Il y a dix ans, jour pour jour, que le peuple burkinabè s’est dressé héroïquement contre le pouvoir autocratique que Blaise Compaoré a instauré au lendemain de l’assassinat de son frère d’arme le capitaine Thomas Sankara : une insurrection qui a abouti à la fuite du président du Faso de sa terre natale vers la Côte d’Ivoire. Le 30 et 31 octobre sont des dates qui resteront gravées dans la mémoire collective des Burkinabè. Retour sur les évènements qui ont précipité la fin du règne Compaoré.
Après avoir renversé de la manière la plus cruelle son frère d’arme lors d’un coup d’État en 1987, Blaise Compaoré mit en place un régime militaire autoritaire oppressif qui traquait les dissidents, les contempteurs de son régime dès les premières années de son règne. Le cas le plus emblématique fut l’assassinat de l’illustre journaliste et écrivain Norbert Zongo en 1998, un évènement qui a failli mettre en déroute le système Compaoré tant les mobilisations furent de partout avec le slogan « trop c’est trop » pour réclamer justice. Pourtant avant cette date, Blaise Compaoré fait voter en 1991 à travers un référendum une constitution – celle de la IVe république – dans le but de démocratiser son régime militaire à bout de souffle et de se tailler une bonne image dans la sous-région et à l’international (Natielse ,2013).
Dans cette « démocratie de façade », des élections furent tour à tour organisées où « nam Blaise » comme certains l’appellent remporte largement dès le premier tour jusqu’en 2010. « Blaise Compaoré a été élu lors des élections présidentielles de 1991,1998, 2005 et 2010 respectivement, toujours avec une majorité écrasante » note Hagberg et ses collègues (Sten Hagberg, Ludovic Kibora, Fatoumata Ouattara, Adjara Konkobo, Au cœur de la révolution burkinabè).
<p class="note" style="position: relative; color: #012b3a; margin: calc(23.2px) 0px; padding: calc(9.6px) 40px; border-left: 5px solid #82a6c2; background-color: #eaf0f5; border-top-color: #82a6c2; border-right-color: #82a6c2; border-bottom-color: #82a6c2; font-family: Montserrat, sans-serif;" data-mc-autonum="Note: « >Lire aussi : 30 et 31 octobre 2014 : Les 48 heures qui ont marqué la chute de Blaise Compaoré
En 2011, des mutineries de soldats ont éclaté et ont fragilisé le régime obligeant le président à fuir le palais présidentiel pour quelques jours : le système Compaoré vacille. Mais les mutins seront matés par le Régiment de sécurité présidentiel (RSP) et plus de 500 militaires seront radiés de l’armée. Compaoré reprend en main « sa chose » et s’impose comme un président naturel. Il imagine la création d’un sénat composé d’un tiers des membres nommé par l’exécutif, un grand boulevard pour une présidence à vie.
Le chef de file de l’opposition, Zéphirin Diabré, organise en 2013 des manifestations contre cette tentative de la création du sénat, dont le but était le maintien du système Compaoré ad vitam aeternam. Suite à la mobilisation de l’opposition et la société civile, Blaise Compaoré range dans les tiroirs son projet de sénat.
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La goutte d’eau qui a fait déborder le vase fut le projet de modification de l’article 37 initié le 28 janvier 2014. En effet, la Constitution, en son article 37, prévoyait une limitation des mandats à deux, non renouvelable. Ce changement de la Constitution est intervenu en 1998-2000. Blaise Compaoré ayant été élu en 2005 et en 2011, la Constitution lui interdit de se présenter à nouveau et exige qu’il laisse le pouvoir au terme de son mandat. Dans l’envie de conserver son pouvoir, il ambitionne de sauter le verrou de la Constitution pour s’octroyer une présidence à vie. Pour ce faire, ne disposant pas de la majorité absolue, il s’entend avec le président de l’ADF-RDA, Maître Gilbert Noël Ouédraogo, qui lui promit avec ses députés de voter Oui au projet de loi.
L’opposition organise un meeting au stade du 4-Août pour dire non à la modification de l’article 37. Dans la foulée, Hama Arba Diallo brandit un carton rouge à Blaise Compaoré ce qui signifie qu’il est disqualifié de la course présidentielle. Dans la même année, trois piliers du régime claquent la porte et abandonnent le système Compaoré en plein vol. Ce volte-face de Roch Kaboré, Simon Compaoré et de Salif Diallo a précipité la fin du règne Compaoré, indique Hagberg en 2014, qui note un climat socio-politique tendu avec l’apparition sur la scène de nouveaux acteurs de contre-pouvoir qui vont organiser la désobéissance civile : Le Balai citoyen, le CAR (Collectif anti-referendum), le Front de résistance citoyenne, le mouvement Ça suffit, le Collectif des femmes pour la défense de la constitution (COFEDEC), etc.
Bien que les rumeurs sur une possible modification de l’article 37 circulaient, c’est le mardi 21 octobre 2014, en conseil des ministres, que la décision fut prise d’introduire le projet de loi sur la modification de l’article 37 à l’Assemblée nationale. Le projet d’une présidence à vie de Blaise Compaoré semble être en cours d’exécution d’autant plus qu’il dispose de 80 députés issus de son parti, le CDP, et 18 députés de l’ADF-RDA, qui lui promirent leurs voix. C’est pourtant la ligne rouge à ne pas franchir, selon les forces de l’opposition et la société civile dont la mobilisation grandit de jour en jour.
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Le Burkina Faso s’apprêtait à vivre l’une des crises politiques les plus graves de son histoire car rien ne semblait arrêter Blaise Compaoré dans son projet de présidence à vie. De l’ambassade de France à celle des États-Unis en passant par celle de l’Union européenne, des leaders religieux, le président de la Commission de la CEDEAO Kadré Désiré Ouedraogo, le Sénégalais Abdoulaye Bathily, tous ont alerté Blaise Compaoré, en vain, sur le danger d’une modification de l’article 37. La crise s’annonçait pressante et dangereuse : « La rumeur d’une crise politique et sociale imminente circule au sein de la capitale. Les uns et les autres conseillent à leurs proches de faire des provisions de vivres pour les jours à venir. Certaines personnes en rient, d’autres prennent cela au sérieux. Les prix de certaines denrées flambent. On sent qu’un événement se prépare » note Hagberg et ses collègues.
Le 27 octobre, les femmes montent au créneau à travers une grande manifestation pour dire non à la modification de l’article 37. Autour du Collectif des femmes pour la défense de la Constitution, elles prennent d’assaut les rues de la capitale avec un objet fort symbolique : la spatule. Ainsi Hagberg et ses collègues estiment que « la sortie des femmes dans la rue est perçue comme une remise en question de l’ordre établi : les femmes montrent le caractère inique de l’expression Moaga consacrée « paaga la yiri » (la place de la femme c’est à la maison).
En brandissant sur la place publique l’instrument de l’espace domestique et privé (la spatule), les femmes montrent aux puissants que l’instrument nourricier se transforme en bâton expiatoire. La spatule ainsi levée au ciel devient une arme symbolique redoutée des hommes. Selon les représentations populaires, un homme qui recevrait un coup de spatule risquerait l’impuissance », et ils concluent en ces termes : « C’était en réalité la première désobéissance civile, celle indiquant au reste du peuple que tout était désormais possible ». Le régime tremble mais ses affidés n’y croient pas.
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Le 28 octobre et le 29 octobre, ce fut au tour des organisations de la société civile, des partis d’opposition et des syndicats de sortir massivement pour protester contre le projet de loi. Zéphirin Diabré, lors de la manifestation, martèle : « cette fois-ci, ça passe ou ça casse ! ».
La mobilisation fut monstrueuse et historique. L’on dénombre plus d’un million de personnes dans les rues de Ouaga. Certains fonctionnaires ont abandonné leurs services pour rejoindre les manifestants. C’est l’effervescence au tour du mouvement Balai citoyen conduit par Smockey et Sams’K Lejah. Les jeunes sortis disent ne point rentrer tant que Blaise ne bouge pas, ils prennent d’assaut la place de la nation où ils passeront la nuit pour attendre le jour fatidique, le 30 octobre. Ouagadougou bouillonne de monde et surtout de colère, la tension monte au sein de la population : « Blaise dégage ! », « Blaise Ebola ! » scandent les manifestants.
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Tout indique à ce stade que le système Compaoré est à bout de souffle, même si le président s’obstine et maintient son projet, les jours qui ont suivi ont fini par avoir raison de lui, conduisant à sa chute le 31 octobre 2014.
Bertrand Ouédraogo (collaborateur)
Lefaso.net
– Sten Hagberg, Ludovic Kibora, Fatoumata Ouattara and Adjara Konkobo, Au cœur de la révolution burkinabè p. 199-224 https://doi.org/10.4000/anthropodev.499
– Faso.net,30 et 31 octobre 2014 : Les 48 heures qui ont marqué la chute de Blaise Compaoré, Publié le mardi 31 octobre 2023 à 20h52min
– Benjamin Roger, Et Rémi Carayol, Burkina Faso : le récit de la chute de Compaoré, heure par heure. Publié le 18 novembre 2014
– Burkina-Faso : d’une révolution à l’autre ? Compte rendu de l’atelier à l’université d’été du CADTM par Raphael Goncalves Alves,30 septembre 2015.
– Olivier Talles, « L’armée reste au centre du régime burkinabè », La Croix(France),3 novembre 2014, p.9
– Cyril Bensimon et Maureen Grisot, « Burkina : l’armée prend en main la Transition », Monde (France),4 novembre 2014, p.6.
– SOMDA S., 2015, » Polémique sur la « ruecratie » : « On peut regretter qu’en quelques mois, Michel Kafando oublie d’où il vient », Lefaso.net, 13/01/2015. Téléchargé le 3/2/2015 :
– http://www.lefaso.net/spip.php?article62736
– Mutinerie de 2011 : les confidences d’un militaire radié.
https://www.leconomistedufaso.com/
– Faso.net, Lutte contre le référendum : Le ‘’carton rouge » de l’opposition à Blaise Compaoré, Publié le lundi 2 juin 2014 à 00h54min. https://lefaso.net/spip.php ?article59461
Source: LeFaso.net
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