L’Afrique de l’Ouest, en Afrique, ne compte pas pour des prunes. Pas parce que la Côte d’Ivoire est championne d’Afrique en football, mais parce que c’est la région la plus intégrée du continent. Cette intégration n’est pas seulement une affaire des chefs d’Etat.

L’intégration, la création des organisations régionales, est une volonté des peuples qui se sont toujours battus contre les frontières héritées de la colonisation pour vivre ensemble, travailler là où les affaires vont mieux, où le besoin de sa force de travail existe, où son cœur le porte quand bien même il n’est pas né là. Et ces constats sont ceux de l’histoire, de la géographie, et des populations de notre région qui, dans leur diversité, sont unies par-delà les frontières.

Ainsi une même communauté ethno linguistique peut se retrouver dans deux à trois pays et un citoyen peut avoir des parents en Côte d’Ivoire au Mali et au Burkina. Ou encore au Nigeria, au Bénin et au Togo. Ces dernières années, la région ouest africaine est l’épicentre de plusieurs crises dont la plus importante est celle de l’insécurité avec les groupes terroristes qui ont essaimé du Mali pour conquérir le Sahel et cherchent à gagner les pays côtiers.

L’incapacité des gouvernements à mettre fin à ce fléau sécuritaire a emmené les coups d’Etat dans les trois pays du Sahel. Lesquels putschs ont entraîné des sanctions économiques de la part de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest. L’ostracisme dont ont été victimes les régimes militaires a créé une volonté d’union pour combattre le terrorisme et résister aux pressions récurrentes de la CEDEAO pour le retour à une vie constitutionnelle normale.

La menace de faire la guerre au Niger après le coup d’Etat, ajouté à l’agitation de la puissance néocoloniale française, ont radicalisé ces dirigeants qui n’ont pas craint de quitter le bateau régional. Cette rupture, conjuguée à la campagne sur les réseaux sociaux contre la CEDEAO, met celle-ci dans une posture difficile. La sortie du dernier père fondateur vivant de la CEDEAO dans une lettre permet de rebattre les cartes et de donner une chance de survie à l’organisation. En quoi le général Yakubu Gowon a-t-il le profil de médiateur ? Ses propositions ont-elles une chance d’être acceptées par les deux parties ? Qui prendra le risque d’endosser après cette lettre le manteau du bourreau de la CEDEAO ?

Les peuples d’Afrique de l’Ouest aspirent à l’unité, à la paix, au développement et au progrès. Ils se considèrent comme des frères. Et le mal qui frappe un pays suscite la tristesse la compassion et la solidarité dans les autres pays. Ce sont les dirigeants qui ne s’entendent pas souvent et prennent des décisions regrettables, bien souvent. On peut citer côté CEDEAO les sanctions économiques et financières contre le Mali et le Niger pour les coups d’Etat. Le pire a été la menace de faire la guerre au Niger. Et du côté de l’Alliance des Etats du Sahel, le retrait des trois Etats du Burkina, du Mali, et du Niger de la CEDEAO avec effet immédiat le 28 janvier 2024.

L’ancien président du Nigéria, père fondateur de la CEDEAO, arrivé au pouvoir par coup d’Etat n’a pas voulu voir l’œuvre de ses mains et de ses pairs, détruite sans rien faire. Aussi a-t-il pris sa plus belle plume pour écrire à la CEDEAO le 19 février 2024. Cette lettre a vraiment changé la donne parce que le sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO a pris des décisions qui relancent le jeu et remettent la tête de la CEDEAO hors de l’eau.

Yakubu Gowon père fondateur s’invite en médiateur

Qu’il se soit choisi lui-même ou que l’on ait eu recours à lui, le général Yakubu Gowon est l’homme de la situation, l’autorité morale reconnue par les deux parties en conflit. Il n’a échappé à personne que dans la déclaration télévisée faite par les trois ministres des trois pays sur les chaînes de télévision publique du Burkina Faso, du Mali, du Niger, les dirigeants de ces pays ont tenu à citer les chefs d’Etat de leurs pays qui ont été des pères fondateurs de la CEDEAO, les généraux Aboubacar Sangoulé Lamizana et Moussa Traoré ainsi que le lieutenant-colonel Seyni Kountche, tous arrivés au pouvoir par coups d’Etat.


Le message subliminal de cette évocation des pères fondateurs qui étaient putschistes est que la trahison des objectifs originaux de la CEDEAO est dans l’acte additionnel du traité sur les changements anticonstitutionnels. Le général Yakubu Gowon aussi était un putschiste, ce qui en fait une autorité morale consensuelle du fait d’être père fondateur. Il faut saluer le fait qu’il sorte de sa retraite pour sauver l’organisation régionale en péril et travailler à sa reconstruction.

La Méthode Gowon

La lettre du vieux général est d’une sagesse incommensurable. Aucune partie n’a été avantagée. Chacun doit renoncer à quelque chose. Premièrement « La levée de toutes les sanctions qui ont été imposées au Burkina Faso, à la Guinée, au Mali et au Niger. Le retour par le Burkina Faso, le Mali et le Niger sur leur avis de quitter la CEDEAO » et deuxièmement « la participation des 15 chefs d’État de la CEDEAO à un sommet pour débattre de l’avenir de la communauté, de la sécurité et de la stabilité régionales, ainsi que du rôle de la communauté internationale dans le contexte géopolitique actuel. »

Si les quinze chefs d’Etat défendent l’intérêt des peuples, comme ils aiment le dire, ils devraient accepter ces recommandations pour discuter entre Africains des questions africaines au lieu de se séparer et de se jeter des anathèmes d’être sous influence de telle ou telle puissance étrangère. Discuter de la communauté internationale dans le contexte géopolitique actuel veut dire aussi d’affirmer notre africanité vis-à-vis des partenaires que l’on peut avoir qui viennent chez nous pour leurs intérêts et qui tirent profit de nos désunions et nos refus de nous asseoir ensemble sous l’arbre à palabres.

Suspendre le protocole additionnel sur les changements anticonstitutionnels

C’est à un changement de paradigme que la lettre du général appelle la CEDEAO. C’est du reste ce à quoi le président Bola Ahmed Tinubu, qui assure la présidence de la CEDEAO a appelé ses pairs « Nous devons revoir notre approche quant au retour de l’ordre constitutionnel chez quatre de nos pays membres », avait déclaré en introduction du sommet du 24 février 2024.

Revenir aux sommets où les putschistes et les démocrates se retrouvaient pourraient préserver la CEDEAO, dans le contexte actuel où les changements anticonstitutionnels ne sont pas du seul fait des militaires. Nous avons les atermoiements de Macky Sall en fin de mandat et on ne sait pas ce que le jeune Faure Eyadema fera à son tour.

Confier à la CEDEAO de lutter contre les coups d’Etat militaires est inopérant. In fine, cette question ne peut relever du multilatéralisme car les putschistes de tous bords (civils et militaires), quand ils se jettent dans cette aventure, n’écoutent personne et les sanctions internationales au final sont sur le dos du peuple.

Alors que quand les peuples se mettent debout, ils arrivent à faire fuir les dictateurs comme le peuple burkinabè l’a fait avec l’insurrection populaire de 2014 qui a chassé Blaise Compaoré et le peuple sénégalais qui en donne la preuve actuellement avec sa lutte et celle des institutions fortes comme le Conseil constitutionnel. Se mettre ensemble à 15 pour lutter contre les groupes terroristes est se donner la chance de les vaincre, diminuera les risques de coups d’Etat.


La CEDEAO a fait un pas pour lever les sanctions économiques, financières, énergétiques, l’ouverture des frontières terrestres et de l’espace aérien, mais elle devrait, si elle veut écouter le sage, continuer à lever les suspensions des pays pour qu’ils participent pleinement aux sommets de la CEDEAO.

Les Etats du Liptako Gourma de leur côté devraient revenir sur leurs décisions de quitter la CEDEAO. Ce serait une paix des braves et un nouveau départ pour s’attaquer aux groupes terroristes qui en veulent à toute la région.

Si on ne règle pas cette question qui n’est pas l’affaire d’un pays ou de trois pays, on hypothèque l’avenir pacifique de la région. L’histoire retiendra que la partie qui refusera d’exécuter les recommandations du médiateur aura pris la décision de tuer la CEDEAO.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net