La vie de retraite rime parfois avec repos surtout après de longues années de services. Mais Odette Lamanè Kalandibo, une fonctionnaire burkinabè admise à la retraite, ne l’entend pas de cette oreille. L’épouse Ganamé passe ses journées d’après fonction à Dédougou où elle s’occupe d’un centre de formation en coupe couture et d’une association œuvrant dans le domaine de l’alphabétisation en langues dont elle est la double fondatrice. Lefaso.net est allé à la rencontre de cette retraitée le mercredi 20 septembre 2023.

Trente-deux ans et sept jours, c’est le temps qu’aura passé Odette Lamanè Kalandibo, à la date du 28 mai 2022 où elle est admise à la retraite, à servir son pays le Burkina Faso. En guise de reconnaissance pour ses services, la nation l’a élevée au rang de chevalier de l’ordre national avec agrafe santé et action sociale en 2007. Son dernier poste était à la direction régionale en charge de l’action humanitaire de la Boucle du Mouhoun.

C’est une femme préparée psychologiquement à aborder la vie de retraite que nous avons retrouvée, dans la matinée du 20 septembre 2023, dans son centre de formation et entourée de quelques jeunes apprenantes en coupe-couture. « J’avais déjà mis dans ma tête que je dois bientôt quitter la fonction publique », lance l’éducatrice sociale de formation. « A deux ans de ma retraite, je rappelais régulièrement mon directeur pour dire qu’il me restait peu de temps à servir. Il me répondait dans l’amusement que deux années, c’est toujours loin et me reprochait d’être pressée. Je rétorquais que c’était déjà arrivé et qu’il fallait que je me prépare psychologiquement sinon ce serait grave », a poursuivi celle qui confesse n’avoir aucunement été surprise par la retraite.

Un hangar attenant à une maisonnette sert de site pour le Centre de formation professionnelle

Résurrection de vieux projets

A l’aube de cette nouvelle étape de la vie, les vieux projets refont surface. « J’ai fréquenté une école religieuse où j’ai appris des notions sur, entre autres métiers, la couture. J’avais même rejoint un couturier pour mettre en pratique ce métier. Mais avec mon admission au concours par la suite, j’ai dû mettre ce penchant pour la couture au frigo », explique la sexagénaire. A l’en croire, son idée ne date pas d’aujourd’hui, mais le temps faisait défaut pour s’y consacrer.

La retraite s’est présentée alors à la travailleuse sociale comme une opportunité. « Quand la retraite se présentait au bout de quelques temps, il fallait trouver une solution », affirme notre interlocutrice. L’idée aboutit enfin au lancement du Centre de formation professionnelle mixte Kalao de Dédougou (CFMKD) à seulement presqu’une année de la fin de la carrière professionnelle d’Odette Kalandibo. Le CFMKD a ouvert ses portes le 5 novembre 2021 et a accueilli ses premiers apprenants pour le compte de l’année scolaire 2021-2022.

Plus active que jamais

Comme si la gestion du centre ne suffisait pas à occuper la retraitée, elle crée dans la foulée « l’Association entreprendre avec les doigts ». En collaboration avec des promoteurs d’alphabétisation en langues nationales, en l’occurrence le Dioula, dame Kalandibo et son association offrent la chance à de nombreuses personnes de savoir compter, lire, écrire et parler en dioula.

Le centre reste ouvert aux apprenants même pendant les vacances.

Malgré la retraite, l’ancienne travailleuse sociale reste aux prises avec diverses activités. « Je me lève très tôt le matin comme toute bonne musulmane pour faire ma prière. Après, je me rends au marché pour des achats. Une fois revenue à la maison, j’aide la petite à faire la cuisine. A partir de huit heures, je rejoins les apprenants au centre. La formation a lieu le jour où le formateur est là. Le jour où il n’est pas là, je révise avec les apprenants ce que nous avons appris les jours passés », se délecte-t-elle de relater, avant d’indiquer que la formation est assurée par une de ses connaissances qui a accepté presque volontiers de l’accompagner dans son « aventure ».

Au-delà du centre de formation professionnelle, Odette Kalandibo occupe ses après-midis soit à se faire apprendre à lire le « Saint Coran » par l’une de ses coreligionnaires soit à mettre son énergie dans le déroulement des activités de son association qui contribue à l’alphabétisation en langue nationale dioula sans compter sa disponibilité à participer aux événements sociaux. « Je n’ai même pas le temps. Je dirais que je suis plus occupée que quand j’étais toujours en service », martèle la retraitée pour qui, les efforts consentis lui procurent exclusivement une satisfaction morale. « Pour le moment, il n’y a pas de retombées financières au sujet de mes activités. Ma satisfaction est purement morale et psychologique du fait de me rendre utile. L’argent pourrait venir après car on ne peut pas commencer aujourd’hui et avoir l’argent au même moment », se convainc celle que ses apprenants appellent affectueusement « mamie ».

Selon Odette Kalandibo, la volonté y est, mais les moyens ne suivent pas

Aider les populations démunies

La création du centre, selon la fondatrice, est motivée par la volonté de donner peut-être de la chance à des personnes défavorisées, par son coût accessible. « Quand je vois une jeune personne qui traîne dans la rue, ça me fait un pincement au cœur en tant qu’ancien travailleur social. Si je peux bousculer pour inscrire la personne à l’école ou moi-même me bousculer pour aider la personne, cela me soulage », a-t-elle avoué. Ainsi, le CFMKD accueille des jeunes filles et garçons déplacés internes, des orphelins et bien d’autres des couches sociales vulnérables qui n’auraient pas eu la chance d’être à l’école classique ou qui ne peuvent plus y aller à cause de l’insécurité. Au cours des années scolaires 2021-2022 et 2022-2023, le centre a enregistré respectivement six et 17 inscrits. La fondatrice nourrit le double espoir de recruter plus d’apprenants à la rentrée 2023-2024 et de réaliser une bonne performance pour son centre qui va participer pour la première fois aux prochains examens du Certificat de qualification professionnelle (CQP).

Le modeste centre de formation professionnelle ne dispose que de quelques quatre ou cinq machines à coudre que la vieille dame a pu acheter grâce à ses petites économies. Ce sous-équipement contraste évidemment avec le rêve de la responsable d’agrandir ce lieu d’apprentissage en vue d’offrir plus de chance aux jeunes gens qui seraient intéressés par ses services de formation. C’est pourquoi Odette Lamane Kalandibo/épouse Ganamé dit tendre la main à tout soutien des bonnes volontés pour accroître l’impact de son projet. « Si quelqu’un peut m’aider avec une machine à coudre, un rouleau de tissu ou bien prendre en charge certains apprenants en situation difficile en leur trouvant des machines après la formation, cela me fera grand plaisir », a-t-elle lancé comme cri du cœur.

Yacouba SAMA

Lefaso.net

Source: LeFaso.net