Députée de l’Assemblée nationale française pour le département du Lot, Huguette Tiegna a des origines burkinabè. L’ancienne étudiante de l’Institut universitaire de technologie de Bobo Dioulasso a été l’objet de vives critiques après le vote de la dernière loi sur l’immigration en France. Certains lui reprochant, elle une immigrée de fraiche date, de contribuer à durcir les conditions d’immigration pour d’autres candidats. Dans l’interview qu’elle a accordée au Faso.net, elle défend sa position et souligne les mérites de cette loi. L’ancienne ingénieure recherche et développement au sein d’une entreprise française se prononce aussi sur les relations tendues entre la France et certains pays ouest-africains, dont son Burkina Faso natal.
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je m’appelle Huguette Tiegna, originaire du Burkina Faso. Je suis députée française de la majorité présidentielle, élue en 2017 et réélue en 2022 dans le Lot, département rural du sud-ouest de la France, où l’on fabrique, entre autres : des ponts modulaires « Unibridge » et des hélices d’avion, et où l’on produit les vins de Cahors et des noix, etc.
Pour ce qui est de mon parcours, après une licence en électronique à l’IUT de Bobo Dioulasso, au Burkina Faso en 2006, j’ai obtenu un diplôme d’ingénieure en génie électrique à l’École des Mines de l’Industrie et de la Géologie (EMIG) du Niger, en 2009. Ensuite, j’ai validé un Master 2 en systèmes énergétiques en France, avant de m’inscrire à l’école doctorale Normandie Université en Sciences physiques-mathématiques et de l’information pour l’ingénieur au Havre. J’ai soutenu et validé une thèse sur les moteurs discoïdes à flux axial, en 2013, ce qui m’a valu un prix scientifique. C’est une technologie innovante dédiée aux véhicules électriques et à l’éolien.
Avant d’être élue députée du Lot, j’étais ingénieure recherche et développement au sein de l’entreprise Whylot à Figeac, dans le Lot.
Entre 2017 et 2022, j’ai siégé à la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, et j’ai occupé notamment le poste de vice-présidente de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Pour mon second mandat, à partir de juin 2022, j’ai rejoint la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire. Je préside le groupe d’études sur la gestion des déchets, l’économie circulaire et l’économie verte. Je suis également secrétaire générale adjointe de la section française de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF) et par ailleurs membre du Bureau politique du groupe Renaissance.
Vous êtes l’objet de beaucoup de critiques depuis le vote de la dernière loi sur l’immigration en France ; comment réagissez-vous à ces critiques ?
La critique fait partie de la politique en France. Tout élu ou occupant une place publique y est soumis, et je ne fais pas exception à cette règle. La singularité de ma position et de mon identité m’y exposent particulièrement. Bien avant cette loi sur l’immigration, j’avais déjà affronté des critiques bien plus sévères, allant parfois jusqu’à des « attaques » contre ma permanence parlementaire ou des menaces de mort.
Face à ce type de situation, à plusieurs reprises d’ailleurs, j’ai pris la mesure de ce qui avait réellement changé dans ma vie. Dans le milieu scientifique, d’où je suis issue, ce genre de comportement n’existe pas vraiment : on s’intéresse à vos connaissances, votre savoir-faire, vos compétences… Je dirais que pour certaines personnes, nos origines sont un argument politique, en particulier pour les partis extrêmes.
J’ai fait face à de premières attaques lors de ma campagne pour les élections législatives en 2017. Lorsqu’on entend quelqu’un vous dire que vous ne pouvez pas exercer de responsabilités politiques parce que vous n’êtes pas née ici, alors que les lois de la République française le permettent, c’est une forme d’expression des plus exclusives qui soit. Je me suis dit que je devais m’attendre à ce que cela continue… Donc, je n’ai pas été surprise par toutes les violences que j’ai subies par la suite, en particulier sur les réseaux sociaux. Quand ces critiques prennent un caractère injurieux, diffamatoire, menaçant ou à caractère racial, je porte systématiquement plainte.
Concernant cette loi sur l’immigration et compte tenu du climat électrique dans lequel se sont déroulés les débats, il y avait de fortes chances que je sois l’objet de critiques, quelle que soit ma position. Pour ceux qui m’interpellent, même vertement, pour comprendre le sens de mes votes, je prends la peine d’engager le dialogue et d’expliquer ma position sur cette loi.
Ne trouvez-vous pas paradoxal qu’une immigrée de fraîche date vote pour une telle loi ?
Le propre des commentateurs est de grossir le trait et de réduire à un ou deux éléments tout événement ou sujet d’actualité. Cette loi sur l’immigration comprenait 86 articles avant que le Conseil constitutionnel ne censure un tiers d’entre eux issus de l’examen du texte au Sénat. Je précise ici que le texte initial du gouvernement, auquel j’étais favorable, ne comprenait que 27 articles. Mais combien d’entre eux sont connus du grand public ? Très peu ! Seules quelques grandes lignes, portant surtout à controverse, ont fait l’objet d’un éclairage dans la presse. Aussi est-il aisé de comprendre que tout cela a créé un certain malaise et déclenché un tir de barrage sur cette loi, partie du Sénat, où la majorité absolue est détenue par une droite campée sur ses positions conservatrices. Il n’était pas étonnant de voir le projet de loi du gouvernement être fortement durci à l’égard des migrants.
Je fais mon travail de parlementaire, conformément à mes valeurs humanistes et aux principes constitutionnels français. À l’Assemblée nationale, où nous n’avons pas la majorité absolue, nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir pour tenter d’équilibrer ce texte en votant, en commission des Lois, de nombreux amendements de suppression au texte issu du Sénat. La suite, vous la connaissez, l’alliance contre nature des groupes d’opposition a torpillé et durci le projet de loi. Le président de la République a alors saisi le Conseil constitutionnel – une procédure classique pour tout projet de loi.
J’attendais ce texte pour les mesures importantes qu’il contient, notamment sur l’intégration par le travail et la criminalisation des passeurs. Car, je crois profondément à l’émancipation par le travail. D’ailleurs, c’est la motivation première de tout migrant, bien avant l’exil politique, le regroupement familial ou tout autre raison. Il était donc essentiel de prendre des dispositions pour mieux protéger cette majorité de citoyens étrangers vivants en France.
Pouvez-vous nous parler des mesures importantes de la loi après la censure du conseil constitutionnel ?
Ce texte de loi permet de régulariser la situation des étrangers privés de papiers, en effectuant directement leurs démarches auprès de l’administration, et non pas, comme c’était le cas auparavant, d’attendre le bon vouloir de leur patron ! Il permettra de régulariser, chaque an, jusqu’à 10.000 d’entre eux qui travaillent dans les métiers en tension.
Avec la censure du Conseil constitutionnel, nous revenons à l’esprit premier du projet de loi, qui permet également de mettre fin au placement des mineurs en centre de rétention et de garantir le droit d’asile en France.
Par ailleurs, il permet de condamner aussi les propriétaires, « marchands de sommeil », qui louent à des migrants des logements souvent insalubres à des prix indécents et qui peuvent être la source de nombreuses maladies. Grâce à cette démarche de dénonciation volontaire, ils pourront être régularisés.
Au-delà, la situation qui me révolte – mais pourrait-il en être autrement ? – c’est le nombre de morts, de familles déchirées, de vies détruites à cause d’ignobles passeurs profiteurs de misère. Ce sont de véritables assassins qui ont sur les bras le sang de milliers de personnes. Aussi, lorsque cette loi modifie profondément les condamnations encourues par les passeurs, en durcissant les peines avec un risque de vingt ans de prison et 1,5 million d’euros d’amende, c’est une bonne mesure sur le plan humain.
Maintenant mon combat personnel, pour lequel j’ai déposé un amendement, c’est la question de la naturalisation et du vote des étrangers aux élections locales en France. Nous aurons l’occasion d’en reparler, je l’espère.
Les relations entre la France et certains pays d’Afrique de l’Ouest comme le Burkina se sont détériorées ces dernières années ; comment appréciez-vous cette évolution ?
Le monde, dans son ensemble, est aujourd’hui bouleversé. En Europe même, nous voyons se redessiner les contours du paysage politique, avec des ruptures significatives, à l’image du « Brexit » qui a amené la Grande-Bretagne à sortir de l’Union européenne.
Concernant les pays subsahariens, je crois, en tout cas pour une partie d’entre eux, que l’heure est arrivée d’un remodelage des relations héritées de réflexes passéistes et inadaptées à notre époque contemporaine. Il nous faut donc saisir les effets des bouleversements actuels qu’ils vivent comme une opportunité pour redéfinir les contours d’une ère nouvelle de coopération et de relations politiques, économiques, culturelles apaisées.
Il convient, à partir d’aujourd’hui, d’écrire une nouvelle page en tenant compte de cette nouvelle réalité. Cela veut dire qu’il faut réorienter, sur d’autres bases, l’implication de la France par le biais d’une stratégie partenariale en termes de développement et d’investissement, axée davantage sur le bien-être des populations locales, en particulier de la jeunesse africaine qui aspire à un renouveau.
En ce sens, compte tenu de la réalité sociale française, et non sur son image fantasmée et réductrice que tente de renvoyer certains courants idéologiques extrêmes, nous pouvons présager ce remodelage plus conforme aux aspirations légitimes africaines car, aujourd’hui, au sein du peuple de France vivent des citoyens originaires de ces pays à même de traduire plus justement ces attentes auprès des dirigeants français.
Permettez un mot sur l’Organisation internationale de la Francophonie, dont le Sommet se tiendra en octobre prochain en France. Comme vous le savez, plus de 88 États en sont membres, avec près de 320 millions de locuteurs sur les cinq continents. Ce n’est pas seulement la langue qui fait sa richesse, bien qu’elle en soit la matrice, mais bien les liens tissés entre les peuples qui la composent qui en font sa substance intellectuelle, éducative et humaine.
Cette francophonie plurielle est pour moi, qui suis secrétaire générale adjointe de la section française de l’APF, un trésor commun porteur d’une résonnance de valeurs morales, éthiques, immortelles, porteuses des idéaux de grands hommes comme Voltaire, Rousseau, Césaire, Senghor, et bien d’autres.
C’est en elle qu’il nous revient d’être les acteurs de nos avenirs partagés.
Quelles perspectives voyez-vous pour ces relations ?
Le temps ne s’égrène pas de la même manière pour les États et pour les peuples. C’est pourquoi les liens indéfectibles tissés entre l’Afrique et la France se régénéreront, car, indépendamment des aléas et des circonstances idéologiques, les hommes et les femmes auront leur mot à dire. Et forte de mon expérience des deux cultures, comme tant d’autres issus de la diaspora africaine et française, je suis convaincue que la volonté des peuples se manifestera en faveur d’un renouveau équilibré et mutuellement bénéfique.
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
Commentaires récents