La tradition, les coutumes sont des concepts très prisés actuellement. Y avait-il une action publique avant le contact de l’Afrique avec le colonisateur ? La tentation de négativisme est grande et peut aller à diaboliser les pratiques endogènes et refuser de trouver en elles des valeurs universelles. Les réseaux sociaux ont réussi une chose : à rendre tout le monde expert et chacun y va de sa plume, de sa plus belle voix pour nous expliquer tout : le passé, le présent, l’avenir. Et dans ces explications, beaucoup nous font un portrait du passé qui correspond plus à leurs propres désirs qu’à ce qui a réellement existé. Parmi ceux qui revisitent le passé africain, il y a ceux qui prétendent que la démocratie et les droits de l’homme sont une invention occidentale qui ne sont pas des pratiques endogènes à l’Afrique. Sous cet angle, que peut nous dire l’arbre à palabres, de la gouvernance des sociétés africaines ?

Peut-on parler des sociétés sans recourir aux sciences qui ont fait d’elles leur objet d’études ? Les sociologues et anthropologues parlent de l’arbre à palabres. Une autre source crédible est ce groupe d’hommes composé de savants, politiciens, historiens, juristes… que Cheick Hamidou Kane appelle les aînés du XXe siècle de l’Afrique. Parmi lesquels il cite, sans être exhaustif, Cheick Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo, Léopold Sédar Senghor, Nelson Mandela, Julius Nyerere… C’est une génération qui a connu deux mondes et qui s’est posé les questions dont traite l’Aventure ambigüe que l’on peut résumer dans cette phrase de Cheick Hamidou Kane : « Avoir suffisamment de force pour résister et de substance pour être nous-mêmes. »

Les sociétés africaines avaient une politique publique, elles essayaient de résoudre les problèmes qui se posaient à elles au nom du bien commun et il y avait un espace public de négociations de délibération entre différents acteurs. Avant l’État colonial, il y avait un dialogue entre les populations et ceux qui détenaient le pouvoir qui passait par l’écoute réciproque, l’entente de la parole et des aspirations des populations pour une construction de politiques publiques acceptées de tous.

C’est dans un tel contexte que l’Afrique a inventé l’arbre à palabres que Fweley Diangitukwa de la Faculté des sciences sociales, de l’université d’Ottawa, dans son article « La lointaine origine de la gouvernance en Afrique : l’arbre à palabres » publié en 2014 dit : « on parle de moins en moins de l’ « arbre à palabres » alors que son contenu ressemble pleinement à celui de la gouvernance. Les deux concepts parlent d’une même réalité, c’est-à-dire la volonté de réunir des acteurs venant de différents horizons pour agir ensemble sur les problèmes de la société. » L’auteur fait remarquer que dans la tradition, « les sociétés africaines étaient plus dynamiques et plus consensuelles que celles d’aujourd’hui, car elles arrivaient à asseoir leur mode de gouvernance sans marginaliser les autres. L’avis de tous était régulièrement sollicité. »

L’arbre à palabres, un concept pro-écologie

C’est sous un arbre que l’auguste assemblée se réunissait. Ce qui conférait une protection à cet arbre qui fournissait l’ombre pour abriter les personnes conviées au débat. Dans la littérature on parle de baobab, de fromager, il peut s’agir d’une forêt sacrée carrément où les gens se rassemblaient pour discuter du bien du village. L’arbre à palabres est présent sur tout le continent africain pour favoriser les échanges et on le retrouve à Haïti aussi.

La démocratie n’est pas que les élections

Quand on parle de démocratie, certains ne voient dans ce concept que les élections qui permettent de choisir les dirigeants. La démocratie n’est pas réductible aux élections. L’arbre à palabres est une « institution démocratique à part entière », selon Nelson Mandela. L’ex-président d’Afrique du Sud, affirme que « tous ceux qui voulaient parler le faisaient. C’était la démocratie sous sa forme la plus pure ». Faire un espace où la palabre est libre, où les discussions avec confrontations des idées se font de manière pacifique et respectueuse pour trouver des solutions aux problèmes de la vie du village est une manifestation de la démocratie. Parce que l’espace n’est pas fermé à un cercle restreint de personnes et que la parole et les opinions sont libres. En accueillant les jeunes, l’arbre à palabres est aussi un lieu de transmission du savoir.

L’arbre à palabres lieu de règlement des litiges

L’arbre à palabres, en connaissant les problèmes du village, se trouve à trancher les litiges entres les populations par le biais de la parole à tour de rôle et l’intervention des experts. C’est par le dialogue et la négociation publique, transparente que l’on arrive à un consensus accepté par les partis.

L’arbre à palabres est un patrimoine culturel africain qui n’a rien à envier à l’agora. Ces principes peuvent toujours aider les sociétés actuelles dans la recherche de la cohésion sociale.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net