Alors que certains Ouagavillois s’organisent en groupes ou individuellement, pour mener des actions d’assainissement autour d’eux, d’autres ne semblent pas encore avoir pris conscience de l’impact des déchets sur leurs conditions de vie ou sur les ouvrages publics de drainage. Ils continuent de jeter les déchets dans les caniveaux. Face à un système d’assainissement communal jugé inefficace, la ville de Ouagadougou étouffe sous le poids de ses déchets. Reportage !
Le vacarme de ce 16 mai 2023 sous l’échangeur du Nord tranche d’avec l’ambiance ordinaire en ce lieu. Il vient à peine d’être 8h, mais la journée avait déjà commencé pour ces hommes en gilets jaunes (agents de la municipalité).
Un Caterpillar ronronne, fait des va-et-vient, racle le fond du canal traversant le côté nord de l’échangeur. L’engin à quatre roues butte sur de gros tas de déchets de tout genre. Les agents de la commune de Ouagadougou, tenant des pelles et des pioches, sont à la manœuvre des deux côtés.
Dans la ville de Ouagadougou, la capitale burkinabè, les canalisations, vieilles certaines d’un demi-siècle, ont été transformées en des dépotoirs clandestins de tout genre. De vrais tas d’immondices à ciel ouvert qui débordent de partout et pestent d’odeurs nauséabondes à couper le souffle.
A quelques kilomètres des agents de la municipalité, Laurent Ouédraogo, bien connu à Tampouy, un quartier de Ouagadougou, et surnommé « l’homme du trou ». Un éboueur de fortune, la trentaine bien sonnée, l’homme avec un accoutrement qui rappelle les cow-boys des films westerns, en sait beaucoup plus qu’il en a l’air. Son surnom d’« homme du trou », il semble le mériter.
- Laurent Ouédraogo, un éboueur de fortune à Tampouy (un quartier de Ouagadougou)
M. Ouédraogo décrit le canal de drainage reliant l’échangeur du Nord aux trois barrages de la ville, comme si c’était lui l’ingénieur concepteur. Avec un large sourire aux lèvres.
Content de s’exprimer, l’homme s’empresse d’étaler ses exploits en matière de curage. En effet, il dit avoir déjà parcouru tout le long du canal à plusieurs reprises et connaît même sa longueur et la nature des déchets qui s’y trouvent. « C’est environ 25 kilomètres et c’est le même canal qui rejoint le barrage de Tanghin. Il est plein de sachets, de bouteilles et autres ordures ».
Il décrit la situation avec beaucoup de précisons, en prédisant même une inondation dans la zone si une grosse pluie s’invitait, parce que le canal est plein à craquer alors qu’il n’y a plus de passage pour l’eau. Un diagnostic d' »expert amateur », mais qui expose la réalité de la situation des caniveaux dans la capitale burkinabè. Laurent Ouédraogo, cet éboueur de fortune qui semble tirer son épingle du jeu, ne manque pas aussi de critiquer le travail des agents communaux sur le terrain. « Chaque année, c’est la même chose. On fait sortir des ordures, mais la mairie ne vient pas les ramasser. Quand on les appelle, ils nous disent de ramasser nous-mêmes. Même si Gourma (son employeur) me paie, je fais un travail inutile, parce que, ces déchets se reversent dans les caniveaux avec les eaux de pluie », peste-t-il.
- Photo d’illustration
Le « Gourma » en question, est un grossiste des balles de friperie installé le long du canal sur la rue 22.28 (Avenue du Passoré, 3e arrondissement) qui se paie les services de l’éboueur de fortune pour se protéger d’éventuelles inondations de son site. « Si on compte sur la mairie, on ne pourra pas travailler pendant la saison pluvieuse. Et même quand on cure nous-mêmes et on les appelle (la mairie), ils ne viennent pas toujours », déplore-t-il.
« Être digne des actes qu’on pose »
Les tas de déchets érigés en buttes, par les agents de la mairie et les riverains, aux abords des caniveaux, obstruant et rétrécissant certains passages, font désormais partie du décor de la ville.
Les Ouagavillois semblent même s’y accommoder. Aux quatre coins de la ville, ils les côtoient, mangent et commercialisent leurs marchandises côte-à-côte sans prêter d’attention. De Tampouy à Cissin, en passant par Dapoya, Wemtenga, 1200 logements et Kalgondin, c’est le même décor dans ces quartiers de Ouagadougou. Aucun caniveau n’est épargné, tout est plein ou presque.
Une situation qui révolte certains riverains, à l’exemple de Karim Ouédraogo, « kiosman » (détenteur de kiosque à café) depuis plus de 30 ans sur le boulevard reliant l’échangeur de l’Ouest au rond-point de la Patte d’Oie.
« Cette année, ça a chauffé ici, nous nous sommes entendu avant qu’ils ne viennent. Nous leur avons dit que s’ils ne vont pas ramasser, il ne faut pas curer. Donc, quand ils ont fini, ils ont tout ramassé. Si ça ne chauffe pas, ça ne peut pas changer », raconte-il, avec un air de satisfaction. Non sans perdre de vue la responsabilité des riverains. « Vous savez, c’est nous-aussi le problème. Les gens quittent dans les cours ici et ils jettent leurs ordures dans les caniveaux et vous ne voulez pas que ça se remplisse, ça va se remplir. Il faut changer de comportement sinon on ne pourra pas résoudre ce problème », pointe le « kiosman ».
A l’instar de Karim Ouédraogo, Achille Ilboudo, 39 ans, ne passe pas lui aussi par quatre chemins pour pointer du doigt le comportement des riverains qui est la première cause de cet état désastreux des caniveaux.
Tout le monde est responsable
Assis sous le hangar d’une maisonnette, à quelques centimètres du canal traversant la rue 56 derrière la maternité Pogbi, puant d’odeurs nauséabondes, l’homme, très remonté, parle de la question avec beaucoup de passion et presque les larmes aux yeux. Il est le président de l’Association bonne saison (ABS) qui intervient dans le cadre de la propreté du quartier. « Tout le monde est responsable (les riverains et l’Etat) dans cette histoire d’entretien des caniveaux. Il faut qu’on change de mentalité si on veut voir les choses changer. C’est vrai que l’Etat ne fait pas son travail, mais à notre niveau, il faut changer de comportement. Rien qu’avant-hier, les gens sont venus jeter quatre sacs de poulets morts dans le canal avant de s’enfuir. Tout le quartier était infesté. On a dû brûler des pneus sur les sacs pour dissiper un peu l’odeur », se rappelle-t-il.
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Son association créée il y a une vingtaine d’années et lui, ont, raconte-t-il, organisé des opérations ponctuelles de curage volontaire du canal 56, sans aucune aide financière de la part de l’Etat. « La question du curage, c’est une question de moyens, et nous n’avons pas de moyen, mais on fait avec ce qu’on a. Chaque année, nous nettoyons 1 à 2 kilomètres du canal. Même si ça ne fait pas grand-chose, au moins, ça nous a permis de respirer mieux pendant quelques jours », se console-t-il.
Sa prière, que les gens redeviennent de « vrais Burkinabè » et dignes des actes qu’ils posent. « Parce que, c’est nous-mêmes qui jetons nos ordures dans ces caniveaux. Comment ne vont-ils pas se remplir ? », déplore-t-il.
Cette situation irrite même le directeur de la salubrité publique et de l’hygiène de la commune de Ouagadougou, Seydou Nassouri. « Dans cette situation, c’est l’incivisme de la population qui est le vrai problème. Et si on ne change pas de comportement, même si l’on investit des milliards, le problème ne sera pas résolu », s’offusque le chargé de la salubrité de la ville.
- Seydou Nassouri, directeur de la salubrité publique et de l’hygiène de la commune de Ouagadougou
« …Il n’y a pas d’endroit où déposer… »
Ceux qui jettent leurs ordures dans les caniveaux ne savent pas souvent que c’est interdit, ou à la limite n’ont pas le choix, analyse sous fond de constat l’un des anciens adjoints au maire d’un arrondissement de la commune de Ouagadougou. Il évoque l’insuffisance des bacs à ordures dans les quartiers, alors que le nombre de populations grimpe. « Celui qui est à plus d’un kilomètre du bac de dépôt ne va pas se déplacer pour venir déposer ses ordures à cette distance. Il trouvera la solution de déposer les ordures dans les endroits les plus proches qui sont les caniveaux et les canaux… » Comme une prémonition de ces dires, nous sommes témoins de la scène en quittant notre interviewé. Debout devant son étal de fruits et de légumes sur le boulevard Charles De Gaulle, dans la soirée du jeudi 20 août 2023, Bintou Sakandé trie sa marchandise et jette ceux qu’elle ne voulait plus dans le caniveau sur lequel son étal était déposé. En lui posant la question sur la raison de son acte, la jeune commerçante, qui était en compagnie de sa mère et de son petit frère, ne voyait pas mal le fait de jeter ces déchets dans le caniveau. Comme elle, certains riverains le font sans savoir que c’est interdit.
En poursuivant son analyse, l’ancien adjoint au maire d’arrondissement fait en outre comprendre qu’il y a des associations qui œuvrent dans ce domaine, mais elles n’ont pas les moyens pour accompagner les ménages dans la collecte de ces déchets, tout en reconnaissant néanmoins qu’il y a eu des efforts qui sont faits, mais cela reste insuffisant vu la demande sur le terrain.
Même son de cloche pour Ami Nikièma, une sexagénaire rencontrée au bord du canal principal traversant les 1200 logements à l’université Joseph Ki- Zerbo, vieux de plus de 20 ans (inauguré en 2002 par les autorités de l’époque). Pour la « mamy » qui mène de petits commerces à côté du canal en compagnie de ses deux petits-enfants, dans tout le quartier de Kalgondin, il n’y a qu’un seul bac qu’elle connaît depuis qu’elle y vit, il y a de cela plus de 50 ans. « Le bac n’est pas régulièrement vidé et lorsque c’est rempli, les gens partent jeter leurs ordures dans les espaces vides et d’autres viennent jusqu’au canal pour le faire alors que le canal même est en mauvais état depuis plus de dix ans. Le canal est plein de serpents et de crocodiles, donc nos petits enfants sont en insécurité ici à cause de ce canal et de ce bac qu’on ne vide pas assez », plaide-t-elle. Elle espère que les autorités interviennent très vite.
- Ami Nikièma, une riveraine sexagénaire rencontrée dans le quartier de Kalgondin plaide la multiplication des bacs à poubelle
Une question de mentalité et d’incivisme
Le directeur de la salubrité publique de la commune de Ouagadougou pense plutôt le contraire. Selon M. Nassouri, c’est une question de mentalité et d’incivisme. « En réalité, ils ne veulent pas garder leurs ordures dans une poubelle et payer un prestataire pour le ramassage. Ils se disent que payer quelqu’un pour ramasser ces déchets, c’est pour ceux qui sont nantis », analyse l’autorité. Il regrette le fait que certains rechignent à débourser 1 500, voire 2 000 francs CFA par mois pour le ramassage de leurs propres déchets, alors qu’ils peuvent aller s’asseoir, boire deux ou trois bières. Pour lui, les gens pensent que dans un ouvrage public, on peut faire ce qu’on veut, alors que c’est une mauvaise intention, parce que c’est un bien public et tout le monde doit contribuer à son entretien.
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Si l’incivisme de la population semble être pointé du doigt, il y a aussi le manque de stratégie réelle dans le curage de ces caniveaux, analyse avec regret l’expert en développement durable et directeur de l’institut IAD, Dr Martin Yelkouni. Pour lui, « une chose est de curer, une autre est de ramasser, parce que, la plupart du temps, on ne ramasse pas les déchets qu’on a curés et avec les saisons des pluies, ces déchets se retrouvent dans les caniveaux et c’est ce qui les remplit ».
- Aboubacar Derra, un riverain de Sankar-Yaaré (quartier), très remonté, l’homme se plaint de la mauvaise attribution des marchés en matière de curage
Tout comme le spécialiste, les riverains eux-mêmes ne mâchent pas leurs mots et sont plus virulents sur le manque de stratégie de la mairie. Aboubacar Derra, rencontré au quartier Sankar-Yaaré à la tombée de la nuit de ce 20 juin, la quarantaine révolue, exprime sa nostalgie du modèle révolutionnaire des curages des caniveaux. L’homme se demande pourquoi ça ne marche pas. Parce que, selon lui, au temps de la révolution (1983-1987), le curage des caniveaux marchait très bien et aujourd’hui ça ne marche plus. On donne le marché aux entrepreneurs qui ne viennent que quand la pluie est déjà prête et lorsque la pluie commence, ils repartent et chaque année, c’est le même scénario, et le canal continue de se remplir. Mais pourquoi ? Parce qu’on ne met pas la pression sur les entrepreneurs. Je me dis que si un entrepreneur fait un mauvais travail et que vous changez d’entrepreneur, normalement, vous devez le menacer pour qu’il fasse un bon travail et si vous ne faites pas ça et que ça continue, ça veut dire que vous ‘’dealez » (faire des affaires, ndlr) ensemble ou bien ils s’entendent avec eux pour se partager l’argent. Très remonté, il affirme sur place qu’il s’organisera avec les jeunes du quartier pour ne plus laisser les gens venir faire du mauvais travail à leurs yeux.
Amado Bagangna, ce jardinier septuagénaire lui ne veut plus en parler. Parce qu’il se dit que c’est de la mauvaise foi. « Sinon comment peut-on investir autant d’argent dans des infrastructures et refuser de les entretenir », s’est-il demandé ?
L’autre cause, c’est aussi la question de la démographie. Selon « Monsieur salubrité publique », le recensement général de 2019 de l’INSD parlait de trois millions d’habitants dans la ville de Ouagadougou, alors qu’il faut compter au moins quatre millions de personnes. « Parce qu’en termes de déchets produits par les populations, il faut prendre en compte ceux qui viennent uniquement travailler et salir, avant de repartir chez eux les soirs. Car c’est ce qui rend la tâche encore plus compliquée, parce qu’on se retrouve avec plus de déchets à gérer et avec des choses qui n’étaient pas prévues », relève Seydou Nassouri.
Au regard de ce qui a été soulevé comme problème, plusieurs solutions ont été proposées par les différents acteurs, notamment les autorités et les citoyens, pour améliorer le système de curage et d’entretien des caniveaux dans la ville de Ouagadougou.
De l’avis de Dr Yelkouni, pour que les actions menées soient efficaces, il faut que cela soit porté par les politiques et qu’il y ait aussi une stratégie bien définie et qu’on ne travaille pas dans le vide. A titre d’exemple, il a rappelé que l’un des hommes politiques de l’époque, Simon Compaoré, alors maire de la commune de Ouagadougou, en avait fait son cheval de bataille et avait réussi à faire de Ouagadougou, l’une des villes les plus propres.
- Dr Martin Yelkouni, l’expert en développement durable, déchets et eaux pluviales, parle d’une contribution financière des citoyens dans la gestion des déchets
En plus de cela, l’expert en développement durable propose une sorte de contribution financière des citoyens à introduire dans les taxes à payer pour soutenir toutes les actions qui seront menées dans le cadre du curage des caniveaux, voire la gestion des déchets de façon générale. Il n’omet pas également la question de la sensibilisation des populations et leur implication dans toutes les solutions qui seront proposées. Outre ces propositions, le directeur de la salubrité publique de la ville de Ouagadougou propose la relecture des textes en matière d’hygiène publique, très révolus et qui ne répondent plus aux réalités actuelles.
Les citoyens, quant à eux, parlent d’être plus rigoureux avec les entrepreneurs sur les appels d’offres des marchés publics en matière de curage, de sévir au niveau de la population et d’augmenter le nombre de bacs à ordures dans les secteurs et arrondissements.
YZ
Lefaso.net
Crédit photo : Auguste Paré
Source: LeFaso.net
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