De mauvaises pratiques gangrènent le secteur des auto-écoles au Burkina Faso, parmi lesquelles la corruption. De nos jours, le permis de conduire semble être un document qui se négocie, parfois au prix fort.

Dans les auto-écoles, les candidats au permis de conduire sont parfois victimes de rackets et de traitements indécents. Au Burkina Faso, on observe une tendance alarmante. « Je me suis inscrite l’année passée dans une auto-école non loin de mon lieu d’habitation. C’était durant les vacances scolaires et ils étaient en promotion. J’ai saisi l’opportunité. J’y suis allée avec une tante du quartier. Le jour de l’inscription, ils nous ont rassurées que dans trois mois au plus tard, nous allions recevoir nos permis de conduire. C’est là que mon calvaire a commencé », explique dame Y.D., qui a requis l’anonymat.

Après avoir débuté normalement les cours pour l’examen du code de la route, avec sa tante, elles ont été ponctuelles et régulières pendant plus d’un mois. Malheureusement, elles ont été surprises par la démarche des responsables de l’établissement. « Un jour, après les cours et le départ des autres, la tante avec qui je m’étais inscrite était la dernière à quitter la salle. Elle a été approchée par un des moniteurs. Selon lui, comme elle est une ‘‘tantie », il pouvait l’aider pour vite passer le code et laisser les ‘‘enfants » continuer les cours. Il lui a demandé de payer la somme de 35 000 ou 25 000 francs CFA. Il l’a rassurée qu’elle n’avait pas besoin d’apprendre les leçons le jour de l’examen. Il lui a dit que même si elle ne coche aucune réponse, elle sera admise au code », détaille notre interlocutrice.

Surprise par cette proposition, Y.D. confie avoir décliné l’offre lorsque sa tante lui en a parlé. « Moi, je lui ai dit que je n’avais pas d’argent pour cette corruption. Et j’ai encore continué quelques semaines de cours avant que le professeur ne me programme. J’ai fait presque deux mois », note-t-elle. Mais ce n’était pas la fin de son calvaire. Car le jour de l’examen du code de la route, elle s’est rendue très tôt au lieu indiqué à Ouaga 2000. Et comme un coup de massue, à l’appel des candidats du jour, venus de différentes auto-écoles, elle n’a pas entendu son nom. « J’étais tellement étonnée. Entre temps, je vois le moniteur qui s’approche de moi pour me dire qu’il y a eu une erreur sur ma fiche. Qu’ils ont mal inscrit mon nom et que je devrais attendre la semaine prochaine », relate-t-elle, encore en colère.

Madame S.N, elle, s’est inscrite en septembre 2022 dans une auto-école à Ouagadougou pour l’obtention de son permis. Mais tout ne s’est pas passé comme prévu. Elle s’en souvient comme si c’était hier. « A l’inscription, on m’a assurée que j’aurai le permis en trois mois. Mais dans la pratique, j’ai fait neuf mois avant de l’avoir », confie-t-elle. Et à quel prix ?

S.N reconnaît avoir versé la somme de 30 000 francs CFA pour éviter de se voir recalée. « Beaucoup de personnes traînent avant d’avoir le permis parce qu’ils n’ont pas les moyens pour corrompre les moniteurs et examinateurs. Le secteur est trop corrompu ; il faudra un regard plus approfondi de la direction des transports sur ça. Peut-être donner un délai aux auto-écoles pour la réussite de leurs apprenants à toutes les étapes pour l’obtention du permis. Aussi faire souvent des contrôles pour s’assurer qu’elles respectent les normes », a-t-elle suggéré.

Si les impétrants les plus assidus et brillants échappent aux formateurs pour l’examen du code de la route, ils ne sont pas épargnés lors de l’examen de conduite. Inscrit à une auto-école de la place à Koudougou pendant les vacances de 2020, L.R. a vécu une amère expérience. Il confie avoir passé l’examen du code avec succès, décrochant la note de 30/30.

Le calvaire du candidat va commencer lorsqu’il sera à l’étape du créneau. « Pendant que l’administration m’a programmé pour commencer les cours, les trois moniteurs m’ont refusé l’accès aux trois camions que possède l’auto-école. J’ai passé le temps à faire des va-et-vient entre l’auto-école et le terrain d’entraînement. Il a fallu que j’en parle au directeur et c’est grâce à sa pression qu’un moniteur a fini par m’accepter. Le groupe avait fait trois ou quatre jours d’entraînement. Je n’avais plus suffisamment de temps pour apprendre », relate notre interlocuteur.

Des citoyens dans le désarroi

Heureusement, souligne-t-il, de son premier jour de conduite jusqu’au jour de l’examen, il n’a touché aucun piquet. Ce qui est une preuve de sa maîtrise du créneau. Un cap qu’il franchit haut les mains. Seulement, les vrais problèmes débuteront lors des cours de conduite en ville (circulation). « Les mots me manquent pour décrire la brutalité du nouveau moniteur. Aucune pédagogie, aucun professionnalisme, aucune explication, aucune retenue, aucun respect, même pour les mamans et les personnes âgées. Que des insultes, des coups sur les jambes, à tel point que j’avais des palpitations les jours où j’avais cours. Il a même giflé un apprenant, le touchant à l’œil, causant ainsi un gonflement. Cet œil ne pouvait plus voir pendant deux jours. L’auto-école est même allée demander pardon au papa du jeune. Ce dernier étant un pasteur, il a laissé tomber l’affaire », se souvient encore L.R. Lui qui pensait avoir tout vu avec son moniteur, en apprendra davantage sur lui.

« Je ne peux pas finir d’expliquer la brutalité et l’incompétence professionnelle de ce monsieur. Le jour de l’examen, pendant que l’examinateur était dans le véhicule, il pouvait subtilement toucher le levier de vitesse avec la jambe, occasionnant ainsi un bruit grinçant au passage des vitesses. Cela, juste pour faire échouer ses propres élèves avec qui il ne s’entendait pas. Parce que tout changement de vitesse qui engendre un bruit grinçant entraîne automatiquement la disqualification du candidat. A y voir de près, le ministère en charge des Transports devrait revoir le statut des moniteurs dans les auto-écoles », s’insurge-t-il.

Très déçu par les auto-écoles, M.Z. parle de « mafia » avec en tête de liste certains inspecteurs qui seraient complices, selon lui. Il assure qu’il faut tout simplement « payer » ou « souffrir comme Jésus Christ lorsqu’il portait sa croix ». « Il faut payer pour être programmé à l’examen du code de la route. Il faut payer pour être programmé pour le créneau. Si vous n’avez pas payé, sachez que c’est l’étape où le moniteur vous montre la croix à porter », dénonce-t-il, indigné. Pour lui, parmi les maîtres, moniteurs et inspecteurs, il y a des corrompus. « Je garde le nom de l’école pour moi. J’ai fait sept mois pour mon permis, tout simplement parce que j’ai refusé de payer un franc. Je suggère qu’on enseigne le permis de conduire au lycée, pendant au moins deux ans », propose-t-il.

Répondant à un appel à témoignages lancé sur les mauvaises pratiques publiées sur la page Facebook de Lefaso.net, Prosper Sanou va plus loin en disant que le code de la route doit être introduit dès la classe de 6e et considéré comme une matière obligatoire à valider à l’examen du BEPC. « Les professeurs d’EPS peuvent être formés pour donner les cours de code », suggère-t-il.

Il propose ensuite l’insertion du créneau et de la circulation à partir de la seconde pour une évaluation à l’examen du baccalauréat. « En somme, un élève qui a son baccalauréat devrait au minimum avoir son permis de conduire. Et il revient à l’État de coordonner tous le processus et d’imputer les frais sur la scolarité. L’Etat doit avoir aussi ses propres moyens (locaux, véhicules, personnels, etc.) pour assurer au mieux ce service public qui est avant tout un domaine régalien. Maintenant, en dehors de la scolarité, l’Etat peut appeler des auto-écoles pour contribuer », préconise-il.

Faible rémunération des moniteurs

La corruption, lentement mais sûrement, ternit l’image du milieu de la formation au permis de conduire. Les raisons avancées pour justifier cet état de fait sont nombreuses. Certains pointent des facteurs économiques. Eddie Bado, enseignant de conduite automobile, partage ce sentiment. « Au Burkina Faso, généralement les salaires ne sont pas élevés. Beaucoup de moniteurs ne veulent pas s’adonner à cette mauvaise pratique. Mais s’ils sont mal rémunérés, ils auront tendance à racketter pour pouvoir survivre. C’est ce que l’on constate souvent au niveau des auto-écoles », a-t-il fait savoir.

Malgré les contraintes auxquelles ils sont exposés, certains d’entre eux disent se démarquer du lot, par leur exemplarité. Parmi eux, M. Bado. « Je ne demande jamais de l’argent à un élève mais s’il m’en donne, je prends et je le bénis. J’invite tous mes collègues à faire le bien au risque de voguer d’une auto-école à une autre. Si vous êtes techniquement bon et socialement mauvais, c’est difficile qu’on travaille avec vous », confie le moniteur.

Eddie Bado

Face aux critiques, les premiers responsables ont le dos au mur. Narssane Zoubga, chargé de communication de l’Association des auto-écoles, par ailleurs responsable d’une auto-école, évoque des difficultés d’ordre financier. En cause, la pléthore d’auto-écoles irrégulières. En tout, plus d’une centaine d’auto-écoles ont illégalement ouvert leurs portes à Ouagadougou, dit-il. Ces établissements proposent des tarifs plus alléchants. Du coup, ils arrivent à capter des clients en nombre, au détriment de leurs concurrents. « Avec le nombre de candidats réduit dans les auto-écoles qui répondent aux normes, pouvoir honorer une rémunération acceptable pour les travailleurs n’est pas évident », a avoué le chargé de communication de l’association.

Un chantier de revalorisation des tarifs de formation a été entamé. En vue de permettre aux acteurs de pouvoir prendre en compte toutes les charges (loyer, impôts, CNSS, salaires et entretien des véhicules), un cabinet a évalué le coût du permis de conduire à entre 350 000 et 400 000 francs CFA. Mais compte tenu des difficultés sur le plan national, les membres de l’association ont proposé la somme de 125 000 francs CFA. « Malheureusement, jusqu’en 2023, il y a des auto-écoles qui se permettent d’inscrire des gens à 40 000 voire 50 000 francs CFA », déplore le chargé de communication.

A priori, le secteur souffre de la libéralisation des tarifs d’inscription aux cours du permis de conduire. Les prix sont donc fixés à la convenance de chaque auto-école. Le ministère du Commerce le permet. Cela pose aussi le problème de la convergence des prix. D’où le cri de cœur de M. Zoubga. Afin de pouvoir donner une formation adéquate aux candidats et, par ricochet, réduire le nombre d’accidents de la circulation, il a sollicité l’accompagnement de la direction générale des transports pour faire homologuer le tarif à 125 000 francs CFA.

Si, de nos jours, l’on assiste à une explosion des auto-écoles, le niveau de certains formateurs laisse à désirer, selon une certaine opinion publique. Et cela se ressent sur leurs prestations devant les candidats. Ils sont généralement recrutés dans l’environnement immédiat des responsables d’auto-écoles. La question qui se pose est celle de savoir comment pallier cette situation.

« L’administration a lancé une filière de formation des enseignants à la conduite automobile qui débouche sur un diplôme, le Certificat d’aptitude à la conduite automobile (CAPCA) délivré par la Chambre de commerce. Mais nombreux sont nos moniteurs qui ne sont pas encore passés par ce centre, parce qu’ils n’ont pas le niveau requis. Avec l’administration, nous cherchons une passerelle leur permettant de pouvoir continuer à travailler avec un niveau acceptable. Donc, on les envoie par vagues pour la formation de remise à niveau. Désormais, les recrutements se feront sur la base du CAPCA », informe Narssane Zoubga. Pour promouvoir une formation de qualité, l’association a recours à des mesures préventives telles que la sensibilisation pour combattre les pratiques préjudiciables.

Narssane Zoubga, chargé de communication de l’Association des auto-écoles .

« Donc nous allons demander à l’opinion nationale d’être regardante sur les agences d’auto-écoles qu’elle choisit pour pouvoir s’inscrire au permis. Aller s’inscrire au permis dans des structures qui ne sont pas habilitées à la formation et après revenir vers l’association pour se plaindre des difficultés à avoir une formation ou pouvoir faire le permis serait vraiment dommage. L’administration, dans la dernière sortie pour les inspections, compte fournir une liste des auto-écoles habilitées, qui sont en règle. Cette liste va situer géographiquement l’emplacement des auto-écoles autorisées à former les gens au permis de conduire à Ouagadougou », a-t-il conclu.

De véritables « opérations chirurgicales » sont nécessaires

Dans un Burkina Faso confronté à plusieurs défis, la lutte contre la corruption est un impératif. Prenant la mesure de l’ampleur du « drame » au niveau du processus d’acquisition du permis, le Réseau national de lutte anticorruption (REN-LAC) a mis en place un comité anticorruption au sein de la Direction générale des transports terrestres et maritimes (DGTTM), puisque les auto-écoles relèvent de cette direction du ministère en charge des Transports. Ce comité mène des actions de sensibilisation à l’endroit des différents acteurs. Mais jusque-là, le phénomène a la peau dure. La gangrène est telle que de véritables « opérations chirurgicales » sont nécessaires pour assurer une salubrité publique.

La sensibilisation et les dénonciations ne suffisent pas, estime-t-on au REN-LAC. Si le chargé des enquêtes du réseau, Abdoul Moumouni Nassouri, salue les progrès réalisés au niveau de l’arsenal juridique dont l’adoption d’une loi anticorruption, il regrette l’absence de sanctions fermes à l’encontre des auteurs et le manque de volonté politique pour combattre la cupidité des corrompus.

« Quand vous êtes dans un pays où des autorités elles-mêmes s’adonnent à des pratiques de corruption, c’est difficile de combattre ce phénomène. Donc, il faut véritablement une volonté politique. Le REN-LAC, tout comme les autres acteurs qui luttent contre la corruption, fait son travail de sensibilisation, de dénonciation. Mais tant qu’il n’y a pas de volonté politique et de sanctions surtout, ce phénomène va perdurer et prendre de l’ampleur », a-il indiqué. Il a de ce fait invité les autorités politiques à s’impliquer dans la lutte contre « ce cancer » qui contribue à saper le développement dans notre pays. « En combattant la corruption, nous allons voir que dans tous les domaines, nous allons réussir », insiste-t-il.

M. Nassouri ne partage pas l’avis selon lequel le salaire est le problème fondamental des pratiques de racket. Pour lui, le problème du salaire peut se résoudre autrement. « Il y a des gens qui s’organisent en syndicats et se battent pour améliorer leurs conditions de vie et de travail. Maintenant, si vous laissez cette démarche pour racketter les citoyens, il y a un problème. Quelqu’un qui est intègre ne va pas s’adonner à des actes de corruption, parce qu’il vit des conditions de vie difficiles », a-t-il laissé entendre.

Collectivement et individuellement, la lutte contre cette pratique implique que les citoyens la refusent et la dénoncent. Mais pour l’heure, les Burkinabè victimes de racket n’ont pas cette culture. Ils ne dénoncent pas les auteurs. La peur d’être étiqueté serait la raison principale de la non-dénonciation des actes de corruption subis. « Pour eux, si on arrête le moniteur, ils n’auront plus leur permis. Parce qu’il y a une solidarité de corps. Si tu t’en prends à un, c’est comme si tu t’en étais pris à eux tous », explique M. Nassouri. Pour lui, il est temps de penser autrement, aujourd’hui ou demain, sinon on foncera toujours tout droit dans le mur.

Aïssata Laure G. Sidibé

Lefaso.net

Source: LeFaso.net