« Les morts ne sont pas morts ». Ce refrain du célèbre poète sénégalais Birago DIOP s’est traduit en réalité pour les professeurs et les étudiants de la faculté des Sciences de l’Éducation de l’Université Pontificale Salésienne (UPS) à Rome. En effet, Joseph KI-ZERBO décédé le 4 Décembre 2006, était l’invité d’honneur d’une étudiante burkinabè, la Sœur Andréa DAH, qui l’a présenté à une multitude de personnes qui ne l’ont pas connu et n’avaient pas encore entendu parler de lui.
Après ce dont nous avons été témoins le lundi 10 Juin 2011 à Rome, on ne peut nier que ce grand intellectuel burkinabè continue d’enseigner, de guider, de tracer des pistes. Il est toujours vivant et continue d’inspirer tant d’étudiants au nombre desquels la sœur DAH de la Congrégation des Sœurs Ursulines Filles de Marie Immaculée. Elle a démontré être un pur produit de l’école KI-ZERBO, à travers la brillante soutenance de son mémoire de Master en Sciences de l’éducation sur le thème : « La question éducative chez Joseph KI-ZERBO. À la redécouverte d’une méthode pédagogique enracinée dans la culture au Burkina Faso. »
Dans une salle archicomble, la candidate a su captiver l’auditoire en dressant un portrait saisissant de la vie et des enseignements du professeur KI-ZERBO, en parfaite adéquation avec son sujet.
L’assistance a eu droit dans un premier temps à un aperçu biographique de Joseph KI-ZERBO, fils d’Alfred Diban KI-ZERBO, présenté comme l’un des premiers chrétiens de la Haute Volta, aujourd’hui Burkina Faso : « …le 21 juin 1922, les grandes familles Ki-Zerbo et Folo se sont levées pour louer et acclamer Dieu, donneur et promoteur de toute vie, pour le don d’un grand homme nommé Joseph à Toma en Haute-Volta, l’actuel Burkina Faso, qui signifie pays des hommes intègres. Il est à noter que son père Alfred Diban Ki-Zerbo est considéré comme le premier chrétien du Burkina Faso et qu’une procédure a été introduite pour sa cause de béatification. C’est ainsi que le jeune Joseph grandit et connait une scolarité primaire et secondaire tumultueuse, partagée entre le Burkina Faso et le Sénégal. Après avoir obtenu son baccalauréat, il part pour Paris en France grâce à une bourse d’études. Il s’inscrit à la Sorbonne, où il étudie l’histoire. En 1956, il devient le premier agrégé d’histoire africain. Pour lui, l’histoire est un meilleur moyen d’acquérir des connaissances sur l’Afrique. Ki-Zerbo était un étudiant très actif dans les mouvements panafricain et voltaïque. Il fut plus tard le fondateur et le premier président des étudiants voltaïques de France, l’association des étudiants catholiques africains, antillais et malgaches de France. Il a joué un rôle clé dans les institutions interafricaines et internationales. Il a été l’un des initiateurs et le premier secrétaire général d’une grande organisation africaine, le CAMES (Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur) ».
L’éducation traditionnelle africaine en trois étapes déstructurée par la colonisation
Dans un second temps, la conception, la perception et le regard que Joseph KI-ZERBO porte sur l’école en Afrique en général et au Burkina Faso en particulier ont été exposés afin de mettre en lumière sa pensée pédagogique. Il faut noter à ce propos que le Professeur subdivise l’éducation traditionnelle africaine en trois étapes principales : l’intégration biophysique de l’enfant, l’attribution du nom et les rites d’initiation.
Avec l’avènement de la colonisation, l’Afrique a connu d’autres formes d’éducation soutenues par les écoles françaises, anglaises, espagnoles et portugaises. Ce nouveau pacte éducatif, qui devrait créer une belle symbiose entre l’ancienne et la nouvelle éducation, a au contraire créé un grand fossé. KI-ZERBO regrette que « la rupture dans le système éducatif africain a été consommée par la domination coloniale, qui l’a remplacée par une structure complètement différente ».
Dans un troisième temps, Sœur DAH a décrit le système éducatif du Burkina Faso, de la période coloniale à nos jours : l’organisation structurelle, les deux grandes réformes éducatives, les ministères en charge de l’éducation, la responsabilité des parents… Elle a ainsi relevé les aspects positifs et les faiblesses du système, puis a abordé la contribution pratique de KI-ZERBO à la construction de l’école burkinabè.
En dernier lieu, la pensée pédagogique de KI-ZERBO a été mise en dialogue avec le système éducatif burkinabé. Sœur DAH a mis en lumière l’héritage de la pensée pédagogique du professeur dans le système éducatif de son pays et dégagé les perspectives qu’offre cette pensée pour l’élaboration d’une méthode pédagogique pertinente.
La candidate a fait entendre quelques propositions du professeur pour qui il faut repenser le système éducatif en commençant par des propositions concrètes de réorganisation systémique de l’école et une structuration en profondeur du système éducatif, y compris du programme d’étude. Concrètement, il faut intégrer dans les programmes de formation des valeurs issues de l’initiation traditionnelle telles que le courage, l’effort, la persévérance, le sens du respect, de l’honneur et le sens critique, pour favoriser l’épanouissement personnel et collectif.
« L’école ne peut pas tourner le dos à l’héritage africain, sinon elle serait l’école en Afrique et non l’école africaine »
Sœur Andréa DAH conclut ainsi : « Au terme de ce travail de recherche, de ce voyage enchanteur dans le vaste domaine de l’éducation, de l’école marquée par l’émerveillement, l’étonnement, le questionnement, mais surtout par de merveilleuses perspectives de récupération de la vie et de découverte de Joseph Ki Zerbo, de sa vision du monde, de l’éducation, de l’école et de sa méthode pédagogique, nous pouvons dire : » L’éducation doit promouvoir la culture du pays dans lequel elle s’inscrit. Les jeunes Africains partent de quelque part et les guider sans se préoccuper de comprendre d’où ils viennent, ce n’est pas faire de l’éducation mais du dressage au sens de l’éducation (…) L’école ne peut pas tourner le dos à l’héritage africain, sinon elle serait l’école en Afrique et non l’école africaine »… Au cours de ce processus de réflexion et de recherche, nous nous sommes rendu compte de l’importance d’inclure les études de Ki-Zerbo dans les programmes de formation des étudiants, des enseignants et des cadres du Burkina Faso afin d’aider les jeunes générations à prendre conscience de leur identité et d’enraciner l’éducation dans la culture locale. Il est urgent de prendre en compte les propositions de KI-ZERBO en matière d’éducation pour valoriser notre patrimoine culturel ».
Le jury qui avait pour mission d’apprécier le travail de la candidate a été tout autant édifié que l’assemblée composée d’étudiants d’origines diverses et des membres de la communauté religieuse de Sœur DAH. Sa directrice de mémoire a souligné que « les Européens n’ont rien à enseigner aux Africains en matière d’éducation ni dans la forme, ni dans le fond, car les Africains ont d’excellentes références en la matière. Et le professeur Joseph KI-ZERBO en est une ».
La qualité du travail de la sœur Andréa DAH a été appréciée par le jury avec la mention la plus haute, 30/30, suscitant la fierté et faisant l’honneur de toute la communauté burkinabè présente, avec à sa tête les représentants de l’Ambassade du Burkina Faso près le Saint-Siège.
Abbé Simon Évariste Mankanangan KI
Étudiant de première année en Sciences de la Communication Sociale à l’Université Pontificale Salésienne (Rome)
Source: LeFaso.net
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