Des problèmes AU Burkina Faso, comme partout dans le monde, il y en a beaucoup ; mais les problèmes DU Burkina Faso actuel ne sont pas un mais deux : le terrorisme toujours, mais aussi la conservation du pouvoir par le capitaine Traoré et ses camarades.

Si l’accès au pouvoir du capitaine en septembre 2022 a pu sembler une, voire la solution au premier problème qu’était déjà le terrorisme, la volonté de conserver le pouvoir par celui qui disait ne pas vouloir ce pouvoir est aujourd’hui un problème pour le Burkina Faso. Car le souci de conservation du pouvoir provient de la menace et de la crainte de le perdre. Plus que quiconque, les capitaines savent qu’ils peuvent perdre le pouvoir acquis par le putsch du 30 septembre 2022, voilà pourquoi ils s’efforcent de le conserver. Leurs efforts ne consistent pas seulement à reconquérir le territoire, mais aussi à ne pas perdre le pouvoir, à le conserver indépendamment de la lutte contre le terrorisme.

Il existe donc deux fronts, deux guerres au Burkina des capitaines : un premier, classique, contre le terrorisme, et un deuxième pour leur propre survie à la tête du pays. Si l’on « zappe » ces deux aspects de la situation du pays, on ne pourra pas comprendre pourquoi la guerre contre le terrorisme est aussi, étonnamment, une guerre contre des citoyens qui ne sont pas des terroristes, des citoyens qui n’ont absolument rien à voir avec le jihadisme ; car, s’ils ne sont pas des terroristes jihadistes, ils sont, du moins pour les capitaines, une menace pour leur survie. Parler de « énième tentative de déstabilisation » n’est pas anodin.

Mais parler de « déstabilisation » dans un pays où absolument rien n’est stable, où il n’existe aucune règle de stabilité sinon une seule qui est celle de l’instabilité que l’on provoque et craint en même temps, un pays où les dirigeants tremblent tous les jours de se savoir instables (ils en sont donc conscients), cela est comique si les conséquences n’en étaient pas graves et dramatiques pour tout le monde.

A cet égard, au passage, le premier et seul vrai changement intelligent de la modification de la Loi fondamentale qui est annoncée devrait être, en son article 1er, de fixer cette règle manquante de stabilité pour le pays : si nous ne voulons plus de « déstabilisation » ni pour les citoyens ni pour nos dirigeants, quelle est la règle de jeu que tous devront respecter sans conditions ?
Sans cette règle, votre future nouvelle Constitution ne sera jamais à l’abri de la « déstabilisation » qui reste aujourd’hui la règle sans règles, aussi endogène et élégante qu’elle pourra paraître. Se sentir soutenu par une « société civile » aveugle et sourde, que l’on corrompt pour ne pas perdre le pouvoir à tout moment, n’a rien de cette règle qui garantirait la stabilité du pays.

A moins de s’écrier : « nous avons les Soviets, donc nous sommes sauvés », ou « il y a les Russes de Poutine, donc nous n’avons rien à craindre » ! Mais Poutine lui-même n’est pas si stable et éternel que cela ! Et l’impérialisme, par définition extérieur et étranger, n’a jamais été un gage de sécurité ni de stabilité, qu’il soit occidental ou russe : vous avez vos amis impérialistes, vos ennemis aussi ont les leurs…

Une société civile aveugle : elle ne voit pas ou ne voit plus les injustices et les crimes qui la révoltaient hier sous d’autres dirigeants. Et sourde : le pouvoir des capitaines ne juge même pas nécessaire de lui parler pour l’informer des forfaits des complices « valets locaux de l’impérialisme, du colonialisme et du terrorisme », de sorte que cette « société civile » alliée qui le soutient devient de jour en jour sourde de n’avoir rien à entendre. Le non-usage d’un organe (la vue ou l’ouïe) l’atrophie, le tue. Le pouvoir des capitaines a d’immenses yeux et oreilles, il voit et entend tout, mais prive les citoyens et sa « société civile » d’yeux et d’oreilles.

Demandez à ses supporters et fans : qu’est-ce que vous soutenez et défendez au juste quand ce pouvoir et ses renseignements font enlever ou arrêter des citoyens qui n’ont rien de terroristes, et dont personne ne vous raconte ni compte les actes « déstabilisateurs » ? On sait QUI vous soutenez, mais QUE soutenez-vous, de QUOI êtes-vous les supporters fanatiques ? Si vous leur posez ces questions, vous n’aurez aucune réponse, ils n’en auront jamais ; jamais, jusqu’à la fin du pouvoir :

Que soutenez-vous ? La lutte contre le terrorisme ? Mais à part les jihadistes aucun Burkinabè normal ne peut soutenir le terrorisme contre son propre pays. A moins de tenir tout Burkinabè pour terroriste : mais alors la lutte contre le terrorisme n’aurait plus aucun sens, puisqu’on lutterait pour personne à protéger contre le terrorisme…

Evrard SOMDA : celui qui a conduit le commando anti-terroriste pour libérer l’hôtel Splendid et ses otages des kalach des jihadistes en 2016, sous le regard des forces spéciales françaises, ce militaire ne peut pas s’allier aux mêmes jihadistes pour « déstabiliser » son pays. Que soutenez-vous dans son arrestation ?

Soutenez-vous l’arrestation et l’enlèvement de supposés « déstabilisateurs » du pouvoir du capitaine que vous supportez ? Mais vous êtes incapables de proposer des règles et une seule intelligente contre la déstabilisation du pays en général ; et vous supportez un capitaine qui non seulement n’est pas « stable » dans son pouvoir, puisqu’il craint et tremble, mais qui se sait lui-même menacé d’instabilité…

Guy Hervé KAM : celui qui non seulement connaît, en tant que juriste, l’importance des règles pour la stabilité d’un Etat, mais qui surtout fonde et dirige un mouvement (SENS) pour accéder pacifiquement et démocratiquement au pouvoir, en lieu et place de kalach importés, ne peut pas déstabiliser un régime ; ce qui voudrait dire, en contradiction manifeste avec l’orientation démocratique de son mouvement : prendre le pouvoir par la force !…

C’est la raison pour laquelle je soutiens que la volonté de conservation du pouvoir qui se fonde sur et s’explique par la peur de perdre ce pouvoir, sans cependant s’interroger sur les raisons de cette perte possible (pourquoi même les Nègres citoyens que je veux protéger contre les impérialismes occidental et jihadiste veulent-ils que je perde le pouvoir ?) est un deuxième problème pour le Burkina Faso, à côté du problème du terrorisme.

Cette volonté de conservation du pouvoir a une courte histoire que l’on peut rappeler :

Entre le putsch du 30 septembre 2022 et les arrestations ou enlèvements de citoyens aujourd’hui en inflation notoire, un revirement d’importance s’est produit par rapport aux Russes : évoquer Wagner (société russe) était un scandale, voire une offense pour les capitaines ; ils s’affichaient franchement anti-impérialistes, contre tout impérialisme aussi bien français que russe, ce qui était cohérent et séduisant en effet (moi-même, un matin en me rasant m’en suis senti séduit)…

Le président Nana Akufo-Addo en a fait les frais, qui croyait et avouait avoir vu des paramilitaires russes de Wagner à la frontière nord de son Ghana avec le Burkina Faso ; un accord, balançait-il au secrétaire d’Etat Antony Blinken au sommet USA-Afrique du 14/12/2022, aurait même été signé entre le pays des capitaines et Wagner. Tollé général et crise diplomatique : le Burkina rappelle brièvement son ambassadeur Zagré au Ghana pour consultation, et convoque l’ambassadeur ghanéen pour s’indigner…

Mais entre-temps, le chef russe de Wagner a disparu dans un « accident » d’avion en Russie, et le pouvoir des capitaines burkinabè a enregistré les premières « tentatives de déstabilisation ». Le capitaine des capitaines s’est alors rendu compte qu’à rester sans soutien extérieur au nom d’un anti-impérialisme qui ne garantit pas la survie ni du Burkina ni la sienne, les forces spéciales françaises étant déjà chassées du Faso (même si le pouvoir avait continué à accréditer un conseiller militaire à l’ambassade de France, lequel finira expulsé pour espionnage ; il fallait le faire : vous chassez une armée de votre sol, mais vous en gardez un conseiller diplomatique !), il s’est rendu compte de la nécessité et de l’urgence de se faire protéger lui-même avant de protéger le Burkina contre le terrorisme : la volonté de conserver le pouvoir est née de cette urgence et s’y fonde.

C’est alors que la présence des Russes de Poutine est devenue visible, de plus en plus visible : gardes du corps, armes et nourriture sont livrés à Ouaga. Du coup, Nana Akufo-Addo, qui n’avait fait que parler trop vite en un sens (il voulait sans doute se faire aider de Washington avec quelques dollars pour gérer aussi une situation économique et financière difficile en interne !), ne peut plus être blâmé : le Burkina des capitaines s’affiche publiquement avec les Russes de Poutine sans lui présenter d’excuses tout aussi publiques que les indignations d’alors ; si ce ne sont pas Wagner et ses paramilitaires, ce sont les soldats de Poutine qui foulent aux bottes le sol de Ouaga ; les uns comme les autres sont Russes…

Les conséquences de ce revirement des capitaines burkinabè sont aussi que, d’une part, l’anti-impérialisme est infléchi et affaibli par l’urgence de survie, puisque l’on fait appel à un impérialiste russe qui n’a d’anti ou de non-impérialiste que d’être utile (l’utilité gomme magiquement l’impérialisme). La Russie de Poutine est bien un impérialiste utile…

D’autre part, comme conséquence du revirement, les arrestations et disparitions de citoyens se sont accrues ; faisant passer la survie du régime et des capitaines avant la victoire sur les jihadistes. Puisqu’il faut veiller à ce que les importants moyens militaires engagés dans la guerre contre les jihadistes ne se retournent pas contre le régime lui-même : on nomme des proches et des copains de classe, voire la famille à des postes clé… Pour que le pouvoir survive, et pour survivre tout court…

Qu’est-ce qu’un problème finalement ? Un obstacle qui demande solution ; mais aussi une solution qui génère des problèmes, d’autres problèmes, des rejetons du problème initial. Le Burkina Faso des capitaines en a deux qu’il subit. Les arrestations et enlèvements de citoyens ne sont en rien liées à la reconquête du territoire ; il n’y a pas mariage entre arrestation et combat : celui qui est arrêté, immobilisé dans une prison, ne peut pas combattre.

Quant à la présence des Russes au Burkina et en Afrique, elle ne fait que traduire les problèmes et l’instabilité des Etats où ils sont accueillis. Bientôt, les économistes ne mesureront plus la pauvreté et la misère des Etats africains par du PIB (produit Intérieur Brut), mais par de la présence russe : plus un Etat est pauvre et instable, plus il accueille des Russes sur son sol. Les Russes, contre la propagande occidentale, ne sont pas à l’origine des problèmes, mais ils sont invités et présents quand les Etats ont des problèmes. Ces problèmes peuvent toutefois êtres amplifiés par les Russes, pas parce qu’ils sont Russes (ils pourraient l’être aussi par des Occidentaux comme au Rwanda en 1994), mais tout simplement parce qu’ils sont étrangers et extérieurs à l’Afrique…

Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE

Source: LeFaso.net