Ce jour-là, ce fut la nuit noire à Koudougou. Après que le président du Conseil national de la révolution (CNR) ait été éliminé avec douze de ses compagnons au Conseil de l’entente, il fallait tout faire pour anéantir les dissidents -ceux qui oseraient défier les nouveaux hommes forts du pays-, en vue d’installer solidement ce nouveau pouvoir. Tel fut, semble-t-il, ce qui a justifié ce carnage à Koudougou le 27 octobre 1987, douze jours après le putsch de Blaise Compaoré qui a consacré l’avènement du Front populaire et la mise en place, par la suite, de la IVe République au Burkina Faso. Cette République, selon la thèse de Julien Natielse, est caractérisée par « la culture de la violence et de l’impunité, du mépris de la justice et de la banalisation de la vie humaine ». Les évènements de Koudougou, d’une cruauté absolue, ne peuvent laisser toute conscience humaine indifférente, même 37 ans après. Retour sur quelques péripéties du carnage.

Après le 15 octobre, Boukary Kaboré dit le Lion était le grand danger à écarter tant il était un grand partisan de Thomas Sankara au sein de l’armée. L’hypothèse d’une résistance de sa part contre les militaires qui venaient de prendre le pouvoir n’était donc pas exclue. D’autant plus qu’il était à la tête d’un grand bataillon, le Bataillon d’intervention aéroporté (BIA), fort de 500 hommes. « Il paraît que quand on dit à Ouaga que le Lion arrive, les militaires deviennent des douaniers. Ils retournent leurs bérets », confiait Le Lion au journaliste Norbert Zongo, quelques jours avant les horribles évènements de Koudougou.

Des lors, pour le nouveau pouvoir, la bataille du 15 octobre n’était pas encore gagnée. Il fallait d’abord réduire en cendres Le Lion et ses hommes, « quitte à rayer la ville de Koudougou de la carte du pays ». Si certains ministres ou conseillers du capitaine Thomas Sankara ont été mis en prison où ils étaient torturés, pour le cas du Lion, il était décidé que deux unités, l’une venant de Bobo Dioulasso et dirigée par Alain Bonkian et l’autre de Ouagadougou et dirigée par Gaspard Somé, descendent à Koudougou avec une mission claire : « tirer sur tout ce qui bouge ». Pour écarter le dangereux Lion, aucun sacrifice ne sera de trop, fut-il celui du sang.

Malentendu sur une phrase ?

Au lendemain du 15 octobre, le capitaine Boukary Kaboré dit Le Lion n’avait pas digéré ce qui s’est passé au Conseil de l’Entente. Il avait catégoriquement refusé son soutien aux putschistes du Front Populaire. Il avait déclaré ceci à cet effet : « Nous ne pouvons à la fois pleurer Sankara et apporter notre soutien à ceux qui l’ont tué ». Cette déclaration ne tardera pas à être relativisée car des pourparlers sont engagés entre le nouveau pouvoir et Le Lion, pour éviter un bain de sang inutile. Le Lion a affirmé à cet effet avoir pu parler avec le commandant Boukary Lingani et le capitaine Henri Zongo, rangés derrière Blaise Compaoré à l’époque.

L’opposition la plus farouche à toute résistance venait du côté de Koudougou, la ville dans laquelle le BIA est installé. Bien que certains Koudougoulais souhaitaient que Le Lion venge la mort du capitaine Thomas Sankara, ils s’opposaient catégoriquement à que cela se passe à Koudougou, où ils seront les premières victimes de la résistance. Certains de leurs propos sont rapportés par le journaliste dans L’indépendant N°13 du 26 octobre 1993 : « Je veux qu’il venge Tom Sank, mais c’est à Ouaga qu’il doit aller se battre », disait un jeune. « Il veut se battre, soit, mais qu’il amène ses hommes dans son village à Poa… Il n’est pas de Koudougou, qu’il laisse notre ville en paix… », renchérissait quelqu’un d’autre. Ils demandèrent au Lion de surseoir à son projet de résistance pour éviter un bain de sang à Koudougou.

Les demandes sont formulées par les vieux et les anciens de la ville de Koudougou d’abord expressément à travers l’envoi d’un gros reptile (un serpent boa) dans sa cour et ensuite officiellement à travers une rencontre organisée à cet effet. A la fin de la rencontre, il a été décidé que les anciens se rendent à Ouaga pour transmettre la reddition du Lion et qu’il ne demandait qu’une seule chose : « sa liberté et la vie sauve ». « Moi j’ai dit hier aux vieux que je laisse tomber. Moi je ne veux même plus l’armée, je préfère aller cultiver que d’être dans cette merde. Figures-toi que si je voulais la guerre, je n’attendrais pas que l’on vienne m’assiéger. Je peux rentrer à Ouaga en plein jour. Moi je laisse tomber », dira Le Lion à Norbert Zongo au moment où la situation était confuse.

Les mots sont des pistolets chargés, disait Jean Paul Sartre. Boukari Kaboré dit Le Lion l’apprendra à ses dépens. Étant dans la tourmente après que les anciens se soient rendus à Ouagadougou, prenant les appels de gauche à droite ne sachant pas quoi faire de la situation, il reçut des journalistes qui souhaitaient l’entendre sur sa position face aux événements tragiques qui ont eu lieu au Conseil de l’Entente le 15 octobre précédent. Une journaliste de RFI lui ayant posé la question sur ce qu’il ferait s’il venait à être attaqué par les hommes de Blaise Compaoré, le Lion lui a répondu : « je combattrai jusqu’à ma dernière cartouche ». Pour Le Lion, la journaliste a fait sortir le propos de son contexte et en a fait sa Une : « Je me battrai jusqu’à ma dernière cartouche ». Ce propos belliqueux, semble-t-il, aurait servi de prétexte à Blaise Compaoré pour mettre à exécution son projet d’attaquer le BIA à Koudougou.

Un carnage pour une idiote parcelle de gloriole

Koudougou s’apprêtait à vivre un événement horrible dans la matinée de ce 27 octobre 1987, lorsque des unités de l’armée sont entrées dans la ville pour réduire à néant le Bataillon d’intervention aéroporté. Gaspard Nidar Somé, Alain Bonkian et Laurent Sédégo, sont les officiers acquis à la cause de Blaise Compaoré, qui ont dirigé l’opération. Gilbert Diendéré, aurait été le cerveau de l’expédition. Selon le sergent Sibiri Gabriel Yaméogo, chauffeur pendant l’opération dont le témoignage est relayé par la presse, l’ordre de Diendéré était clair avant qu’ils quittent Ouagadougou : « considérer tout ce qui bouge comme ennemi ». Vu la cruauté de l’ordre, une discussion se serait engagée entre eux pour épargner les civils comme il le déclare : « Tout de suite, nous avons trouvé une solution. Quand il s’agissait d’un civil, on devait tirer en l’air, quand c’était un militaire, on ne devait pas hésiter ».

Cependant, la population ne sera pas épargnée totalement : un civil, Zourègma Mathias Yaméogo, maçon de profession, a été tué à l’entrée par un obus à 5 km de camp du BIA.

Mais lors du procès de l’assassinat de Thomas Sankara en fin 2021, Gilbert Diendéré a déclaré que les instructions pour cette mission de Koudougou ont été données par le commandant en chef des forces armées populaires, Boukari Lingani. Des instructions qu’il s’est contenté de répercuter aux hommes qui devaient y prendre part. Selon Diendéré, cette mission était dirigée par un commandant de groupement qui était feu Alain Bonkian qui rendait compte au commandant Lingani.

Lire aussi : Attaque du BIA à Koudougou : Selon un témoin, c’est Gilbert Diendéré qui coordonnait la mission

Toujours est-il que ce jour-là à 6h du matin, la ville de Koudougou fut encerclée par les militaires venus de Ouagadougou. Ils prirent d’assaut le camp de BIA. Ceux qui étaient postés à la garde sont abattus. La maison du Lion est criblée de balles. Le lieutenant Daniel Kéré et sept autres sous-officiers furent exécutés froidement le premier jour. Le lieutenant Bertoa Ky, qui fuyait vers son village, à la recherche d’un asile ne va pas échapper aux tueurs. Ils l’attrapèrent et l’exécutèrent froidement devant ses parents, au village. Quant au patron du BIA, ils l’ont cherché jusqu’au mois de décembre, en vain. Celui-ci raconte les évènements en ces termes : « Le 27 octobre, il n’y a pas eu de combats ici. J’avais dit à mes hommes de déposer les armes et de rentrer chez eux. On a tué mes éléments, froidement, méchamment et gratuitement ».

Au total, onze militaires furent passés par les armes sans avoir opposé la moindre résistance. Cinq officiers, quatre sous-officiers et des hommes de rang. Si certains noms sont jusque-là inconnus, d’autres sont parlants : Elysée Sanogo, Jonas Sanou, Abdramane Sakandé, Timothée Oubda, Daniel Kéré, Ousmane Sango, Zouli Yaméogo sont ceux qui ont subi la fureur des tueurs du Front Populaire le 27 octobre 1987 à Koudougou.

Qu’est-ce qui peut justifier un tel carnage ? Norbert Zongo, le journaliste qui sera lui-même assassiné en 1998, répondait ceci dans son journal : « Le 27 octobre 1987 à Koudougou, on a tué pour le plaisir du sang. Le sang. Le sang des autres, jadis amis et parents, versé pour une idiote parcelle de gloriole. Bêtise ! ». Mais qu’est-ce que la bêtise ? Claude Chabrol, un réalisateur français, nous donne une définition tout à fait éloquente : « La bêtise est infiniment plus fascinante que l’intelligence, infiniment plus profonde. L’intelligence a des limites, la bêtise n’en a pas ». Oui, en se rappelant d’un tel événement, on peut dire que la bêtise n’a vraiment pas de limite !

Bertrand Ouédraogo (collaborateur)

Lefaso.net

Références :

Henri Levent, Koudougou, Il y a 20 ans, le carnage de l’armée (écrit en 2007), source : Le Libérateur N°43 du 05 au19 novembre 2007
– Joachim Vokouma Kaceto.net : « Il n ‘y a pas eu de combats. On a tué mes éléments froidement, méchamment et gratuitement » (Boukari Kaboré dit le Lion).
Interview réalisée par Newton Ahmed Barry et Germain Bitiou Nama en 2002. Source : l’Evènement N° 198 du 25 octobre 2010 http://www.evenementbf.net/pages/dossier_2_198.htm

L’Evénement n°9 du février 2002 dans une interview intitulée : « La confession d’un barbouze », Noufou Zougmoré
Kouléga Julien Natielse, Le Burkina-Faso de 1991 à nos jours : entre stabilité politique et illusionnisme démocratique, thèse de doctorat, 2013, p.245

Source: LeFaso.net