La confédération de l’Alliance des États du Sahel vient de naître au plan institutionnel avec des textes de gouvernance qui attendent d’être adoptés par les trois chefs d’État. C’est une réunion tenue à Niamey le 17 mai 2024 par les ministres des affaires étrangères du Burkina, du Mali et du Niger qui l’a annoncé. Le texte n’a pas été divulgué, mais on peut se demander si le contexte à l’origine de la création de ce pacte de défense est toujours d’actualité ? Tout comme on peut se demander qu’est ce qui empêche le retour des États du Sahel au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ?

Après avoir, par leur union et leur détermination, mis le doigt sur des plaies de la CEDEAO, la nouvelle confédération ne ferait-elle pas le jeu des ennemis de l’Afrique en voulant s’isoler et cultiver la haine et la conflictualité avec ses voisins de la CEDEAO ? La crise énergétique vécue dans ces États du Sahel au moment de la canicule de ces derniers mois ne devrait-elle pas convaincre de la communauté de destins et de la nécessité de poursuivre les projets d’interconnexion électrique en cours dans notre région et en Afrique ? Allons-nous, au moment où l’on parle de souveraineté, confier la gestion de nos différends à des pays étrangers au continent ?

Le Burkina Faso, le Mali, le Niger ont signé le 16 septembre 2023, un pacte de défense contre la menace d’intervention militaire de la CEDEAO contre le coup d’État au Niger pour rétablir au pouvoir le président élu et déchu Mohamed Bazoum. L’AES avait pour but « d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle » et de considérer « toute attaque contre la souveraineté et l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties contractantes … comme une agression contre les autres parties » Au moment des faits, les menaces venaient des groupes terroristes qui écument le Sahel, en se passant des frontières et en frappant par surprise là où ils veulent.

C’est pour cette raison d’ailleurs que les trois coups d’État sont intervenus au Mali en 2020, au Burkina en 2022 et enfin au Niger en 2023. Mais la CEDEAO, après avoir négocié avec les deux premiers les conditions de transition vers un régime démocratique, cette fois-ci menaçait d’intervenir militairement au Niger, ce qui a causé la levée des boucliers des pouvoirs au Mali et au Burkina, qui se sont sentis concernés et être les suivants s’ils abandonnaient le Niger.

A la veille de la fin de la période de transition signée par le pouvoir militaire au Mali avec la CEDEAO, les trois chefs d’État annoncent par un communiqué conjoint lu sur les antennes télévisuelles par leurs porte-parole du gouvernement le 28 janvier 2024, leur retrait de la CEDEAO sans délai. C’est une crise majeure pour l’institution régionale qui, en 49 ans d’existence n’en a pas connu de pareille. Les raisons avouées par les pouvoirs militaires sont entre autres : les « sanctions illégales, illégitimes, inhumaines et irresponsables » et une autre plus discutable dit que la CEDEAO serait, « devenue une menace pour ses États membres et les populations ».

Le pacte de défense contre les groupes terroristes

Aujourd’hui, la CEDEAO a remis son sabre de guerre dans son fourreau, abandonné les discours bellicistes pour rétablir la démocratie, levé certaines sanctions et ouvert les frontières. On peut raisonnablement dire que la principale menace pour l’AES vient des groupes terroristes et non de ses frères de la CEDEAO qui sont revenus à de meilleurs sentiments. Quelque huit mois après la déclaration de sa création, si l’AES a arrêté les velléités d’intervention de la CEDEAO au Niger, on ne peut pas en dire autant avec les groupes terroristes. Or cette alliance avait et devait beaucoup agir pour influencer le cours de cette guerre contre le terrorisme qui est une menace forte et de longue durée sur l’intégrité territoriale des trois pays à savoir le Burkina, le Mali, et le Niger qui ont perdu le contrôle de certaines parties de leur pays. La guerre est dans les États du Sahel du fait des groupes terroristes mais pas du fait de la CEDEAO.

Fermeture de la frontière et blocage d’embarquement de pétrole

On est surpris qu’après la levée des sanctions par la CEDEAO et l’ouverture des frontières par les pays de la CEDEAO, le Niger ait maintenu fermée sa frontière avec le Benin, alors qu’elle a ouvert celle avec le Nigeria. Le motif invoqué par les autorités nigériennes pour ces deux poids, deux mesures face au Nigéria et le Bénin est que ce dernier maintiendrait des bases militaires françaises sur son sol où s’entraîneraient de futurs assaillants terroristes contre le Niger.

Alors que le Niger a sur son sol encore des troupes étrangères comme celle des États unis sur le départ et celles russes qui viennent d’arriver. Le Bénin se défend de vouloir du mal au Niger et que c’est bien lui qui a demandé la levée des sanctions et l’ouverture des frontières mais le général Tiani n’entend rien. Aussi Talon, pour montrer aussi qu’il a des moyens de rétorsion en main, a bloqué l’embarquement du pétrole brut nigérien depuis le terminal de Sèmè Podji.

La manière de gérer ce contentieux que les autorités nigériennes ont abandonné à la société chinoise est une honte pour l’Afrique. Nos dirigeants ne peuvent-ils pas se parler entre frères africains ? Avant c’était la France qui parlait en notre nom, aujourd’hui c’est à la Chine et à la Russie qu’on abandonne nos droits. De quelle souveraineté parle-t-on, si c’est aux étrangers de discuter de nos problèmes et de trouver la solution. Le Bénin a laissé le premier bateau enlever les premiers barils mais maintient que si la frontière n’est pas ouverte, le pétrole non plus ne coulera pas entre le Niger et le Bénin.

L’élection de Diomaye Faye au Sénégal est un espoir de changement à la CEDEAO

Les dirigeants de l’AES doivent accepter que l’épisode des sanctions étaient une faute de la CEDEAO et qu’elle ne va pas recommencer. Elle ne le fera pas si elle a face à elle des gens qui mènent le débat contradictoire. C’est au sein de la CEDEAO que les trois États doivent discuter de leurs griefs. Le Comité des sages de la CEDEAO leur a tendu la perche les 29 et 30 avril 2024 à Abidjan en les invitant à reconsidérer leur demande de départ « dans l’intérêt de l’unité de la communauté, de la cohésion, de l’intérêt général de leurs populations et de l’intégration régionale ». Il n’a échappé à personne que les mois de chaleur au Sahel ont fait beaucoup de morts cette année 2024 parmi les personnes âgées et les bébés à cause des fortes chaleurs et des coupures d’électricité sans oublier les maladies de ces tranches d’âges très fragiles.

Il y a un espoir de fournir l’énergie à notre région si nous unissons nos forces et notre potentiel, ce n’est pas le moment de nous diviser et de nous affaiblir. Les nouveaux dirigeants du Sénégal Diomaye Faye et Ousmane Sonko sont des alliés potentiels qui sont arrivés dans le club des autorités de la CEDEAO, c’est le moment de s’appuyer sur eux pour faire passer les vues souverainistes et anticolonialistes d’autant plus que la majorité de ces chefs d’État n’aiment la démocratie que de nom et tant que cela ne les concerne pas. Faure Eyadema, le président togolais, vient d’ouvrir le bal en révisant la constitution pour pouvoir rester au pouvoir à sa guise, peut-être va-t-il être rejoint par Alassane Dramane Ouattara pour un autre mandat ? Comme l’a dit Bassirou Diomaye Faye, la Cedeao est « un outil formidable d’intégration » que « nous gagnerons à préserver ». On ne gagne rien à quitter une organisation pour en reconstruire une nouvelle.

Les peuples ne gagnent pas en abandonnant un port proche pour aller dans un autre plus loin de 400 km avec des contraintes fortes de sécurisation des convois. Si les chefs des juntes au pouvoir aiment vraiment l’Afrique et les Africains, ils doivent agir pour leur intérêt en prenant des options de paix de fraternité, de solidarité. Ils ne doivent pas avoir peur de rencontrer des Africains pour défendre l’intérêt des populations africaines. Vont-ils laisser des espoirs de croissance à deux chiffres tomber à l’eau parce qu’ils ne veulent pas discuter avec un valet de l’impérialisme ?

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net