A Ouagadougou, dans la capitale burkinabè, le marché des meubles est en plein essor. Des boutiques de meubles importés poussent chaque jour. Tout au long des grandes voies, les artisans locaux exposent leurs créations pour attirer les clients. D’où viennent les meubles importés ? Comment se porte le marché de ces meubles à Ouagadougou ? Quelle place pour le mobilier made in Burkina ? Quelles sont les mesures d’accompagnement du ministère en charge du commerce pour booster les artisans locaux ?
Sygma, une entreprise locale spécialisée dans la vente des meubles de bureaux et hospitaliers, existe depuis plusieurs années. Avant l’explosion du marché des meubles, l’entreprise se portait bien. Mais depuis environ cinq ans, explique l’agent commercial de Sygma Benjamin Sawadogo, le marché se porte mal. « Actuellement, les gens ont tendance à plus acheter le mobilier importé que le mobilier local. Pourtant, les mobiliers que nous fabriquons sont plus résistants. Le fer est acheté au Burkina Faso. Nous avons notre atelier. Le travail est fait par des personnes qui maîtrisent bien leur travail. Pourtant, nous n’avons plus de marchés comme avant. Si on s’en tient aux chiffres d’affaires que nous faisons chaque année, on constate qu’entre ceux des années 2005 et maintenant, il y a une grande différence », déplore l’agent commercial. De son côté, le comptable de l’entreprise révèle : « A mes débuts en 2013-2014, le chiffre d’affaires pouvait être estimé entre 40 et 50 millions de francs CFA par mois. Actuellement, il est très difficile pour nous d’avoir dix millions par mois ».
Pour lui, cette situation s’explique par le contexte sécuritaire national mais aussi par la saturation du marché des meubles par ceux importés. Néanmoins, il reconnaît que, de plus en plus, certains Burkinabè sont en train de se tourner vers les mobiliers locaux. « Ceux qui viennent acheter nos mobiliers ont l’habitude de nous dire qu’ils ont acheté des mobiliers importés mais cela n’a pas duré. Donc, ils se tournent vers nous. Ils disent que Sygma a de très bons mobiliers. Ce qui nous rassure d’ailleurs », confie Benjamin Sawadogo.
L’établissement reçoit beaucoup plus de commandes du secteur privé, à en croire l’agent commercial. « Cette année, c’est avec les acteurs du privé qu’on a eu un certain nombre de commandes. Nous avons livré pas mal de commandes de mobiliers de bureau dans le secteur privé. Mais au niveau du public, nous n’avons pas eu beaucoup de commandes », avoue-t-il, invitant les Burkinabè à consommer local parce que, dit-il, cela permet aux artisans locaux de vivre de leur travail. Et aussi aux entreprises de tenir leur engagement vis-à-vis de leurs charges sociales.
Une autre entreprise locale, Erimetal est spécialisée dans la fabrication et la vente de meubles locaux. Cette entreprise évoque également le cas de la morosité du marché. D’après un responsable de l’entreprise qui requiert l’anonymat, le marché des meubles locaux se porte mal. Il confie que depuis quelques années, le chiffre d’affaires de l’entreprise a considérablement baissé. « Les années passées, à pareille heure, si vous entriez ici, il y a du monde. Regardez-vous-même : il n’y a personne. Faites-vous même le constat. Or, nous avons des charges sociales et des employés à payer. C’est très difficile pour nous actuellement », se plaint-il.
Artisan local confectionnant des meubles de maison, Moïse Nikièma exerce ce métier depuis 15 ans. Il subit l’impact du marché des meubles importés. « Le Burkinabè aime ce qui vient d’ailleurs. Pourtant ce qui vient d’ailleurs n’est pas forcément bon. Je fabrique mes meubles avec du bois venu de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Je prends le soin de vérifier la qualité du bois avant de l’acheter. Parce que c’est la qualité de mon travail qui va faire que j’aurai des marchés. Malheureusement, les meubles importés sont en train de tuer notre activité. Beaucoup préfèrent acheter les meubles importés. Ils trouvent que nous sommes chers. Alors que les meubles importés sont encore plus chers », s’indigne M. Nikièma. Il a d’ailleurs appelé les autorités à prendre des mesures pour encadrer le secteur.
La boutique Home multi service fait également dans la vente de meubles de maison. D’après son P-DG Ahmed Ilboudo, les meubles qui y sont vendus sont fabriqués au Burkina Faso. « Nous utilisons de la planche neuve. Nous avons aussi de la mousse, qui est de la mousse importée. Il y a également des tissus tels que le daim et le velours que nous importons. Ils sont utilisés sur différents meubles en fonction de la demande du client. Et les clients sont satisfaits de notre travail. La preuve, 90% de nos clients viennent sur recommandation. C’est ce qui nous permet d’exceller dans ce domaine », assure-t-il.
Monsieur Ilboudo exerce cette activité depuis huit années. Et contrairement aux autres cités plus haut, il estime que le marché des meubles locaux se porte bien actuellement, malgré les débuts difficiles. Les gens avaient du mal à faire confiance aux salons confectionnés localement, explique-t-il.
Meubles locaux, meubles importés
Les meubles fabriqués localement seraient donc gage de qualité par rapport à ceux importés. Ce n’est pas Hamadou Kanazoé qui soutiendra le contraire, lui qui a acquis un salon dans une boutique qui vend des meubles importés. Malheureusement, il va le regretter trois mois après. « J’ai vu les publications d’une boutique sur Facebook vendant ces meubles. C’était vraiment très joli à voir. Je me suis rendu dans la boutique pour acheter le salon. Trois mois après, j’ai constaté que c’était du faux que j’ai acheté. Les fauteuils se démontaient seuls. Je n’ai même pas pu faire une année avec ce salon. Tout était abimé. J’ai pourtant dépensé près de 800 000 francs CFA pour ces meubles », raconte monsieur Kanazoé, visiblement encore remonté.
Un autre citoyen qui requiert l’anonymat a également vécu la même situation. Après avoir fini la construction de sa maison, il décide l’équiper afin d’accueillir ses visiteurs. Pour cela, il s’offre un salon complet de près d’un million de francs CFA dans une boutique de la place. En moins de six mois, il constate que les meubles ne tiennent pas. « Quand tu t’assoies, le fauteuil descend seul. J’ai constaté que le bois utilisé n’était pas du tout solide. J’ai été obligé d’aller acheter un nouveau salon dans une entreprise qui fait du local », a-t-il informé.
Des récriminations que comprend Antoine Sorgho, responsable de Jeff holding, une entreprise spécialisée dans la vente de meubles médicalisés importés. Ce type de meubles permettrait de prévenir certaines maladies et de soulager certains maux. Pour Antoine Sorgho, il faut savoir choisir son fournisseur. « Nous choisissons nos partenaires en conséquence. Nous nous assurons de la qualité de nos meubles. Parce que nous voulons le meilleur pour nos clients. Nous vendons nos meubles avec des garanties d’une année et plus. Nous le faisons parce que nous avons confiance en la qualité de nos meubles. Nous vendons du matériel spécifique et de haute gamme », fait-il savoir.
Lui aussi déplore la mauvaise qualité de meubles vendus par certaines personnes. « Aujourd’hui, nous avons une pléthore de professionnels dans le domaine qui nous amènent des meubles de pas bonne qualité. Parce que quand on achète des meubles, ils doivent être en mesure de durer. Or certains meubles achetés ne durent pas », fait-il remarquer. Monsieur Sorgho évoque également la question de la morosité du marché dû au contexte sécuritaire.
Établissement vendant des meubles venus de la Turquie, Pacific meubles est une jeune entreprise qui a ouvert ses portes en mars 2023. Pour proposer du matériel de qualité à ses clients, le responsable assure veiller à ce que les matériaux utilisés soient de qualité et durables. « Nos meubles sont faits à partir du bois rouge. On utilise du faux marbre, du daim et des tissus. Nous donnons une garantie d’une année à nos clients. Nous faisons cela pour montrer que nos meubles sont de qualité », indique Djamila Lourgo, la gérante de la boutique.
Le responsable de la boutique Adem, lui, se plaint du non contrôle de ce qui est vendu sur le marché. « Tout le monde vend des meubles maintenant. Partout on voit des meubles exposés. Mais beaucoup ne sont pas de qualité. Les gens aiment ce qui est moins cher. Ils achètent ces meubles et si cela a trop duré, c’est une année et tout est abimé », dit le responsable. Il exhorte les autorités à revoir les taxes douanières pour permettre à ceux qui sont dans l’importation de pouvoir faire face aux dépenses.
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Promouvoir le made in Burkina
En septembre 2021, le gouvernement, à travers la direction générale des affaires immobilières et de l’équipement de l’Etat du ministère en charge des finances, a signé un accord-cadre avec la Chambre des métiers de l’artisanat du Burkina Faso, dans l’optique de faciliter l’accès des artisans à la commande publique, de soutenir la production locale et de satisfaire les besoins de la commande publique. « Saisissant cette opportunité, les artisans ont fait appel à leur créativité en proposant des prototypes de mobiliers (des bureaux, des fauteuils, des chaises, des armoires et des étagères…) de grande qualité qui allient solidité et esthétique. En plus de ces aspects, les mobiliers ont été conçus avec des produits locaux, ce qui permettra à terme de valoriser l’expertise nationale, d’améliorer les revenus des artisans locaux et d’accroître l’employabilité dans le secteur de l’artisanat », rappelle le ministère.
Pour les artisans locaux, ce coup de pouce était le bienvenu. « La Chambre des métiers de l’artisanat nous avait convoqué. Il y a mon collègue qui avait participé à leur réunion. Ils veulent relancer tous ceux qui font du local. Ils ont demandé à ce qu’on améliore la qualité des meubles que nous fabriquons pour pouvoir concurrencer ceux qui sont dans l’importation. Et ils nous ont appris des techniques pour améliorer notre travail. Je pense qu’avec l’aide de nos autorités qui prônent le consommons local, cette mesure pourrait nous soulager », confirme l’agent commercial de l’entreprise Sygma Benjamin Sawadogo.
Et à écouter le directeur général de l’artisanat au sein du ministère du Développement industriel, du commerce, de l’artisanat et des petites et moyennes entreprises, Séraphin Badolo, l’accès des artisans à la commande publique est une préoccupation pour les autorités. D’après lui, c’est ce qui a prévalu à la signature d’un accord-cadre entre le gouvernement et la Chambre des métiers en 2021. Cet accord vise à permettre aux artisans de livrer les biens dont l’administration publique a besoin.
« La Chambre des métiers a été identifiée pour conduire cette opération afin que tout ce que nous produisons localement ne fasse plus l’objet de commande ailleurs. Nous nous satisfaisons déjà du marché global passé entre la Chambre des métiers et l’administration publique. Au 30 septembre 2023, le point que nous avons fait de la seule année, c’est plus de deux milliards 500 millions de FCFA de marché qui ont été exécutés ou en cours d’exécution », a souligné le directeur général de l’artisanat.
« Comment nous nous y prenons pour mieux accompagner les artisans pour leur permettre de produire des biens qui répondent au goût des clients et de l’administration publique ? Nous organisons des formations à leur profit à travers la Chambre des métiers. Elle organise de façon régulière des formations de renforcement de capacités », a ajouté monsieur Badolo.
Il a, à l’occasion, invité les artisans à parfaire leurs productions afin de répondre aux besoins des clients. « Nous n’allons pas faire la promotion de la médiocrité. Donc, il faut que les artisans puissent mériter la confiance que le gouvernement a placé en eux en produisant et en mettant à la disposition des consommateurs des produits de qualité. Ce qui veut dire que le renforcement des capacités doit être permanent. En cela la chambre de métiers est invitée à mieux organiser les acteurs afin que leurs produits soient de qualité », a prévenu le directeur général de l’artisanat.
« Nous avons, au niveau de la direction générale de la Chambre des métiers, un département technique chargé de la formation et de l’apprentissage. Qui, annuellement, élabore un programme d’activités. Le programme essaie d’identifier les différents besoins des artisans en matière de formation et de renforcement de capacités pour pouvoir élaborer l’approche qui permet de combler les insuffisances constatées », a dit le directeur général de la Chambre des métiers de l’artisanat Seydou Kélir Tou. Concernant la formation des artisans, il a indiqué qu’elle se fait en fonction des besoins des différents acteurs de l’artisanat.
L’accord-cadre signé en 2021permet à l’Etat de lui donner ses différents besoins dans les différents départements techniques. La chambre, en tant que structure qui joue le rôle de maître d’ouvrage délégué, rétrocède ces marchés et contrôle les exécutions. Ce qui lui permet de déceler les insuffisances et les besoins de renforcement de capacités. Ce qui permet à la chambre d’élaborer un programme de de renforcement de capacités des artisans, a fait comprendre le directeur général de la Chambre des métiers.
« Si nous prenons le cas de ceux qui sont dans le mobilier, lorsque les marchés sont octroyés. On se rend compte qu’il y a très souvent un problème de finition. La chambre a réussi à élaborer des modules de formation pour les aider à relever le niveau et de répondre au mieux aux exigences de finition », a révélé monsieur Tou.
Trouver une solution définitive
Il a également évoqué le problème de financement comme étant une difficulté pour les artisans. « Nous pensons qu’il va falloir trouver une solution définitive. Parce que les institutions financières qui existent ne maîtrisant pas la nature réelle de l’activité artisanale. Elles ont tendance à exiger les mêmes conditions, comme pour les autres activités, sans tenir compte de la particularité du secteur. Ce qui fait que les financements ne sont pas forcément adaptés aux besoins des artisans. La chambre est en train de négocier la possibilité pour elle de mettre en place un fonds de financement des activités artisanales. Pour l’instant, nous souhaitons que le ministère en charge du commerce renforce la capacité financière de l’Agence de financement et de promotion des petites et moyennes entreprises (AFP-PME) qui va pour l’instant jouer ce rôle. Et tôt ou tard qu’on puisse mettre un fonds de financement des activités artisanales », a mis en évidence le premier responsable de la Chambre des métiers de l’artisanat.
Seydou Kélir Tou a reconnu que les artisans avaient du mal à avoir accès à la commande publique avant la signature de l’accord-cadre. « Il y a deux ans en arrière, il y avait un problème au niveau de la commande publique. Les artisans n’avaient pas véritablement accès aux commandes publiques de façon organisée avec des conditions beaucoup plus allégées. Pour un début, c’est un peu difficile pour les différents départements ministériels de pouvoir adapter et de libérer tous leurs besoins dans le domaine de l’artisanat mais nous sommes en train de faire une sensibilisation au niveau des différents départements ministériels. Et ils sont en train de comprendre, surtout avec le concept de consommons local », a-t-il noté.
Le directeur général de la Chambre des métiers de l’artisanat pense que l’artisanat devrait être vu comme le socle du développement du Burkina Faso. Pour lui, tant que les Burkinabè ne vont pas comprendre que le point de départ d’un développement véritable d’un pays passe par l’artisanat, le pays sera toujours à la traîne.
Rama Diallo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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