Depuis plus de deux décennies, Alidou Néssao se consacre à l’éducation des enfants sourds. Enseignant et directeur de la section primaire du groupe scolaire CEFISE Bénaja, il a développé une pédagogie inclusive permettant aux élèves entendants et malentendants d’apprendre ensemble. Dans cette interview, il partage son parcours, ses méthodes d’enseignement et les défis qu’il rencontre dans un système éducatif en pleine transformation.
Lefaso.net : Qu’est-ce qui vous a motivé à venir enseigner dans cette école ?
Alidou Néssao : J’avais des enfants dans mon quartier qui n’entendaient pas et avec lesquels je voulais vraiment communiquer. Et au niveau de la communauté, j’ai rencontré des spécialistes dans ce domaine et puis je me suis approché d’eux. J’ai cherché à me former et tout est parti de là. Cela fait 25 ans que je suis dans le domaine de l’enseignement des sourds.
Encadrez-vous des élèves uniquement malentendants ?
J’ai tenu des classes où il y avait des enfants qui entendaient et qui n’entendaient pas et j’ai aussi tenu des classes où les enfants n’entendaient pratiquement pas. J’ai commencé d’abord mon stage à l’Institut des jeunes sourds du Faso et c’est un institut qui accueille des enfants uniquement sourds et j’ai travaillé avec ces enfants avant de me retrouver au CEFISE où on reçoit des enfants dits normaux.
Comment adaptez-vous vos méthodes d’enseignements lorsque vous êtes en face d’élèves entendants et malentendants ?
Nous utilisons la communication totale. Le problème pour les enfants qui n’entendent pas c’est surtout la communication, cette barrière de langage qui leur fait défaut pour apprendre comme les autres. Avec donc la langue de signes, nous arrivons à leur faire comprendre le message. Et dans la classe, les enseignants parlent oralement et utilisent aussi le langage des signes, ce qui permet aux deux groupes de comprendre en même temps.
Le langage des signes est-il appris aux élèves entendants ?
Le langage des signes est indirectement enseigné aux enfants entendants. Beaucoup sont curieux, ils observent, ils imitent et donc beaucoup apprennent et se font des amis parmi ceux qui n’entendent pas. Mais sinon nous ne formons pas les enfants entendants. Ils sont dans la même classe et c’est leur curiosité qui les envoie apprendre afin de communiquer ensemble.
Quels sont les différents défis auxquels vous faites face ?
En tant qu’enseignant les défis que je rencontre sont la faible implication des parents dans l’éducation de leur enfant parce que beaucoup de parents ne connaissent pas le langage de signes. Ils se débrouillent comme ils peuvent à la maison du coup pour accompagner leur enfant à la maison. Au niveau scolaire, c’est souvent difficile. Quelques fois il y a des séances de formations et là aussi tous les parents n’arrivent pas à venir et cela est très limité. Le bagage qui est donné ne suffit pas vraiment pour accompagner les enfants normalement à la maison. C’est vraiment un défi dans le travail que nous abattons. Il y a également celui du travail parce que lorsque nous formons les enfants, nous les amenons à obtenir les diplômes donc nous voulons que ces enfants puissent travailler.
Quelles sont les compétences qu’un enseignant doit avoir pour ce métier ?
Il faut que l’enseignant puisse d’abord avoir le bagage pédagogique et intellectuel requis pour prendre en charge ces enfants et les accompagner. Personnellement, j’ai pu subir les épreuves pratiques de mon certificat élémentaire d’aptitude pédagogique dans une classe inclusive. Pour un enseignant qui souhaite travailler dans notre structure, en plus de ce qu’il doit avoir comme bagages, il faut qu’il ait une formation inclusive en langue de signes. Il lui faut aussi de l’amour pour pouvoir enseigner car on ne transforme pas quelqu’un que l’on n’aime pas.
Comment imaginez-vous l’avenir de l’éducation pour les personnes sourdes ?
Je trouve qu’il y a des défis et actuellement il y a beaucoup plus d’ouvertures, de compréhension et je crois que l’éducation inclusive a de l’avenir. Je suis optimiste car je trouve que c’est une injustice que nous devons corriger. Auparavant, c’est l’enfant qui devait s’adapter aux systèmes, le système ne faisait rien pour permettre à l’enfant d’avoir les mêmes informations et être au même niveau que les autres. Mais maintenant, je pense que de plus en plus que les gens comprennent que nous sommes dans un monde où il y a des gens qui vivent avec un handicap.
Un message aux parents d’enfants sourds ?
Je demande aux parents de venir avec leurs enfants tôt à l’école. N’attendez pas que les enfants aient 10 ans ou même plus avant de venir avec l’enfant pour son éducation. Pour tous ceux qui ont leur enfant dans la structure, je demande de s’impliquer et de venir à nous pour qu’ensemble nous puissions accompagner convenablement les enfants. Pour tous ceux qui ont des enfants malentendants et qui ne savent même pas qu’il y a des structures qui existent et qui les prennent en charge, je les invite à venir. S’ils viennent tôt, nous allons accompagner les enfants.
Nous ne devons pas former les enfants à part et ensuite vouloir les amener à vivre avec les autres. Il faut que dès la base nous travaillions à amener ces enfants à ne pas se sentir marginalisés, à être avec les autres et à connaître les autres.
Hanifa Koussoubé
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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