Voilà bientôt deux mois qu’a eu lieu à Niamey un coup d’Etat contre le président élu nigérien, Mohamed Bazoum. C’était le 26 juillet 2023. Le président français et ses homologues de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest ont mal vécu, cet énième coup d’Etat de la région qui en a connu six depuis 2021. Les décisions prises à l’issue du coup d’Etat ont été marquées par une forte émotion. La raison n’a pas prévalu sur l’appréciation du putsch du Niger, mais la volonté de soutien au président déchu, qui n’a toujours pas renoncé au pouvoir.
Le président français semble en a fait une affaire personnelle et a pris des décisions plus irrationnelles les unes que les autres. Quelles sont les causes de la mauvaise passe dans laquelle la France est au Sahel ? Le président français n’est-il pas aussi responsable des mauvais choix que ses prédécesseurs et lui ont fait au Sahel ? Si la France a conquis certains pays du continent par les armes au 19e siècle, est ce que ce n’est pas sa défaite militaire au Sahel, par l’échec de la force Barkhane au Mali, qui explique les ruptures et le départ des troupes françaises ? Est-ce une fin de cycle des relations entre la France et les pays du Liptako Gourma du nom de la nouvelle alliance créée par le Burkina, le Mali et le Niger ?
Les Français ont conquis les pays du Sahel par la force des armes au 19e siècle, malgré les résistances populaires. Après les luttes anti-coloniales dans le monde et surtout la défaite de l’armée française au Vietnam et en Algérie, le général De Gaule a eu la vision d’organiser un départ de la France pour mieux rester en organisant un référendum en 1958. Seule la Guinée a voté non à la communauté française, pour l’indépendance.
Comprenant le cours inexorable de l’histoire qui est pour l’autodétermination des peuples, Charles De Gaule va mettre en place le système néocolonial français avec des indépendances et une domination française. C’est ce système qui vit ses derniers jours avec la lutte contre le terrorisme. En stoppant les groupes terroristes aux alentours de Mopti alors qu’ils se dirigeaient vers Bamako, la France, par l’opération Serval, a cru à un retour d’une France impériale et puissante qui reprendrait l’Afrique en mains et stopperait tout risque terroriste aux frontières de l’Europe. Les troupes françaises ont empêché la prise de Bamako par les terroristes, mais aussi Kidal par les Forces armées maliennes(FAMA).
Voici une des bases du divorce entre la France et le Mali. Cet acte que même la diplomatie française à l’époque en poste à Bamako a condamné comme violant la souveraineté du Mali, sera le boulet au pied de la force Barkhane qui n’a pas pu restaurer la paix dans le pays et mettre fin à l’expansion du terrorisme qui du nord Mali s’est propagé au centre du pays et à ses voisins du Burkina et du Niger. Quand les troupes françaises ont commencé à perdre davantage de soldats, le président Macron a rejeté la faute sur ses alliés et les a convoqués à Pau, en France, comme s’il était un gouverneur colonial qui agit avec ses préfets.
Barkhane a échoué parce que la France a vendu aux Africains le mythe d’une armée française superpuissante, suréquipée, surentraînée qui allait avec 5 000 soldats français seulement chasser les bandits armés, les rebelles, groupes terroristes et djihadistes de la Mauritanie au Tchad soit le G5 Sahel. Les populations ne voyant pas venir le succès promis, mais le mal qui s’aggrave ont commencé à douter de l’allié et à s’opposer à ses convois. Les militaires qui ne voyaient pas la plus-value de cette présence militaire française ont commencé à chasser les pouvoirs civils par des coups d’Etat et à demander le départ des militaires français. C’est ainsi que suite au deuxième coup d’Etat au Mali et au Burkina, le départ des militaires français de Barkhane et de Sabre ont été faits.
L’erreur de la France est d’avoir forcé la main du président nigérien Bazoum pour qu’un reliquat de Barkhane reste dans ce pays et continue avec les militaires du Niger à lutter contre le terrorisme. En demandant cela, le pouvoir français voulait réduire l’importance de la déroute du Mali qu’il n’avait pas vu venir, tout comme il n’a pas vu venir celui du Burkina avec le second coup d’Etat dans ce pays où les militaires putschistes, dès les premières heures, l’ont visé comme soutien au colonel Damiba qui avait perdu le contrôle de l’armée et du pouvoir. La France réagit émotionnellement au Niger, car cela fera la troisième fois qu’elle va devoir plier bagage.
Aussi elle sort l’argument de la défense de la démocratie, en se présentant comme le soutien d’un président élu, qui a perdu le contrôle de sa garde présidentielle et de son armée et qui a été déposé. C’est contre son gré certes, il refuse de démissionner, mais il n’a pas d’alternative à cela. Les chefs d’Etat élus de la CEDEAO sont également dans l’émotion et plus le temps passe, plus s’éloigne la possibilité d’un retour au pouvoir de Mohamed Bazoum. La communauté internationale a pris acte du coup d’Etat comme la France l’a fait pour ceux du Mali du Burkina et tout récemment du Gabon. Pourquoi persister à entretenir un conflit contreproductif sur ce coup d’Etat ?
Escalade de sanctions entre la France et le Burkina, Mali, Niger
Le coup d’Etat au Niger et le soutien des autorités burkinabè et maliennes à leurs homologues nigériens ont donné lieu à une escalade de sanctions de part et d’autres montrant que ces pays sont dans le registre des relations sentimentales. Suspension des vols d’Air France d’un côté, annulations des autorisations d’Air France de l’autre. Arrêt de la coopération budgétaire et des visas et mêmes des adoptions d’enfants par la France. Côté Burkina une décision d’expulsion du chef de la coopération militaire pour activités subversives vient s’ajouter au tableau.
Toutes les dernières décisions françaises sur les visas, les sanctions économiques sont mal vues par les populations qui pensent que la France ne soutient pas les peuples mais ses hommes, ses amis qui au pouvoir travailleraient pour lui. On ne voit pas d’avenir politique de Mohamed Bazoum s’il devait revenir au pouvoir dans ses conditions comme un homme ramené au pouvoir par la France ou une intervention des troupes de la CEDEAO. Le Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Tarayya), parti de Mohamed Bazoum ne veut pas d’une intervention militaire dans le pays. Il l’a fait savoir le vendredi 15 septembre 2023. La CEDEAO et la France devraient se le tenir pour dit.
Cet aveuglement français et son radicalisme dans le soutien au pouvoir déchu est la preuve de la Françafrique plutôt que la défense de la démocratie. S’il y a eu coup d’Etat, c’est aussi à cause d’une défaillance de la démocratie au Niger, en ayant accepté les autres coups d’Etat, CEDEAO et France feraient mieux de faire de même et de passer à autre chose. Pourquoi continuer à alimenter une crise dont l’issue est connue. La France devrait retirer ses troupes qui se tournent les pouces au Niger et laisser les Nigériens et leur ancien président Mohamed Bazoum. Sur cette question, Macron défend une position sentimentale, aussi la France est isolée en Europe, et pas suivie par les Etats unis. Il semble qu’un responsable français disait que les Etats ont des intérêts et pas d’amis. En continuant sur cette lancée la France est en train de saper ses intérêts au Sahel et en Afrique pour longtemps.
Ce n’est pas parce que la France est en déclin et sur le départ que les Etats sahéliens doivent se jeter pour autant dans les bras du premier venu et s’aligner sur les positions de ces pays qui nous observent avec avidité, cupidité et voracité pour se jeter sur nos richesses. Il faudrait surtout traiter avec ces pays d’égal à égal mais pas en quémandeur qui est incapable de réfléchir à ses problèmes et compte sur les autres pour trouver la solution. Si on fait cela, c’est ainsi qu’on tissera de nouveaux liens de servitude.
Sana Guy
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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