Depuis le 12 mai 2016, la Centrale d’Achat des Médicaments Essentiels Génériques et des Consommables Médicaux (CAMEG) traverse une crise inédite au pays des Hommes intègres. Les tenants et aboutissants de cette crise ont déjà fait l’objet de nombreux écrits et chaque citoyen s’est déjà fait sans doute sa petite opinion.
Dans cet embrouillamini total qui n’a que trop duré, les spectateurs médusés observent les gladiateurs des temps nouveaux en attendant le dénouement final du combat sans gloire. D’une part le Ministère de la santé convaincu de ses actions et d’autres parts, le PCA et le Directeur Général de la CAMEG sûrs de leurs droits et qui n’entendent point se laisser abuser. Si on n’y prend pas garde, cette querelle pourrait entrainer les mêmes conséquences que la querelle des deux lézards d’Amadou Hampâté Bâ. Le résumé de ce conte est à peu près le suivant.
Il y a bien longtemps, au temps où les hommes et les animaux parlaient la même langue, un chef de famille vivait avec sa veille maman, un chien, un cheval, un bœuf, un bouc et un coq.
Un jour, on vient annoncer au chef de famille, la mort de son ami d’un village lointain. Pour lui rendre un dernier hommage, il décide de se rendre aux funérailles. Il recommande alors à son fidèle chien : « veille sur ma mère, ne quitte pas le seuil de sa porte, et si tu as besoin d’aide, appelle les autres animaux ». Et il partit.
Quelques jours se passèrent sans incident. Un matin, le chien entend un drôle de bruit dans la case : ce sont deux margouillats qui au plafond, se disputaient le cadavre d’une mouche. Le chien voudrait intervenir mais il ne peut quitter sa place conformément aux ordres du maître. Pour séparer les belligérants, il appelle à la rescousse le coq, qui fit fi de la demande. De même pour le bouc, le cheval et le bœuf. Tous estimèrent de peu d’importance une querelle de deux lézards et refusèrent d’intervenir pour séparer les deux protagonistes. Dépité, le chien leur dit : » il n’y a pas de petite querelle, tout comme il n’y a pas de petit incendie ».
Pendant ce temps, les lézards continuèrent à se battre, tant et si bien que l’un deux tomba sur la lampe à huile, qui mit le feu au lit de la veille maman. Un incendie se déclara. Les voisins sauvèrent de justesse la vieille dame, mais elle était toute brûlée.
Un jeune est alors envoyé en urgence au village lointain sur le dos du cheval pour prévenir le fils. Il court, galope toute la journée, sans laisser le cheval reprendre son souffle ! Prévenu, sur le champ, le fils enfourche le cheval, le jeune en plus et revient vite à la maison. Par cette journée folle sans repos aucun et le surpoids, le cheval est fourbu et meurt d‘épuisement. « Ah, dit-il au chien, j’aurais dû t’écouter et séparer les deux lézards » ! « Je te l’avais dit, dit le chien, il n’y a pas de petite querelle, tout comme il n’y a pas de petit incendie ».
Pour guérir la vielle dame, le marabout recommande d’enduire les brûlures de sang de coq et de boire le bouillon fait avec la chair du coq. On sacrifia alors le coq ! Avant de mourir, le coq dit au chien : « tu avais raison, j’aurais dû intervenir tant qu’il était temps » ! Je te l’avais dit, dit le chien, il n’y a pas de petite querelle, tout comme il n’y a pas de petit incendie « .
La vielle dame n’a pas survécu à ses brûlures. A ses funérailles, comme le veut la coutume, on sacrifia le bouc. Le bouc, en passant près du chien lui dit : « Comme je regrette de ne pas avoir fait le nécessaire » ! « Je te l’avais dit, dit le chien, il n’y a pas de petite querelle, tout comme il n’y a pas de petit incendie « .
Quarante jours après l’enterrement de la vieille dame, une cérémonie rassembla tout le village et les habitants des villages voisins, c’est la tradition. Pour nourrir tout ce monde, le fils tua le bœuf et un grand festin fut préparé. Avant de mourir, le bœuf dit au chien : « Si j’avais su que ça finirait ainsi, j’aurais séparé les lézards » ! « Je te l’avais dit, dit le chien, il n’y a pas de petite querelle, tout comme il n’y a pas de petit incendie « . Le chien reçut sa part du festin.
La morale de cette histoire est qu’il ne faut point négliger les petits conflits, sinon tout le monde pourrait en souffrir et en pâtir. A petite cause, grands effets et grandes conséquences souvent dramatiques. Il faut donc toujours intervenir à temps.
Pour revenir à la situation actuelle de la CAMEG, vue sa fonction régalienne dans le système sanitaire du Burkina Faso, il est vraiment temps que les plus hautes autorités sifflent la fin de la récréation conformément aux textes et droit en vigueur. Cette situation lamentable, cette tragi-comédie ne saurait perdurer sans une répercussion désastreuse sur le système sanitaire national. Le principal perdant, ce sera le Burkina Faso, la pauvre population et de loin avant ceux qu’on dit vouloir boire le lait ou manger la vache.
La CAMEG est née de la volonté des autorités burkinabè de doter le pays d’une structure sûre et efficace en matière d’approvisionnement en médicaments essentiels génériques (MEG) de qualité dans l’esprit de l’Initiative de Bamako. Depuis 1992, date de sa création, la CAMEG n’a cessé de gravir les échelons de la croissance. Autrefois établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) de 1992 à 1997, aujourd’hui Association à but non lucratif (ASBL), la CAMEG est parvenue, en dépit des multiples chocs, à gagner en notoriété et à se faire une place et une réputation indéniables au niveau international, grâce à une gestion innovante et efficace de ses dirigeants successifs. Aujourd’hui, elle est vraiment une fierté nationale et sans conteste une référence sous régionale voir africaine en matière de centrale d’achat de médicaments bien performante.
Cette prouesse est consécutive au génie de l’ensemble des acteurs ayant animé la CAMEG mais aussi à la clairvoyance, à la vigilance, à la lucidité de ceux qui en 1997 ont osé proposer la transformation des statuts de la CAMEG d’EPIC en ASBL dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie financière. La cerise sur le gâteau fut l’ouverture de la CAMEG au privé à travers la délibération N°44/CAMEG/7e session du conseil d’administration (CA) réuni à Ouagadougou le 08 Mai 2000. En divers, deux points inscrits à l’ordre du jour : le contrat du DG qui arrivait à terme le mois suivant (Juin 2000) et le renouvellement du mandat des administrateurs. Le même jour, la délibération N°45/CAMEG/7e session du même CA, renouvela le contrat du directeur général de la CAMEG pour une durée de cinq (05) ans renouvelable. Notons que c’est la même approche qui a prévalu lors du renouvellement du contrat du DG actuel de la CAMEG lors du CA du 12 mai 2016.
Toujours, lors du CA du 08 mai 2000, il a été également modifié l’article 9 des statuts en ce qui concerne la durée du mandat des administrateurs et des membres du comité de supervision passant deux (02) ans renouvelable à trois (03) ans renouvelables (délibération N°46/CAMEG/7e session de 08 Mai 2000). Ce statut hybride arrangeait et rassurait toutes les parties prenantes notamment les PTF et les fournisseurs de la CAMEG dans la mesure où cela réduisait considérablement l’immixtion du pouvoir dans le fonctionnement de la structure. Le Burkina Faso venait d’oser inventer un statut. Dès lors, depuis le 08 mai 2000 à nos jours, soit 16 ans durant, la CAMEG a été régie par ces statuts qu’on qualifie aujourd’hui de « bidons ».
Avec les même statuts, elle est passée successivement et radieusement du stade nouveau-né, au stade nourrisson, puis de l’enfance et à l’adolescence sans retard de croissance staturale, ni pondérale.
Pour preuve, d’une seule agence commerciale en 2000, aujourd’hui, la CAMEG couvre tout le pays à travers un réseau de 10 agences commerciales déployées sur 08 des 13 régions que compte le Burkina Faso, avec une capacité de stockage moyenne de 1 700 mètres carrés. A l’âge adulte, elle espère étendre sa présence dans toutes les 13 régions du territoire national.
La performance de la CAMEG ne fait donc l’objet d’aucun doute et le meilleur résultat financier a été obtenu en 2015 soit un résultat net bénéficiaire de 1 709 121 148 FCFA (une hausse significative de 411 342 540 FCFA !).
N’est-ce pas tout cela qui vaut à la CAMEG sa malheureuse situation actuelle ? Ce résultat reluisant ne créé-t-il pas de la convoitise mal cachée ? Toujours est-il qu’il faut vite trouver une solution. Cette cacophonie ne saurait perdurer sans une répercussion dramatique sur la santé des populations. Elle ne rassure ni les PTF, ni les fournisseurs. Or la CAMEG fournit en MEG près de 90% des besoins des structures sanitaires publiques au Burkina Faso. La moindre défaillance de la CAMEG compromettrait littéralement toute la politique pharmaceutique nationale, la politique sanitaire actuelle mais aussi toute la politique actuelle de gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes, programme phare du présent mandat présidentiel.
Pourquoi alors ce silence complice au sommet de l’Etat ? Est-ce vraiment une lutte de clans au sommet comme il se susurre ?
Il faut absolument que les principaux protagonistes se mettent autour de la table pour échanger et fumer le calumet de la paix sous l’arbitrage stricte de la justice renaissante pour l’intérêt supérieur de la nation et le bien-être des populations. Il suffit de finaliser au plus vite les nouveaux textes de la CAMEG initiés au cours de la transition et ensuite veiller à ce que les Hommes qu’il faut soient à la place qu’il faut. Ce ne sont pas seulement les textes bien élaborés qui font la qualité et la force d’une entreprise ou d’une institution mais aussi et surtout la valeur morale, les qualités intrinsèques, les compétences techniques des Hommes qui l’animent. De nombreuses entreprises aux textes irréprochables ont été créées au Burkina Faso mais ont connu un sort funeste par la seule cupidité et la gloutonnerie sans borne des premiers responsables.
Parfois, ne rien faire est de loin meilleur qu’une intervention incertaine, hasardeuse et désastreuse. Il faut veiller à tout prix à la dépolitisation des institutions et des sociétés. Le Burkina Faso revient de loin. Il faut savoir tirer les leçons du passé pour sereinement se projeter sur l’avenir. Quand la politique et le politique entrent dans les institutions et les sociétés, alors s’installent solidement le copinage, l’amateurisme, le laxisme et l’impunité. L’efficacité et le rendement s’enfuient le plus souvent par la porte de laquelle s’engouffrent l’échec programmé et inéluctable, la faillite et son corollaire de déflatés à l’avenir incertain.
Que la sagesse et l’intérêt supérieur de la nation prévalent en toute circonstance pour que la CAMEG, ce joyau national poursuive sa croissance radieuse et que « par reflexe et sans complexe » elle mette à la disposition des populations des MEG, sûrs, efficaces et accessibles !
Le peuple souverain en bénéficierait !
Au plus vite, la fin de la crise !
La Pharmacie citoyenne
Dr Issaka SONDE
Pharmacien
Email : issaksonde@hotmail.com
Source: LeFaso.net
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