Chaque année dans le monde, une campagne de 16 jours d’activisme contre les Violences basées sur le genre (VBG) commence à partir du 25 novembre. Au Burkina Faso, de nombreuses personnes s’investissent davantage dans la lutte durant cette période, à l’image de Wendyam Micheline Kaboré activiste, féministe et défenseure des droit humains. Elle est actuellement la directrice exécutive de l’Initiative pananetugri pour le bien-être de la femme (IPBF). Face à la complexité des violences basées sur le genre amplifiées par la crise sécuritaire, elle plaide pour un engagement collectif. Dans cet entretien, elle parle des activités prévues pour sensibiliser, dénoncer et mobiliser toutes les couches sociales autour de cette cause. Elle aborde également l’importance de l’implication des hommes dans cette lutte.
Lefaso.net : Pourquoi, selon vous, une campagne mondiale comme celle des 16 jours d’activisme reste-t-elle nécessaire à mener au Burkina Faso ?
Wendyam Micheline Kaboré : C’est une campagne très importante pour les personnes engagées pour le respect des droits des filles et des femmes au Burkina Faso et au niveau mondial. Quel que soit le niveau de développement d’un pays, la plupart des filles et des femmes sont exposées à diverses formes de violences. Cette campagne au niveau national est importante parce que nous vivons toujours des situations de violation des droits des femmes et des filles. C’est une période au cours de laquelle nous attirons l’attention pour faire entendre la voix de ces dernières.
Au Burkina Faso, depuis quelques années maintenant, nous sommes exposés à une triple crise sécuritaire, humanitaire et climatique. La complexité de la situation expose davantage les filles et les femmes à plusieurs types de violences. En lien avec la crise sécuritaire, la majorité des personnes déplacées sont des enfants et des femmes, soit 85% (UNCHR 2023). Tout au long de leur parcours, depuis leurs communautés où elles subissent les attaques, les femmes sont exposées à des violences sur le chemin du déplacement jusqu’aux localités d’accueil ; elles vivent différentes formes de violences. Aujourd’hui plus que jamais, c’est une occasion pour nous de mettre en lumière ces violences auxquelles les femmes sont confrontées pour attirer l’attention de tous et de toutes et surtout recueillir l’engagement de toute la communauté vers un respect des droits fondamentaux des filles et des femmes.
Quelles formes de violences basées sur le genre observez-vous le plus souvent au Burkina Faso ?
En 2023, IPBF a réalisé une étude sur la situation des droits des filles et des femmes dans les zones à fort défi sécuritaire, notamment dans les localités qui accueillent des personnes déplacées internes. Cette étude a fait ressortir une situation assez critique en mettant en lumière plusieurs formes de violences subies par les filles et les femmes. Au titre de ces violences, nous relevons majoritairement les violences physiques avec les coups, les blessures et les violences sexuelles. Il y a les violences morales avec l’isolement, la discrimination, le rejet. Très souvent, les survivantes de viols sont isolées au sein de leurs communautés ou tout simplement répudiées, rejetées.
Au cours de l’étude, plusieurs femmes ont témoigné du fait qu’elles ont été répudiées ou abandonnées suite au viol dont elles ont été victimes. Malheureusement, il y a le sexe de survie qui est pratiqué dans les zones à fort défi sécuritaire par les femmes pour subvenir à leurs besoins ; une situation exacerbée par toutes les violences sexuelles auxquelles elles sont exposées : le harcèlement sexuel étant la forme la plus répandue. Il y a les mariages forcés et précoces, les enlèvements, les séquestrations, la mendicité. Toutes les violences, qu’elles soient physiques ou morales, entraînent des violences psychologiques. Il y a aussi le fait qu’elles sont privées de ressources financières et n’ont pas de quoi se prendre en charge pour couvrir leur dignité.
Quelles sont les activités prévues par IPBF dans le cadre de cette campagne contre les violences basées sur le genre ?
Nous avons, pour cette année, réfléchi à des actions à fort impact, de grande mobilisation et surtout pérennes, Afin de marquer cette campagne par une empreinte féministe, l’IPBF et ses partenaires, ont prévu un programme riche en activités. Un lancement des activités a été réalisé à la radio le premier jour. Au programme, il est prévu des activités artistiques, de communication et des échanges sur différents plateaux. Nous avons besoin de sensibiliser le maximum de personnes possible afin qu’elles prennent en compte les besoins des filles et des femmes, et principalement le respect de leurs droits fondamentaux. Les échanges porteront essentiellement sur la prévention, la protection et le respect des droits des filles et des femmes pour leur plein épanouissement. A cet effet, un accent sera mis sur les différentes catégories de violences : certaines sont pernicieuses et invisibles.
En parler permettra de dénoncer toutes les formes de violences subies et vécues par les filles et les femmes. Il s’agit principalement des violences domestiques, scolaires, professionnelles, etc. Il est prévu des émissions sur différents médias audiovisuels aussi bien en français qu’en langues nationales. Il faut noter que cette année, la campagne met l’accent sur les survivantes avec le thème « Riposter et se reconstruire après les violences : sortir de la violence est notre responsabilité collective ». En plus des émissions dans les médias, nous avons programmé un ciné débat, un talk-show féministe, un concours de slam et une fresque murale dans un établissement scolaire pour dénoncer les VBG. Chaque année, l’IPBF saisit l’occasion de cette campagne pour manifester son empathie et sa compassion envers des survivantes de violences. Nous avons ciblé cette année un centre qui accueille des femmes victimes de troubles mentaux pour une visite, des moments d’échanges suivis de remise de dons.
Comment mobilisez-vous les institutions publiques et les décideurs politiques à participer activement à cette campagne ?
Nous avons impliqué notre ministère de tutelle ainsi que d’autres ministères dans nos activités. En tant qu’organisation de défense des droits des femmes, nous avons des ministères clés comme celui de la jeunesse avec lequel nous collaborons, également les ministères de la Justice et des droits humains, de l’Éducation, de la Santé. Il y a des activités prévues dans les lycées et collèges, donc que ce soit les éducateurs et éducatrices, les élèves, toutes les parties prenantes sont impliquées. Nos associations sœurs également sont invitées à prendre part à nos activités. Je rappelle que cette année, nous réalisons la campagne des 16 jours d’activisme en consortium avec plusieurs autres organisations (MOJUT sport, les Casqués du Faso, les Jeunes mobilisés de Karpala) avec le soutien financier de l’ambassade des Pays-Bas au Burkina Faso. En termes d’inclusivité, nous tenons à faire entendre la voix de toutes les catégories de filles et de femmes aux décideurs, aux politiques et à toute la population.
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Quels impacts concrets espérez-vous obtenir au terme de ces 16 jours d’activisme ?
À l’issue de cette campagne, l’IPBF espère un engagement au respect des droits des filles et des femmes. C’est idéalement ce qui est souhaité. La campagne a pour objectif d’éliminer les violences faites aux filles et aux femmes. Nous pensons que les causes profondes de ces violences sont souvent l’ignorance sur les droits et les besoins des femmes. Donc, nous invitons toute la population à écouter les messages et à réagir. La volonté, c’est qu’à l’issue de la campagne, nous ayons davantage de monde engagé à promouvoir et à protéger les droits des filles et des femmes. Au niveau des autorités, l’objectif est que les textes de lois soient davantage appliqués et des programmes inclusifs mis en œuvre afin de garantir les droits fondamentaux des filles et des femmes.
Peut-on dire que les VBG ont augmenté ou ont régressé au Burkina Faso ?
Nous avançons ! Les pas sont très petits certes, mais nous avançons ! On ne peut pas dire que l’on régresse parce qu’il y a des acquis. Nous travaillons à conserver ces acquis et à engager plus de personnes dans la lutte. Je crois que chaque jour, à travers nos actions et nos communications, il y a une personne qui entend et qui comprend ; ce sont des petites victoires très importantes pour nous.
Quel message avez-vous à l’endroit des hommes qui se sentent mis à l’écart de cette lutte ?
Tout homme a au moins une femme dans sa vie qui est sa mère. Et peut-être plusieurs autres femmes comme une sœur, une épouse ou une fille. Les hommes ne devraient pas se sentir écartés de cette lutte parce que la lutte en faveur des droits des filles et des femmes est commune à tout le monde. Il y a des femmes qui, malgré leur âge avancé, sont exposées à des violences. Il y a un homme quelque part qui a besoin que les droits de sa mère, de son épouse, de sa fille ou de sa sœur soient respectés. Donc, les hommes doivent se sentir impliqués et pris en compte dans cette lutte parce que ça les concerne directement. Les droits pour lesquels nous nous battons sont liés à la santé, à l’éducation, à la dignité humaine qui sont inaliénables à tout être humain. Il y a déjà des hommes qui luttent à nos côtés et nous espérons que plus d’hommes nous rejoignent pour éliminer toute forme de violence à l’égard des filles et des femmes.
Quel message fort souhaitez-vous transmettre durant ces 16 jours d’activisme aux Burkinabè ?
C’est un appel à plus de responsabilité en faveur des droits des filles et des femmes. Que ce soit au niveau politique ou communautaire. Les droits humains sont universels et les filles et les femmes en font partie. Nous demandons à toutes les personnes qui entendront nos messages à faire preuve de responsabilité quand il s’agit de faire valoir les droit des filles et des femmes. Nous espérons qu’il y aura de la réaction à chaque fois qu’un droit sera violé.
Farida Thiombiano
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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