Face aux bouleversements induits par la guerre Russie Ukraine et aux régimes putschistes qui chassent la France au Sahel, le sommet des Brics qui se réunissait à Johannesburg en Afrique du Sud du 22 et 24 août 2023, a commencé à faire rêver d’un monde nouveau qui s’éveillerait en Afrique, portant le drapeau de tous les pays du Sud : le Sud global. L’enthousiasme de faire exister une organisation qui ne consacre pas la domination du monde occidental sur la planète s’est emparé de plusieurs personnes et a enflammé des Etats qui au nombre de 40 ont demandé à adhérer aux BRICS.

Les Brics vont-elles construire une nouvelle maison commune sans véto des uns ? Ou bien est-ce la renaissance du mouvement des non-alignés ? Certes la Russie n’est plus bolchévique, mais que serait le non alignement aujourd’hui avec l’ancien patron d’un des blocs comme membre et la deuxième puissance économique itou ? Ce regroupement est-il politique ? S’il n’est qu’une conférence de pays émergents, peut-il s’ouvrir à tous et accueillir toute la misère du monde ?

Au départ, ils étaient comme une BRIC pour Brésil, Russie, Inde et Chine. Ils sont devenus les BRICS avec l’adjonction de l’Afrique du Sud et les pays candidats se retrouvent à frapper à la porte par dizaine. C’est une idée qui ne vient pas d’eux, de se mettre ensemble. Ce mariage est venu de Jim O’Neill, qui a créé l’acronyme « Bric » pour Brésil, Russie, Inde et Chine pour désigner des pays émergents à revenus intermédiaires en 2001 dont l’économie connaissait une croissance rapide. Voyant l’avantage qu’ils pourraient en tirer, les quatre premiers BRIC ont commencé à se concerter en 2009 et à revendiquer pour leur émergence et poser des questions qui affaibliraient le poids des puissances occidentales. Les premières doléances sont l’obtention d’une place au Conseil de sécurité des nations unies pour l’Inde et le Brésil qui n’en sont pas membres comme la Chine et la Russie.

Ils ont eu la présence d’esprit de ne pas laisser l’Afrique absente de leur groupe en intégrant l’Afrique du Sud en 2011 qui était à l’époque la première puissance économique du continent et qui avait l’avantage d’avoir des connexions politiques, sociologiques avec la Russie, la Chine et l’Inde. L’affaire devenait intéressante et la Chine la première a vu l’intérêt qu’elle pourrait tirer d’un regroupement pareil s’il arrivait à reprendre les couleurs du mouvement des non-alignés.

A Bandung (Indonésie), où est né, en 1955, le mouvement des non-alignés, la Chine était membre, mais l’URSS avait été chassé par les fondateurs Nkrumah, Soekarno, Nehru, Nasser. Il est intéressant de voir que ces premiers dirigeants avaient une fière considération de leur égale dignité et s’opposaient à la concurrence qui faisait rage entre les deux blocs et voulaient d’un autre monde à l’écart des deux blocs. En 1955, la Chine vous le remarquerez n’était pas une puissance économique, et le Premier ministre de Mao, Zhou en Lai participait à cette réunion fondatrice.

Les Brics prennent six nouvelles briques

Mais les dirigeants chinois actuels avec la théorie du Sud global, voient un regroupement des pays du sud où ils règneraient en maître. C’est la Chine qui pousse à l’ouverture, alors que le Brésil et l’Inde freinent des quatre fers, ne veulent pas d’un grand rassemblement où le dénominateur commun sera très, très petit. La Russie aussi est favorable à l’élargissement car elle entre dans ses vues de montrer au camp occidental qu’elle n’est pas la paria et la pestiférée qu’il pense. C’est dans un climat tendu où chacun essaie de consolider sa place de renforcer son poids et d’équilibre géopolitique que s’est fait l’adhésion des six nouveaux pays.

C’est un savant dosage entre poids démographique, géopolitique et puissance financière. Du côté de l’Amérique où il n’y a pas que les Etats unis et le Canada, seule l’Argentine le voisin du Brésil a été acceptée. En Afrique, le Nigéria la première puissance économique n’a pas été jugé assez anti occidental, tandis que l’Algérie qui est aussi puissante a été écartée sans doute par sa trop grande proximité avec la Russie pour ne pas augmenter son poids.

L’Egypte a été préférée pour l’Afrique du Nord et l’Ethiopie qui a l’avantage d’être le pays du continent à n’avoir pas été colonisé a été choisi compte tenu aussi de ses relations avec les deux poids lourds des BRICS, la Chine et la Russie. L’Iran a été admis sans difficulté pour ses positions anti occidentales quand bien même son délire politique est religieux. Pour équilibrer et ne pas s’engager dans ce conflit entre des régimes théocratiques l’Arabie saoudite a aussi obtenu sa place aux BRICS.

Mais ce sont les pétrodollars saoudiens et ceux des Emirats arabes unis qui intéressent. Espérant qu’ils convaincront ces monarchies à investir leur argent plus pour le bien des pauvres du Sud, que dans l’achat des footballeurs vedettes. A onze, les BRICS sont encore plus puissants, l’Afrique a trois représentants, l’Amérique deux, l’Asie deux, le Moyen Orient 3 et l’Europe 1.

Les BRICS n’engagent pas de bataille contre le dollar

Mais ce sommet était attendu pour une révolution dans les transactions financières à savoir donner un coup de pied dans le cul au dollar en lui retirant sa toute-puissance comme monnaie d’échange. Tous les pays du Sud global attendaient cela, ce serait vraiment le nouvel ordre mondial si une nouvelle monnaie d’échange basée sur l’or ou le pétrole avait été adopté. La Russie poussait à la roue pour cela vu que les occidentaux ont bloqué toutes ses réserves de change et l’ont exclu du SWIFT, le système international d’échange financier.

La Chine ne se sent peut-être pas encore prête pour engager une telle bataille, elle qui détient beaucoup de dollars comme réserves de change. Le Brésil et l’Inde ont des reproches à faire aux Etats unis, mais ont aussi des relations assez poussées. Avec l’arrivée des Emirats arabes unis et de l’Arabie saoudite, il sera encore plus difficile de s’attaquer au dollar, car si ces pays revendiquent l’islam, ils adorent aussi le dollar américain.

En passant à onze, les BRICS vont-ils changer de nom, créer une nouvelle organisation internationale ou rester comme le G7 et le G20, un cadre de rencontre seulement ? Les BRICS ont créé en 2014 une banque : la Nouvelle Banque de développement (NBD) à Shanghai en Chine. L’arrivée des riches pays du Golfe Persique va-t-il faire de la NBD une concurrente de la Banque mondiale à laquelle ces pays reprochaient aussi sa gouvernance qui ne favorisait pas les pays en développement.

Les BRICS sont un mirage pour des pays africains. Peut-on lutter contre les puissances capitalistes en se basant sur des capitalistes de moindre envergure ? S’opposer à l’Occident sans une idéologie commune est illusoire. Les pays africains se rendront bientôt compte que seules la Chine et la Russie ont des marges de manœuvre dans ce regroupement et que c’est un instrument de leur politique.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net