dans l’usage burkinabè de certaines formes linguistiques par rapport au français de référence. En analysant effectivement le français burkinabè sous l’angle de l’écart qui s’y déploie par rapport au français de référence, l’on s’aperçoit d’un certain usage qui se démarque de ce français de référence et qui est en passe de s’établir comme norme dans les pratiques langagières courantes. Cet usage, vu a priori comme écart par rapport à la norme, tend à évincer l’usage prescrit par les ouvrages de référence. Quand on s’aperçoit ainsi de la démarcation croissante de cet usage ‘’burkinabè » de la norme prescrite au point de supplanter insidieusement la langue étalon, laquelle démarcation prend aujourd’hui un caractère irréversible, il devenait légitime de creuser en profondeur pour en cerner les déterminants possibles. Aussi la présente thèse a-t-elle ambitionné de faire le point de ces usages qui rendent compte de cette démarcation dans l’usage burkinabè de certaines formes linguistique du français, mais aussi d’élucider les déterminants profonds de cet écart irréversible entre l’usage et la norme, c’est-à-dire ce qui est valorisé et élevé au rang de modèle.
Il serait peut-être aussi intéressant, au passage, de justifier le choix des écrits administratifs et journalistiques comme support sur la base duquel cette recherche a été menée. Les phénomènes étudiés, c’est-à-dire les écarts récalcitrants, sont le fait de l’usage général et une écoute attentive de l’usage courant burkinabè permet de s’en apercevoir. Mais pour éviter de devoir fonder nos analyses et nos conclusions sur des données empiriques, nous avons convoqué deux productions acrolectales de l’élite intellectuelle non littéraire que sont les écrits administratifs et journalistiques pour que l’hypothèse d’une norme en cours de formalisation soit concluante. En effet, si au résultat, l’on s’aperçoit que l’usage de ce groupe d’usagers, supposé mésolectal ou acrolectal, recèle des formes linguistiques récalcitrantes suspectées de concurrencer l’usage normé, celles-ci conforteraient l’hypothèse qu’il existe un autre usage en cours de formalisation comme norme et à même de concurrencer l’usage valorisé. Les écarts rebelles à la correction que peut en effet ressasser l’usage de ce groupe d’usagers de la langue, peuvent requérir la légitimité d’usages dignes d’intérêt, c’est-à-dire des usages qui, quoique critiqués, s’imposent pour combler aussi bien les besoins de communication que certains déficits du langage correct. Ceci justifie pourquoi les écrits administratifs et journalistiques ont été privilégiés pour cette analyse.
La formulation du thème, vous l’aurez également remarqué, débouche sur des perspectives lexicographes et didactiques. Cela s’adosse au fait que l’usage courant, en valorisant d’autres usages en marge des usages prescrits, les élève au rang de normes. L’usage courant parvient ainsi à mettre en œuvre des usages concurrents qui s’arrogent tous le statut de norme et qui restent de fait une difficulté à laquelle s’achoppent lexicographes et enseignants dans leurs pratiques respectives. En effet, le lexicographe, au regard du caractère descriptif de son approche de la langue, laquelle privilégie la totalité des usages, est confronté à ces usages concurrents face auxquels il doit faire des choix puisqu’il ne saurait manifestement inventorier toute la langue dans un même ouvrage. L’enseignant dont les pratiques d’enseignement sont supposées valoriser une norme unique, est également sujet à l’hésitation, à la perplexité face aux formes concurrentes, toutes pressenties comme normes, ou face à une norme qui est aujourd’hui faite à la fois de la règle et de l’usage. À quoi doivent-ils alors s’en tenir dans leurs différentes pratiques ? Cette thèse a ainsi également visé à fournir un avis argumenté assorti de propositions sur les implications lexicographiques et didactiques de ces normes concurrentes que nous appelons indifféremment usages concurrents ou formes concurrentes : les usages prescrits et consignés dans les ouvrages de référence et les usages en marge qui s’observent dans les pratiques langagières courantes et que l’on ne peut s’empêcher de reconnaître comme norme.
Quelle synthèse faites-vous des résultats auxquels cette recherche vous a conduit ?
Au résultat, il ressort qu’il y a effectivement une démarcation entre l’usage burkinabè et le français de référence dans l’usage qui est fait de certaines formes linguistiques. Mais cette démarcation ne doit pas d’emblée être interprétée comme une incompétence des usagers, mais, en dernière analyse, comme une forme d’appropriation du français par les Burkinabè, laquelle, sans desservir la langue, contribue plutôt à l’enrichir en la dotant d’autres possibilités d’usages et de constructions. Un exemple de forme d’appropriation est l’usage quelque peu abusif de la majuscule, surtout dans les écrits administratifs burkinabè. Ces majuscules dites de déférence que l’on donne de façon plus ou moins systématique aux noms de dignités, titres et fonctions au mépris des règles, me semblent légitimes dans le contexte burkinabè. Majuscules de respect, de déférence, leur prépondérance dans les écrits administratifs est en fait caractéristique des valeurs qui nous sont intrinsèques lesquelles transparaissent dans nos habitudes coutumières, sociétales et langagières. La déférence qui est ainsi alléguée et mise en avant pour justifier de tels emplois de la majuscule commande de donner une certaine légitimité à ces emplois, mais dans les limites d’une norme localement valorisée, une norme qui reflète nos normes et nos valeurs.
Il est également à relever que la démarcation croissante et irréversible des usages de la norme, au-delà de la compétence des usagers, est imputable au système de la langue elle-même du fait de ses subtilités et de ses incohérences grammaticales, à la faute de ses spécialistes du fait de leur désaccord sur certaines questions occasionnant l’existence de règles variables, au culte de la personnalité pour ce qui concerne certains écarts liés à l’emploi de la majuscule, au caractère vivant de la langue et enfin à la faute de l’usage courant et fautif des locuteurs supposés avertis comme facteur aidant à accréditer et à relayer certains écarts en les imposant comme exempts d’incorrection aux yeux des locuteurs moyens ou non avertis. Nombre des raisons expliquant les écarts rebelles, leur caractère récalcitrant et le fait que ces écarts s’imposent dans l’usage en comblant efficacement et économiquement les besoins de communication ainsi que certains déficits de la langue correcte, tendent d’une certaine façon à les légitimer et à commander que l’on donne à ces formes récalcitrantes une certaine légitimité par voie de normalisation. C’est ce à quoi ont été consacrées les perspectives lexicographiques et didactiques qui transparaissent dans le sujet de recherche et par le truchement desquelles il a été fait quelques propositions argumentées pour parer aux cas litigieux (les règles et les pratiques sur lesquelles il n’y a pas d’unanimité entre les spécialistes) et pour plaider en faveur de la légitimation de certaines formes comme autres possibilités d’usages ou de constructions que permet la langue. Il ne s’agit que des avis argumentés à l’attention de l’autorité langagière compétente qui seule peut donner de la voix pour entériner ces propositions. Ce rôle est joué par le Conseil supérieur de la langue française à travers certains organismes que sont l’Académie française (en France), l’Académie royale de langue française (en Belgique) et l’Office québécois de langue française (au Canada). Mais quand il s’agit des questions d’une portée locale, l’autorité langagière locale, s’il en existe, peut se saisir de certaines questions touchant aux pratiques langagières pour légiférer localement. Ceci est donc une sorte d’appel à la création, pourquoi pas, d’une commission de la langue française en Afrique et peut-être aussi de sous-commissions dans nos pays pour statuer sur les questions d’une portée strictement locale. On se rappelle qu’en 1975, le 10 octobre précisément, le Sénégal, par décret pris par Léopold Sedar Senghor alors président de la République, a passé en revue les règles encadrant l’emploi des majuscules dans les écrits administratifs. De telles initiatives peuvent être localement engagées pour réguler certains usages. Il peut en être ainsi au Burkina où il y a grand besoin d’encadrer et d’harmoniser les usages de la majuscule dans l’écrit administratif qui offre en la matière des pratiques on ne peut plus disparates. Les sous-commissions qu’il conviendrait de créer pourraient alors se prononcer sur de tels aspects.
La démarcation croissante et irréversible des usages de la norme aura également permis de mettre le doigt sur la complexité de la norme grammaticale française si bien que les usagers de la langue ne sont pas à être, de tout temps, chargés pour le caractère incorrect de leur expression parce que la langue elle-même et ses spécialistes les y prédisposent. En effet, les nombreuses subtilités de certaines règles, l’incohérence manifeste dans d’autres et le caractère variable d’autres encore d’un spécialiste à un autre peuvent, sans disculper les usagers, permettre de les comprendre. Il me semble en définitive opportun de concéder qu’il s’impose aujourd’hui la nécessité d’aller vers une simplification de la norme grammaticale française. Mais que l’on se rassure, cela n’entamera en rien les finesses de la langue et n’attentera pas non plus à sa noblesse. D’ailleurs, pour qu’une langue s’impose comme langue de grande communication, elle doit, de façon intrinsèque, être facile d’accès en comportant moins de subtilités pour que l’on dépense moins de temps et d’effort pour son apprentissage, sa réalisation et son interprétation. L’anglais, de toute évidence, semble avoir gagné ce pari par rapport au français réputé difficile et complexe avec des règles dont la maîtrise est régressivement l’apanage du plus grand nombre de ses locuteurs. Il n’est donc pas étonnant que le pouvoir d’attraction du français soit en perte de vitesse par rapport à l’anglais.
Par ailleurs, dans un contexte où le besoin de l’économie linguistique conditionne de manière essentielle le changement linguistique, un contexte où fluidité, célérité et simplicité sont les maîtres mots qui président aux destinées de la langue, la simplification de la norme grammaticale française, si elle n’est pas opportune, elle ne saurait d’aucune manière desservir la langue.
Comment s’est passé le travail sur le terrain pour aboutir à ce résultat ?
Je commencerais par relever que dans le domaine de spécialisation qui est le mien, la grammaire française, la réalisation de nos travaux repose beaucoup plus sur un travail de recherche documentaire privilégiant de fait des méthodes qualitatives. Une telle recherche repose moins sur un travail de terrain. Il ne s’agit donc pas d’un travail qui exige d’aller sur le terrain pour collecter des données à partir de méthodes quantitatives. C’est beaucoup plus « un travail de bibliothèque », un travail qui exige beaucoup de sacrifices en termes de lecture ou de documentation à parcourir. C’est pour dire que pour la réalisation de ce travail, il m’a fallu des lectures conséquentes. Et la première année de thèse y a été essentiellement consacrée.
Comment vous sentez-vous dans votre peau de Dr désormais ? Que comptez-vous faire pour la suite ?
Je n’ai pas le sentiment d’avoir accompli grand-chose. La thèse étant, pour ma part, l’expression des premiers pas du chercheur dans le monde de la recherche, elle m’a juste permis de tâter ce monde dans le domaine des sciences du langage et m’a ouvert les yeux sur les grands défis qui subsistent et se dressent sur mon chemin. Le point de satisfaction que je pourrais cependant signaler est que cette thèse fraîchement soutenue m’a permis d’optimiser mes compétences d’enseignant de français. Elle me permet in fine d’aborder mes pratiques de classe avec beaucoup plus d’aisance, de dextérité et d’assurance. La grande satisfaction que j’en tire est donc celle d’apporter une bien meilleure contribution aux questions liées à la maîtrise et à l’appropriation de la langue par son enseignement.
Pour la suite, étant donné le profil académique et le fait que j’exerce déjà en tant qu’enseignant, il est tout naturel que je veuille évoluer dans le domaine, mais au niveau supérieur en tant qu’enseignant-chercheur, à moins que le destin ne décide autrement. Mais déjà, avant que cela ne soit effectif par un recrutement, je voudrais, grâce aux nouveaux acquis, essayer de mettre mes compétences au service des institutions d’enseignement supérieur et de recherche en qualité d’enseignant vacataire. J’entends ainsi apporter ma modeste contribution à l’enseignement de certains modules tels que la grammaire normative du français, la technique d’expression écrite et orale, la rédaction administrative, l’histoire de la langue française, la stylistique française et j’en passe. J’ai par ailleurs acquis de solides compétences en matière de correction ou de révision de textes en français, que j’entends bien mettre au service de quiconque viendrait à en exprimer le besoin moyennant bien sûr certains frais. En cas de besoin, je voudrais, avec bien entendu votre accord, préciser que suis joignable aux adresses mail et téléphonique suivantes : biglass1er@gmail.com, 00226 72 41 60 46 (WhatsApp). À l’attention donc des lecteurs du journal Lefaso.net : pour le toilettage de vos textes, quels qu’ils soient, thèses, mémoires, rapports de stage, etc., n’hésitez pas à me contacter aux adresses précédemment signalées.
Je voudrais clore mon propos en remerciant le Dr Cyriaque Paré, directeur général de l’ISCOM pour m’avoir vraiment tendu la main. J’exprime aussi ma sincère gratitude au journal Lefaso.net pour l’occasion inédite qui m’a été faite de livrer un bref aperçu de mes travaux de thèse à travers ce média. Je voudrais également réitérer ma reconnaissance au Pr Sidiki Traoré de qui tout est parti. Merci également à vous M. Zongo de m’avoir accordé cette interview.
Que le Dieu des cieux bénisse notre Patrie et lui donne de triompher sur les forces du mal, quelles qu’elles soient et d’où qu’elles viennent !
Propos recueillis par Mamadou Zongo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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