Quel regard avons-nous sur nos traditions et coutumes. Avec quels yeux les regardons nous ? Pourquoi en vient-on aujourd’hui à les invoquer, à les convoquer pour résoudre nos problèmes, nous qui, nous sommes longtemps passé d’elles au niveau de l’État ? Nous qui vivons nos vies d’antan joyeuses, tristes parfois, sans penser à elles ? Nos anciennes vies, avant cette guerre qui n’en finit pas, d’hommes modernes, Africains, du XXIe siècle, étaient bien matérialistes. Pourquoi ressentons-nous ce manque, ce besoin de forces invisibles, des traditions et coutumes ? Les connaissons nous suffisamment ? Face à nos difficultés de maîtriser le destin, faut-il prendre la machine à remonter le temps ?

Sommes-nous sûrs que ce sont les traditions et les coutumes des ancêtres que nous retrouverons ? Que recouvre cette nouvelle fête légale qui sera désormais célébrée le 15 mai ? La fête des traditions et des coutumes est-elle la fête des religions traditionnelles ? Peut-on voir dans cette fête légale une expression du souverainisme qui s’attaque à ce qui lui semble un fait de domination ? Cette problématique a un certain écho sur les réseaux sociaux où le christianisme est vu comme une religion étrangère, européenne sinon française, outil de l’impérialisme du même nom. N’y a-t-il pas là quelques clarifications à faire ?

Le conseil des ministres du 6 mars 2024 vient de nous offrir une nouvelle fête. Ce n’est pas parce que l’on travaille trop au pays des hommes intègres, où que l’on n’a pas assez de jours fériés et chômés, mais c’est pour réparer un oubli, un dédain de plus de soixante ans des adeptes de la tradition et des coutumes par l’État, qui ne les reconnaissait pas, les invisibilisait : véritables fantômes que l’on ne voyait pas au niveau des fêtes légales. Ce n’est que justice.

Si c’est une réparation par rapport à la laïcité qui veut que l’État ne favorise aucune religion, le choix de la date enfreint le principe de la non intervention de l’État dans les affaires des communautés religieuses. Ce n’est pas à l’État de décider du jour d’une fête coutumière ou traditionnelle, mais aux autorités religieuses concernées. Et dans cette question des religions traditionnelles, il faut le reconnaître, il n’existe pas d’autorité centrale jacobine qui décide pour tous. Devront-elles s’aligner sur une date choisie par l’État qui ne correspond pas à leurs rites ?

Des traditions et coutumes en péril

Il y a la tentation intellectuelle du raccourci qui voudrait mettre ces traditions dans le même moule simpliste réduisant à deux rites : de prières et d’imploration avant les cultures, et de remerciements et d’action de grâces avant / après les récoltes. Ce qui réduit les traditions aux traditions des agriculteurs sans tenir compte de celles des pasteurs. On peut se dire que le mieux est l’ennemi du bien et s’en tenir à une journée fériée chômée et payée offerte à tous et qui ne résoudra pas le problème des travailleurs adeptes de la religion traditionnelle qui devront demander des jours d’absence pour pratiquer les coutumes et traditions parce que les décideurs de ces coutumes, et c’est normal, ne retiennent pas les jours de coutume en fonction du choix de l’État.

D’autres critères règlent le fonctionnement de ces coutumes depuis fort longtemps. Et surtout si on en reste là, au folklore du jour férié comme très souvent, on n’oubliera que les traditions et les coutumes sont en péril. On continuera à rejeter la faute sur la colonisation et la néo colonisation sans définir des tâches pour les sauvegarder.

Face à la mondialisation, tous les peuples s’interrogent et sont d’autant plus effrayés par l’avenir qu’ils n’ont pas la maîtrise du présent. Le reflexe identitaire peut être un recours politique facile. Et le danger est de vite ranger les religions dans des catégories comme étrangères, européennes, françaises etc.

La religion est un choix personnel, et nos familles aux Burkina respectent ce droit qu’est la liberté de croyance. Aussi trouve-t-on dans les familles des adeptes du christianisme, de l’islam, de la religion traditionnelle. Personne n’exclut son parent parce qu’il est adepte de telle ou telle religion. La famille reste unie et solidaire. La sagesse dit que : « Toutes les religions se valent et sont également bonnes si les gens qui les professent sont d’honnêtes gens. »

Pourquoi accuser les adeptes des religions révélées de trahir et de mépriser leurs ancêtres parce qu’ils ont besoin d’une certaine croyance pour affronter le monde moderne ? Il n’est pas mieux de leur montrer en quoi les coutumes et les traditions peuvent les y aider ? C’est une ignorance historique que de faire du christianisme une religion française. Les Européens étaient des païens qui ont reçu l’Évangile venant de la Palestine. Certaines parties de l’Afrique ont reçu le christianisme avant le continent européen.

La part africaine des religions révélées

À regarder de près ces religions : l’islam et le christianisme, l’Afrique leur a apporté quelque chose pour ne pas dire plus. Un prêtre jésuite camerounais a montré, en se basant sur la figure de Moïse qui est commune aux trois religions révélées, cet apport. Chacun sait que Moïse était un bébé israélite sauvé des eaux du Nil par la fille de pharaon. Il a été élevé comme un prince dans la cour du pharaon, a eu une formation intellectuelle dans la famille régnante en Égypte.

Naturellement, ces développements sont fondés sur les travaux de Cheick Anta Diop sur le caractère nègre de la civilisation égyptienne. Ce bagage intellectuel égyptien ne peut pas avoir disparu, et n’est-ce pas le dessein de Dieu qu’il ait été placé au cœur du palais du pharaon pour apprendre, Moïse ? L’histoire des religions montre des influences des croyances de plusieurs peuples.

Si l’Afrique est le berceau de l’humanité, rien d’humain ne peut nous être étranger. Ne renions pas notre primauté, le continent qui a donné naissance à l’humanité, là où l’homme, la première fois s’est mis debout. On peut être complexé par notre situation actuelle, nos pyramides que nous n’arrivons pas à bâtir. Ce n’est pas une raison pour aller chercher des querelles dans le passé.

Ne blessons pas nos compatriotes pour leurs croyances. Les idées, les croyances, les traditions changent et évoluent avec le temps et les hommes.

Si nos traditions ont des problèmes, c’est de notre faute, c’est nous qui les avons réévaluées en fonction des temps actuels. La difficulté de trouver des prêtres pour entretenir des autels familiaux est une réalité, car c’est une vie d’intégrité et de dénuement que beaucoup de personnes refusent de vivre. Pourquoi n’arrive-t-on pas à faire estimer ce sacerdoce ? Les solidarités et les soutiens manquent à ceux qui voudraient s’y dévouer. La pyramide des valeurs s’est inversée avec une société mercantile où la spiritualité et la morale n’ont plus de place, le respect des anciens et de la parole donnée ne valent plus rien. De quelles traditions et coutumes allons-nous parler encore ?

La difficulté à cerner le concept des traditions et coutumes s’est affichée avec les premiers commentaires enthousiastes et aussi peu éclairants sur la portée de la nouvelle fête légale comme les prouesses de « sciences endogènes et/ou ésotériques » comme d’utiliser la foudre comme moyen de transport de sac de maïs frais qui arrive à bon port non calciné. Nous sommes face à un immense terrain inconnu et nous avons besoin de méthodes et d’esprits scientifiques pour y pénétrer. On peut comprendre que certains rêvent pour recouvrer la souveraineté du pays, de faire une homogénéité ethnoculturelle, en ayant une même langue, une même religion et les mêmes coutumes. Mais c’est faire fausse route, car le fait colonial nous empêche de rêver d’une telle nation.

Le fait colonial fait que notre pays est une hétérogénéité ethnoculturelle avec plusieurs ethnies, plusieurs langues, et de multiples coutumes et traditions. Nous devons bâtir notre nation sur notre volonté commune d’émancipation de la France et de toute puissance impérialiste et du contrat civique de vivre ensemble sur ce territoire commun.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net