Au Burkina Faso, l’or constitue le premier produit d’exportation. En 2022, environ 51 tonnes d’or ont été convoyées vers la Suisse et environ 3 tonnes vers les Emirats arabes unis. Sur cette même année, ces deux pays représentaient environ 93,4% du volume d’exportation d’or du pays. Dans cet entretien accordé à Lefaso.net, le Directeur de la prévision et des analyses macroéconomiques (DPAM) de la Direction générale de l’économie et de la planification recommande aux Burkinabè de s’intéresser davantage au secteur minier. « Les dividendes seront très bénéfiques pour l’économie nationale », soutient Brahim Kéré. En effet, en 2022, les rapatriements de dividendes s’élevaient à environ 450 milliards de francs CFA. Cette masse d’argent creuse le déficit de la balance courante, selon le DPAM.

Lefaso.net : Quelle est la situation du secteur minier au Burkina Faso dans ce contexte d’insécurité ?

Brahim Kéré : Le secteur minier a une forte contribution à la croissance de la richesse nationale mais également en termes de création d’emplois et de recettes générées pour l’administration centrale. Au niveau des exportations aussi. Actuellement, l’or est le premier produit exporté en terme d’importance. Depuis l’avènement de la crise sécuritaire, le secteur a fait preuve de résilience. La production aurifère augmente d’année en année. Exception faite en 2022 ou on a constaté qu’il y a des mines qui ont dû fermer du fait de terrorisme.

Cela a occasionné une forte baisse constatée en 2022 de l’ordre de 13%. Mais déjà en 2023, on sent que le secteur est en train de revenir. On aura peut-être une baisse de l’ordre de 1% moins prononcée par rapport à 2022. Les mines qui étaient fermées vont rentrer en production. Pour les années à venir, on a de bonnes perspectives. Globalement, dans les prochaines années, le secteur minier va bien se porter avec de meilleures productions, toujours dans un contexte de reconquête du territoire. Parce que la dynamique est enclenchée.

Quel est le potentiel minier du Burkina Faso et l’impact sur l’économie nationale si ce potentiel était réellement exploité ?

À la date d’aujourd’hui, nous avons une production de 56,8 tonnes. En 2024, on entrevoit une production de 61 tonnes d’or (soit une augmentation de 9%) en lien avec les mines qui étaient en arrêt notamment la mine de Youga et la mine de Bouere, Dohouné. Nous avons également les mines qui avaient des difficultés d’approvisionnement.

Il s’agit notamment de la mine de Boungou, de Bagassi. Globalement, dans les prochaines années, le secteur minier va bien se porter avec de meilleures productions, toujours dans un contexte de reconquête du territoire. Parce que la dynamique est enclenchée. A ce jour, nous avons 12 mines qui sont en exploitation et neuf mines en construction (dont les mines de Poura, de Kiaka, d’Inata, de Kalsaka, Konkera etc.). Les productions de certaines mines vont intervenir cette année.

Sur la période 2025 et 2026, toutes les mines devront produire. Il en résultera une augmenter de la production nationale de l’or. On aura une production qui va atteindre 73 tonnes. Il s’agit du potentiel existant à court et moyen termes sur le sol burkinabè. À côté de ses mines industrielles, nous avons l’exportation artisanale qui décrit une certaine potentialité existante. Selon une enquête réalisée par l’INSD en 2016, l’exportation artisanale produit environ 9,5 tonnes. Ce secteur va s’améliorer avec un certain nombre de dispositions prises par le gouvernement pour pouvoir mieux maîtriser cette production artisanale aurifère.

En 2023, la production de l’or est ressortie à 56,8 tonnes. Quels sont les cinq sociétés minières qui affichent de bonnes performances ?

Dans le classement, la mine d’Essakane vient en tête de liste avec près de 13 tonnes d’or produites chaque année. Elle est suivie par la mine de Houndé (8 tonnes). Bissa Gold vient en troisième position avec une production de 6,7 tonnes. Les mines de Mana et Wahgnion produisent environ 5 tonnes chacune.

Quel est l’Impact du potentiel aurifère sur l’économie au Burkina Faso ?

Pour 2023, l’activité extractive minière représentait 13,2% du Produit intérieur brut (PIB). Sur les 13,2%, l’or représente 12,2% contre 4,2% en 2009. Le boum minier est intervenu depuis 2009 et la production ne fait que croître. En perspective pour 2024, on aura une contribution du secteur minier qui va augmenter. On passera de 13,2% en 2023 à 14,3%. En 2025, cette part va atteindre 15,5%. Ces perspectives dénotent une meilleure contribution au PIB mais également une contribution en termes d’exportation. Déjà en 2022 avec les comptes de la balance de paiement, nous avons une estimation de 2 343 milliards de recettes d’exportation liées à l’or. En 2023, elles seront de l’ordre de 2 389 milliards de francs CFA.

Actuellement le cours de l’or est d’environ 1900 dollars l’once. Même si la production a baissé à un certain moment, nous avons des recettes d’exportation liées à l’or qui sont assez intéressantes. Parce que le cours est croissant. À côté des exportations, nous avons également les questions de réserve de devises d’échange. Puisque que nous vendons en devises étrangères (dollar) notre or au reste du monde. Cela permettra à notre pays d’avoir plus de devises étrangères pour pouvoir assurer ces importations.

C’est vrai, nous sommes dans une zone UEMOA où c’est un panier commun mais le fait que le Burkina Faso arrive à exporter assez d’or, cela renfloue les caisses en termes de devises pour l’ensemble des pays de la zone. Je note au passage qu’il serait important que les importations soient orientées vers les biens d’équipements. Ainsi, on peut présager qu’en termes de création de richesses, le PIB sera plus important. Contrairement si on importe plus de produits alimentaires, on enrichit les autres pays par rapport à notre économie nationale. L’autre élément qu’on peut souligner comme implication, ce sont les recettes fiscales. Ces dernières années en terme de contribution aux recettes de l’Etat, les mines ont une part assez importante.

Cela devrait s’augmenter dans les années à venir dans le contexte d’une production plus importante mais également si le coût de l’or est assez intéressant. Selon nos projections, les coûts vont se maintenir à des niveaux élevés liés à l’incertitude au niveau mondial ou l’or dans ce contexte devient comme une valeur refuge qui augmente la demande de l’or non monétaire. L’autre élément, c’est la création d’emplois directs. Les mines emploient du personnel mais également l’emploi indirect à travers les entreprises de production de biens et services au profit de ces mines.

Tout cela constituent des effets bénéfiques pour l’économie dans son ensemble. Nous terminons par l’autre élément fondamental qui est le contenu local au niveau de ces mines. Les mines dans leur exploitation alimentent un certain nombre de fonds (fonds de développement minier) qui permet au communes qui abritent les mines de pouvoir avoir un certain nombre d’infrastructures et d’investissement, pour le bonheur des populations.

Quels sont les pays acheteurs de l’or burkinabè (destination de l’exportation)

Les pays destinateurs de l’or burkinabè selon les dernières statistiques de la BCEAO à travers la balance de paiement, on note que la Suisse demeure la principale destination de l’or du Burkina Faso. En 2022, environ 51 tonnes ont été convoyées vers la Suisse. La Suisse est suivie des Emirats arabes unis avec environ 3 tonnes. Sur cette même période, ces deux pays représentaient environ 93,4% du volume d’exportation d’or du Burkina Faso.

Les statistiques sur la quantité d’or (56,8%) prennent-elles en compte la production artisanale ? Si oui, à combien se chiffre cette production ?

Les 56,8 tonnes d’or concernent la production industrielle. Nous avons aussi la statistique sur la production artisanale. En 2016, l’INSD a réalisé une enquête sur le secteur de l’orpaillage. Les résultats ont révélé qu’environ 9,5 tonnes d’or sont produits par le secteur artisanal. Dans nos statistiques, nous avons pris en compte ces données pour pouvoir capitaliser toute la production d’or.

Nous sommes allés sur l’hypothèse avec l’INSD et également la BCEAO que cette production artisanale va évoluer chaque année en augmentation d’environ 2,2%. En 2022, nos statistiques estimaient à environ 10,7 tonnes la production d’or artisanale qui sont prises en compte. Si on ajoute ces 10,7 tonnes au 56,8 tonnes d’or industriel, on aurait atteint plus d’une soixantaine de tonnes d’or.

Au regard de ce potentiel assez important, qu’est-ce qui est fait pour encadrer ce secteur ?

Des efforts sont faits par le gouvernement avec la mise en place de l’Agence nationale d’encadrement des exploitations minières artisanales et semi mécaniques. Un instrument pour mieux dénombrer la quantité d’or. Mais récemment, cette agence a été mutée en une société d’Etat notamment la Société nationale de substances précieuses pour avoir plus d’impact.

L’esprit c’est de pouvoir mieux contrôler, consolider ce secteur, pour que les ventes soient plus formelles. Sur les 10,7 tonnes évoquées, il y a une bonne partie qui n’est pas captée par le circuit formel. Cette société pourrait proposer des prix incitatifs pour que les miniers n’aient pas intérêt à contourner le système pour aller vendre frauduleusement dans les autres pays.

Il arrive qu’il y ait des quantités d’or frauduleusement exportées, a-t-on une estimation de la perte que cela représente pour le Burkina Faso ?

Les statistiques sur l’or sont capitalisées dans nos productions à travers une estimation faite par l’INSD. Mais quand on regarde le circuit formel, ou l’or artisanal est capté avec le potentiel qui ressort au niveau de l’enquête, on se rend compte qu’il y a un cap assez important. A titre d’exemple, en 2020, nous avons capté selon les statistiques au niveau des comptoirs d’achat, que le circuit formel de vente de la production artisanale d’or, en gros 533,9 kilogrammes soit moins d’une demi tonne.

En 2021, 350 kg. En 2022, 516 kg donc environ une demi tonne. Alors que le potentiel va au-delà de 10 tonnes. Lorsqu’on fait le rapprochement, on se rend compte que moins de 5% sont captés dans le circuit formel. Pour l’Etat c’est une perte d’informations statistiques mais également de recettes fiscales. Au niveau de l’économie nationale, nous avons eu un mécanisme pour pouvoir capitaliser en termes d’estimations.

Au-delà des investisseurs étrangers, des investisseurs burkinabè s’intéressent-ils au secteur des mines ?

Je ne peux pas affirmer que les Burkinabè ne participent pas. Mais, le constat est que les mines industrielles pour la plupart sont des succursales de multinationale. Ce qui n’est pas forcément bénéfique au pays, à long terme. Certes, ce sont des sociétés de droit burkinabè mais quand on regarde la plupart des actionnaires, beaucoup sont des non-résidents. Lorsque ces sociétés arrivent à engranger des résultats assez intéressants, une bonne partie repart dans leurs pays d’origine sous forme de rapatriement des dividendes.

À titre illustratif, en 2022, les rapatriements de dividendes remontaient à environ 450 milliards de francs CFA. Cette masse d’argent creuse le déficit de notre balance courante. Pour pallier ce déficit, il serait important que des particuliers burkinabè d’un certain niveau s’y intéressent davantage. Les dividendes seront très bénéfiques pour l’économie nationale. Du reste, l’actionnariat populaire, de mon point de vue, techniquement devrait avoir de meilleurs résultats dans les années à venir.

A-t-on une idée du nombre de sites d’orpaillage qui existent au Burkina Faso ?

Selon toujours l’enquête menée par l’INSD en 2016, on avait dénombré 448 sites de production artisanale d’or fonctionnel. On s’imagine qu’a la date d’aujourd’hui, ce nombre doit être plus élevé. Sur les 448 sites d’orpaillage, le nombre des travailleurs étaient estimés à 140 196 personnes. Il a fallu cette enquête pour se rendre compte que l’orpaillage a une contribution plus forte. Il faut encore d’autres enquêtes.

Je pense que l’INSD est certainement en train de travailler sur ce sujet pour conforter ces chiffres et voir la réalité du moment. Également, les instruments que l’Etat déploie devraient rentrer dans leur fonctionnement optimal pour pouvoir mieux encadrer ce secteur. Nous sommes dans un contexte de reconquête du territoire et l’Etat doit se donner les moyens de pouvoir avoir une maîtrise de toutes les informations dans le système de production nationale en particulier dans les sites d’orpaillage. Parce que ces sites sont souvent des sources de financement du terrorisme.

Le Burkina Faso ambitionne exploiter pleinement son potentiel aurifère avec la construction d’une raffinerie. Quel sera l’impact économique si le projet voit le jour ?

De notre point de vue cette unité devrait permettre de renforcer la richesse nationale. C’est vraiment très bénéfique pour notre tissu industriel. Cette unité va permettre d’avoir une valeur ajoutée plus importante au niveau de cette ressource aurifère. Ce qu’on n’a pas dit, c’est que notre or qui est exporté principalement en Suisse et aux Emirats arabes unis, pour la plupart c’est de l’or brut. C’est dans ces pays que le raffinage est fait pour pouvoir avoir la valeur réelle ou valeur faciale de notre or.

C’est un élément très important parce que tout se fera désormais sur place dans notre pays. Les questions de recettes fiscales seront mieux captées. Tous les flux liés à l’exploitation d’or seront pris en compte. Cette raffinerie permettra également d’avoir plus de valeurs ajoutées et une meilleure visibilité des quantités d’or produites, parce que tout se fera sur place. On aura une meilleure transparence.

Un mot de fin ?

Je termine par ces mots de confiance, et d’espoir que la reconquête du territoire soit plus vigoureuses pour que tous les maillons de l’économie puissent véritablement exercer dans l’optimalité pour qu’on ait plus de résultats, plus de richesses, plus d’emplois et de revenus pour les ménages.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé

Lefaso.net

Source: LeFaso.net