Créé en décembre 2019, le Conseil national de l’économie informelle du Burkina Faso (CNEI-BF) est une structure de coordination qui assure la représentation des organisations professionnelles de l’économie informelle et leur pleine participation au processus de prise de décision. A la suite d’une rencontre tenue à Tenkodogo (région du Centre-est) le 28 novembre 2024, une partie de cette faîtière dénonce une violation des textes. Dans cet entretien qu’il a bien voulu accorder, le secrétaire général (SG) de l’organisation, Saïdou Zangré, livre sa part de vérité et appelle à un « esprit républicain » dans la recherche de solutions à cette crise (nous avons également approché le président de la structure, Salifou Nikièma, qui a souhaité ne pas s’exprimer sur le sujet, du fait d’une action en justice en cours).

Lefaso.net : Depuis quelques semaines, l’opinion publique burkinabè suit, au Conseil national de l’économie informelle du Burkina Faso (CNEI-BF), une crise qui fait suite à une instance tenue à Tenkodogo le 28 novembre 2024. Que se passe-t-il exactement et quelle est la situation exacte à ce jour ?

Saïdou Zangré : Je vous remercie. Je voudrais d’abord signaler que je suis le secrétaire général, mais aussi membre-fondateur du CNEI-BF ; puisqu’en 2019, j’étais le président de la commission d’organisation des acteurs de ce secteur, pour aboutir à la mise en place de la faîtière. Donc, en 2019, suite à une volonté politique du gouvernement d’alors, et après qu’on ait demandé en 2017, qu’on nous aide à mettre en place une faîtière (parce qu’il y a beaucoup d’associations dans ce secteur, rien qu’à Ouagadougou, vous avez des milliers d’associations qui se disent du secteur informel), pour nous permettre de discuter avec l’autorité, les services étatiques et non-étatiques, les partenaires techniques et financiers ainsi que tous ceux qui interviennent dans cette chaîne.

Et à l’époque, on avait associé tous les ministères qui étaient concernés, notamment le ministère de la Jeunesse, le ministère du Commerce, celui des Finances, l’Agriculture, l’Environnement et le ministère en charge des Transports. Cela a abouti à la mise en place d’un bureau, avec pour président Salifou Nikièma. Maintenant, nous sommes en fin de mandat, il fallait donc convoquer les instances et avec la situation sécuritaire, ça n’a pas fonctionné comme on voulait, mais nous sommes quand même arrivés à ce qu’on s’accorde pour aller à une élection.

Malheureusement, les instances ont été bâclées. Pour revenir au congrès de Tenkodogo dont vous faites cas, nous avons expliqué que ça n’a pas respecté les textes qui disent qu’il faut convoquer les gens un mois à l’avance. Dans l’année 2024, les instances n’ont pas été respectées, il devait avoir deux conférences nationales (dans le premier et le deuxième trimestres). Et ces conférences regroupent les membres du bureau exécutif national, les présidents régionaux et les présidents provinciaux. On n’a pas pu faire ça. On a tenu deux réunions successives, d’abord il (président) a tenu une réunion avec les présidents régionaux et je lui ai suggéré de tenir avant une réunion avec les membres du BEN.

Effectivement, on a tenu les deux réunions, c’était houleux et les gens ont posé quelques doléances avant qu’on parte au congrès, à savoir qu’il faut faire le bilan des quatre ans de gestion (bilan moral et bilan financier). C’est vrai que les gens n’ont pas eu à cotiser, compte-tenu de certaines situations, mais il faut quand même faire le bilan moral, parce qu’il y a des partenaires qui nous ont accompagné durant le mandat. On devait donc se voir pour faire la synthèse de tout ça, quand à ma grande surprise, en tant que secrétaire général, je vois qu’il a été mis en place un comité d’organisation des élections. Je l’ai interpellé, pour lui dire que c’est une erreur de sa part, parce que non seulement on devait faire un retour des deux réunions à ceux qui sont venus, mais aussi, la personne qu’il a placée à la tête du comité électoral n’a pas assisté aux deux réunions.

Moi-même, c’est à la rencontre du secteur privé/gouvernement à Bobo, le 22 novembre 2024, que j’ai appris qu’il y a un congrès à Manga le 28 novembre. On ne m’a rien dit, je n’ai aucun document. Après, j’apprends qu’on a reporté (délocalisé, ndlr) le congrès pour Tenkodogo. Et sur la base même de nos textes, la personne qui préside le comité électoral n’est pas la personne qui convoque le congrès.

A ma grande surprise, le 25 novembre, le président envoie une correspondance sur les WhatsApp des gens, qu’il y a un congrès à Tenkodogo le 28 novembre. Le comité mis en place a adressé la lettre d’information au ministre (en charge de la jeunesse) à deux semaines du congrès, et le président lui-même qui devait convoquer le congrès, le fait à 72 heures. Déjà, les deux dates de convocation posent problème (parce que selon nos textes, la convocation se fait à au moins un mois avant). Et dans l’ordre du jour, on dit “renouvellement des instances” et arrivé à Tenkodogo, on parle de congrès extraordinaire, pourtant ça doit être un congrès ordinaire. Et sans document et sans bilan.

A Tenkodogo, pour ne pas perturber les travaux, je suis allé constater. D’abord, c’était prévu dans un hôtel de la place et après, on dit c’est à la chambre de commerce. Et même que ceux qui sont allés à Tenkodogo sont des individus, ils ne sont pas mandatés par les associations comme cela doit se faire (personne n’a reçu un mandat de sa structure de base). Et en réponse à l’écrit qu’on avait adressé au ministre de tutelle deux semaines avant, l’autorité a dit que si nous respectons nos textes, elle ne veut pas s’ingérer. Mais avec la convocation au congrès du 25 novembre, des associations membres du CNEI-BF ont écrit au ministère pour dire que l’autre partie est en train d’organiser un congrès dans la clandestinité. Et au niveau du bureau du Conseil, les membres qui n’étaient pas d’accord ont aussi écrit un recours adressé au ministre.

Le ministre a fait une réponse, le 27 novembre, adressée à la présidente du comité électoral pour lui dire que, compte tenu de certaines choses, il faut reporter les élections. Et la présidente du comité n’a pas informé les congressistes de Tenkodogo qu’on leur a dit de reporter (le problème, ce n’est pas Salifou Nikièma, c’est le comité et ses membres ; puisque Salifou n’est pas membre de ce comité). Donc, les membres de ce comité ont reçu la lettre du ministre, mais ils n’ont pas communiqué. Mais nous, on avait l’information. Et la présidente du comité a écrit au ministre pour dire qu’eux, ils ont déjà pris les dispositions, parce que les délégations régionales, les membres du bureau exécutif national sont là et qu’ils ne peuvent donc pas reporter, mais qu’ils vont s’attacher les services d’un huissier et que celui qui n’est pas content peut se plaindre devant les instances compétentes.

Il se trouve que dès le 27 novembre, nous aussi avons écrit au ministre pour un recours et on a déposé une plainte au niveau du procureur du Faso. Donc, au moment où ils disaient qu’on peut se plaindre, nous avions déjà déposé un recours auprès du ministre et une plainte à la justice. Donc, à Tenkodogo, pour ne pas semer le désordre, j’ai pris la parole dans la salle, je leur ai dit merci et souhaité une bonne session et suis reparti. C’est un peu la situation.


Selon vos explications, on remarque que la violation des textes n’a pas commencé maintenant, parce que les rencontres statutaires ne se tenaient pas. Avez-vous eu à attirer l’attention du président sur la situation, avant ce congrès de Tenkodogo ?

Le congrès, ce n’est pas une précipitation, même s’il est vrai que le 7 décembre (2024) marque les cinq ans de création du CNEI-BF. Et le récépissé court jusqu’en février 2025. Donc, jusqu’à présent, le CNEI-BF travaille sur une base légale. Ce n’est pas une précipitation et je ne comprends pas pourquoi se précipiter pour faire un congrès dans ces conditions. Quand j’ai interpellé, j’ai dit que quand nous sommes en association et que, quand vous voulez poser un acte, il faut lire d’abord vos propres textes.

Nous avons tenu deux réunions, mais qui ne sont pas statutaires, parce qu’il (président) a dit qu’il y a des problèmes et qu’il veut rencontrer les présidents régionaux. Et je lui ai suggéré qu’avant de rencontrer les présidents régionaux, il rencontre les membres du bureau exécutif national, puisque c’est le même problème. Il l’a effectivement fait et les gens ont posé les mêmes problèmes. Les difficultés n’ont même pas été levées et on part au congrès. Chose bizarre, on n’a même pas demandé les récépissés des participants et d’autres étaient là-bas sans même connaître leurs postes. Ce qui intéressait à Tenkodogo, c’est d’élire le président.

J’attire depuis longtemps l’attention du président sur le fait qu’il est sur une mauvaise lancée ; malheureusement, il a mis en place un comité qui ne lui a pas rendu service. Et comme on a intenté une action en justice, nous nous en remettons vraiment au respect des textes que nous avons nous-mêmes adoptés en 2019.

Depuis Tenkodogo, il y a eu des sorties médiatiques d’associations pour dénoncer. Est-ce que vous voulez dire clairement que ce congrès est un forcing ?

Il faut dire qu’ils sont allés faire du faux à Tenkodogo. Toutes les associations qui dénoncent sont membres fondateurs du CNEI-BF en 2019. Ça veut dire quand même qu’elles ont le droit de demander à ce qu’on leur fasse le bilan du mandat avant d’aller au congrès. Tout le monde devrait avoir un document du bilan, prendre connaissance du contenu et sur la base de cela, on fait les travaux. Moi qui vous parle, je suis aussi responsable en tant que secrétaire général ; les gens m’interpellent sur le sujet et moi, je leur disais de patienter, qu’on va faire le bilan. Faire un bilan ne doit pas poser un problème et quand les gens dénoncent, c’est logique. Seulement, là où je ne suis pas d’accord avec certains de ceux qui sortent pour dénoncer, c’est quand ils veulent personnaliser le débat. Non, si des gens ont des problèmes personnels avec Salifou Nikièma, qu’ils les règlent directement, mais ne profitent pas de cette affaire du CNEI-BF pour discuter de leurs problèmes personnels.

Salifou Nikièma est un collaborateur avec qui on a travaillé, il est généreux, et pour tout dire, il a contribué à la visibilité du CNEI-BF, il a mis ses moyens. Sur ce plan, on ne peut pas ne pas le lui reconnaître. Mais en réalité, ce n’est pas lui le problème, si des gens qui ne connaissent même pas le fonctionnement du secteur informel viennent se dire experts (je ne vais pas citer de noms, mais ils se reconnaîtront), des gens qui ne connaissent même pas l’histoire du CNEI-BF et qui ne connaissent même pas comment il a été élu et l’induisent en erreur, il faut voir les choses ainsi. C’est une équipe qui a travaillé et qui l’a rassuré de foncer parce que c’est la bonne voie. Même quand la présidente du comité électoral a reçu la lettre du ministre qui demande de surseoir à l’activité, elle n’a pas fait cas de la lettre aux participants.

C’est sûr que sur place à Tenkodogo, si on avait fait cas de cette lettre du ministre, les autorités administratives et communales n’allaient pas envoyer des représentants à la rencontre. Et chose curieuse, il y avait un agent du ministère (de la Jeunesse) qu’on a « détaché » au niveau du CNEI-BF, qui était là-bas à Tenkodogo, au four et au moulin, qui préparait tout, alors que son ministre dit de reporter l’activité. On se demande donc sur quelle base cet agent est là-bas et pour quel travail. Nous avons écrit une lettre au ministre à son sujet, pour demander de le décharger au niveau du CNEI-BF, parce que c’est nous qui avons demandé en 2019 au ministère de nous envoyer un agent pour nous aider à asseoir une base. Mais s’il arrive là-bas et se transforme en autre, nous ne pouvons rien dire, on rend seulement compte à l’autorité.

Depuis ce congrès de Tenkodogo, y a-t-il eu contact entre vous et le président Salifou Nikièma ?

Non, on n’a pas eu de contact, puisqu’il savait qu’il y a des gens qui ne sont pas d’accord avec le congrès. Et puis, selon nos textes, on n’élit pas un président qui va à son tour composer son bureau, non. Selon nos textes, il est prévu que tous les membres du bureau soient élus et non le président seul, et ensuite, il revient à Ouagadougou pour chercher des gens pour mettre dans le bureau comme ils l’ont fait à Tenkodogo. Beaucoup de gens ont su aujourd’hui qu’ils ont été embarqués dans le faux, ils manifestent et nous les calmons, pour dire que, comme le dossier est en justice, il faut avoir l’esprit républicain et de civisme.

Quelle est votre principale attente aujourd’hui ?

En plus d’avoir écrit aux ministères en charge de la jeunesse et de l’Administration territoriale pour dénoncer la violation des textes, nous avons saisi la justice et nous nous remettons désormais à la décision de justice. Quelle que soit l’issue de la décision de la justice, nous allons suivre. Si elle nous donne raison, nous allons simplement demander qu’on respecte les textes dans le renouvellement des instances. Si par contre, on dit qu’on n’a pas raison, nous allons nous aligner derrière le camp de Salifou Nikièma. Nous voulons vraiment qu’on évite le bruit, parce qu’aujourd’hui, ce qui nous intéresse, c’est d’accompagner le gouvernement pour que la paix revienne et pour que nos activités puissent se relancer. Et Dieu merci, l’insécurité est en train de reculer et on se dit que d’ici là, donc, l’économie va se relancer.

On s’est battu pour la création du CNEI-BF et l’objectif, c’est qu’il serve la cause nationale. C’est simplement cela que nous demandons à travers le respect des textes. C’est cela la bonne gouvernance que nos autorités veulent inculquer ; la bonne gouvernance, c’est aussi dans nos petites associations, nos entreprises. Sinon, nous ne sommes contre personne. D’ailleurs, si on dit de reprendre les élections en respectant les textes, peut-être que moi-même je vais soutenir Salifou Nikièma, s’il a un bon programme, ce n’est pas exclu. Seulement, je ne veux pas qu’on nous force, il faut simplement respecter les textes qu’on a nous-mêmes adoptés en 2019. Si on échange, on trouve toujours des solutions. Mais le forcing n’est pas une bonne chose, c’est mauvais pour tout le monde.

Quel message pour terminer ?

Je vais insister sur ce que j’ai dit plus haut, il faut que ceux qui tiennent les conférences de presse pour dénoncer le congrès de Tenkodogo sachent raison garder. C’est simplement le respect des textes qu’on demande, pas autre chose. Voilà pourquoi nous avons déposé des recours auprès des autorités et une plainte en justice. Attendons que la justice tranche. Si la justice dit que le groupe de Salifou Nikièma a raison, nous allons nous aligner. Si la justice dit qu’il faut reprendre les élections parce que ce qui a été fait ne respecte pas les textes, on va reprendre conformément aux textes du Conseil avec l’accompagnement de toutes les parties, on relit également les textes pour prendre en compte les réalités et chacun est libre d’être candidat. Il faut permettre à tout le monde, même si quelqu’un est aux confins du Burkina avec son association et veut être candidat, qu’il ait la possibilité. C’est tout ce que nous souhaitons.

J’interpelle donc tous ceux qui veulent profiter de la situation pour insulter Salifou Nikièma, de quitter ces comportements. Ce n’est pas une histoire de personne, c’est simplement dans le cadre du respect des textes de l’organisation. Lui-même (Salifou Nikièma, ndlr) n’a pas de problème, il a eu des conseillers de dernière minute qui pensaient être plus experts et qui l’ont induit en erreur. Peut-être même que la présidente du comité électoral n’a pas dit à Salifou Nikièma que le ministre a envoyé une lettre pour dire de reporter le congrès (puisque la lettre est adressée à la présidence du comité électoral et non au président du CNEI-BF, c’est ce que les gens ne comprennent pas). Mon appel, c’est de dire aux gens de se contenter des réactions des autorités et de la décision de justice, on n’a pas besoin d’avoir des propos déplacés envers quelqu’un.

Entretien réalisé par O.L

Lefaso.net

Source: LeFaso.net