Le mercredi 4 décembre 2006, Joseph Ki-Zerbo quittait ce monde, laissant derrière lui une œuvre monumentale sur l’histoire de l’Afrique. Historien et militant engagé, il a tracé des repères pour l’avenir tant pour son pays que pour l’Afrique toute entière. Dix-huit ans déjà jour pour jour que le baobab s’est couché.
Joseph Ki-Zerbo est le premier Africain à obtenir l’agrégation en histoire à la Sorbonne, temple du savoir mondial à l’époque. Mais l’absence de l’histoire africaine dans les programmes étudiés l’a révulsé, ayant appris que leurs « ancêtres, sont les Gaulois ». Il s’engage alors corps et âme pour la réhabilitation de l’histoire africaine, non pas dans la complaisance et dans l’amateurisme mais en partant « de la méthodologie, de la problématique, de l’heuristique », de sa discipline, de sa science qu’est l’histoire. « Nous avons affirmé la nécessité de refonder l’histoire à partir de la matrice africaine », dit-il.
Selon Joseph Ki-Zerbo, son intérêt pour l’histoire remonte à son enfance : « J’avais opté pour l’histoire d’abord parce que mon père a vécu longtemps. C’était un homme d’histoire. Il avait porté une partie de notre histoire locale, puisqu’il était le premier chrétien de la Haute-Volta et il aimait raconter. J’ai donc été préparé au métier d’histoire par cette éducation ».
Le milieu intellectuel parisien auquel il appartenait a favorisé son engagement pour une histoire alternative de l’Afrique. Léopold Sedar Senghor, Aimé Césaire, Alioune Diop, René Depestre ont éveillé son intérêt pour l’histoire africaine qui restait méconnue. A la Sorbonne, l’attention de ses maîtres était décisive. « A la Sorbonne, je me suis jeté corps et âme dans les études, avec passion, profitant au maximum de la chance très rare qui nous était donnée d’être disciples de grands maîtres de la science historique et politique comme Pierre Renouvin, André Aymard, Fernand Braudel, Raymond Aron et d’autres », confie-t-il.
L’histoire pour Joseph Ki-Zerbo, « est une discipline formatrice de l’esprit parce qu’elle vous apprend à raisonner dans la logique et au-delà de la science par la conscience ». Plus qu’une discipline, « elle est maîtresse de vie », estime-t-il. C’est pourquoi l’Afrique doit devenir sujet et non « un objet de l’histoire, un instrument utilisé par les autres : un ustensile ».
Un intellectuel engagé
Après ses études, il rentre à Dakar, au Sénégal, pour enseigner. Dès 1958, il met en place un parti politique, le MLN (Mouvement de libération nationale) et lutte pour l’indépendance des pays africains. Après les indépendances, il rentre en Haute Volta et son parti devient, le principal parti d’opposition face à l’autoritarisme de Maurice Yameogo. Joseph Ki-Zerbo sera un fervent défenseur de la démocratie durant cette période et après. En 1966, le MLN semble approuver un temps la gestion des militaires avant de faire volte face, tout en restant moins visible au temps du CMRPN.
En 1983, Joseph Ki-Zerbo est contraint à l’exil avec sa femme du fait du bouillonnement des révolutionnaires qui n’appréciaient pas du tout son calme. Sa bibliothèque a été brûlée à l’époque et il a été condamné par les Tribunaux populaires de la révolution (TPR) à deux ans de prison par contumace et à des amendes pour fraude fiscale. Il ne revient au pays qu’en 1992, sous la IVe République, et fonde à nouveau le PDP (Parti pour la démocratie et le progrès), parti d’opposition à Blaise Compaoré. En 1998, Joseph Ki-Zerbo adhère au CODMPP (Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques), après l’assassinat de Norbert Zongo, journaliste burkinabè considéré comme une des figures principales de la lutte pour la démocratie et la liberté de la presse.
Son engagement politique trouve son sens dans cette formule qu’il aimait répéter : « naan laara, an saara » qui signifie en français « si nous nous couchons, nous sommes morts ».
Un penseur du développement
« On ne développe pas, on se développe ». Cette déclaration qu’il a lancée en en 1975, dans son texte intitulé « Intellectuels, ouvriers et paysans : les rapports nouveaux à constituer pour une autogestion africaine » est devenu le mantra du développement endogène, un concept en vogue, qui suscite des débats tant au niveau de la science qu’au niveau de la politique. Joseph Ki-Zerbo avait une vision réaliste de l’Afrique débarrassée des vestiges du capitalisme sauvage et des atrocités du socialisme scientifique.
Pour lui, « il faut partir de nous-mêmes pour arriver à nous-mêmes » et le développement de l’Afrique ne se fera pas sans son histoire, sans son identité multiple et surtout sans la formation des cadres de demain. Éduquer ou périr, lance-t-il depuis comme une prémonition, au regard des défis majeurs auxquels l’Afrique était toujours confrontée.
Une bibliothèque vivante pour l’Afrique
Panafricaniste convaincu, Joseph Ki-Zerbo a pensé l’Afrique, son développement, sa politique, son identité, sa culture et son histoire dans son ensemble, dans des livres qu’il a produits mais aussi dans des ateliers et différents travaux de réflexion. Ses réflexions traversent le champ de l’histoire et font l’objet d’études en philosophie, en économie, en éducation et en politique non seulement en Afrique mais partout dans le monde entier.
Joseph Ki-Zerbo appelait la jeunesse africaine en ces termes : « L’Afrique a une histoire. L’Afrique, berceau de l’humanité a enfanté l’histoire. Malgré des obstacles géants, des épreuves majeures et des erreurs tragiques, l’Afrique a illustré notre aptitude au changement et au progrès : notre historicité. Mais celle-ci doit, par conscience historique, gouverner les trois moments du temps : le passé, le présent et la projection vers l’avenir. L’invocation par nous du passé seul, du passé simple, ne prouve rien pour le présent et l’avenir, alors que la convocation d’un présent médiocre ou calamiteux comme témoin à charge peut mettre en doute notre passé et mettre en cause notre avenir. C’est pourquoi chaque Africaine, chaque Africain doit être ici et maintenant, une valeur ajoutée. Chaque génération a des pyramides à bâtir ».
Wendkouni Bertrand Ouédraogo (collaborateur)
Lefaso.net
Références
– A quand l’Afrique ?, Entretien avec René Holenstein, Éditions d’en bas.
– Histoire de l’Afrique noire, d’hier à demain, Hatier, paris 1975
– Histoire critique de l’Afrique : l’Afrique au sud du Sahara, Éditions Panafrika,2008
Source: LeFaso.net
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