Ouvert en mi-juin 2023, le procès dit « Vincent Dabilgou et six autres » a été pour certains citoyens une révélation de pratiques, un « non-évènement » pour les initiés et avertis de la vie politique dans nombre de pays en Afrique, et le Burkina semble être loin de faire l’exception. Poursuivis pour « détournement de deniers publics, financement occulte de parti politique et blanchiment de capitaux », les prévenus ont, les uns aussi que les autres, fait des déballages qui chargent le système électoral au Burkina et viennent consolider le REN-LAC dans son rapport après le double scrutin du 22 novembre 2020. Au-delà de toute considération, et comme le pensent nombre d’observateurs de la vie politique nationale, ce procès doit, au-delà des individus, poser la question objective des nécessaires réformes afin que le landerneau politique ne soit pas un « espace d’entreprenariat » pour ses animateurs et réponde véritablement à la vocation de l’article 13 de la Constitution.
L’on se souvient qu’à l’issue du double scrutin de novembre 2020, le REN-LAC (Réseau national de Lutte anti-corruption) a publié un rapport qui a fait état de comment l’argent a joué dans ces compétitions électorales. Une étude qui a d’ailleurs consolidé un des candidats à la présidentielle de cette date, Dô Pascal Sessouma, ulcéré de voir le pouvoir de l’argent dans sa toute première expérience politique qu’il vivait. Le procès dit « Dabilgou et six autres » vient légitimer la pertinence de tout ce qui a été jusque-là dit sur le rôle pervers de l’argent dans les élections.
C’est pourquoi, pour des avertis de la vie des institutions, et au moment où le pouvoir est lancé dans la reconquête de l’intégrité du territoire, sa mission première, il se doit également de prendre à bras-le-corps, et à temps, la question des réformes (certains parlent même de refondation). Ce, d’autant que, justifient ces défenseurs, la transition doit être sanctionnée par des élections. « Si des réformes sérieuses ne sont pas faites, on va retomber dans les mêmes travers. Or, pour faire des reformes sérieuses, il faut du temps ; autant on s’y prend tôt, autant on peut bien approfondir les réflexions.
En revanche, si on se laisse coincer par le temps, on va faire des reformes bâclées ou des réformettes. A mon avis, les reformes sont même plus difficiles que la reconquête du territoire, et l’enjeu est très énorme. C’est déplorable donc que jusque-là, à une année de la fin de transition, on n’ait pas les prémices dans ce sens. Le procès de l’ancien ministre et chef de parti politique, Vincent Dabigou, est révélateur de l’inquiétude. Les gens sont étonnés des révélations, mais c’est cela la réalité du terrain. Moi, je dirai que Dabilgou et ses camarades ont été simplement victimes de leur naïveté. Si on doit pousser loin le bouchon, on comprendrait qu’ils ne sont pas les champions en la matière et beaucoup dans la classe politique vont y passer », se confie un leader d’opinion, figure de la Révolution démocratique et populaire, se qualifiant lui-même de membre de la vieille garde politique qu’il dénonce.
Parlant d’ailleurs de ces pratiques pernicieuses dans le milieu politique, les propos du directeur général de la Société nationale de gestion du patrimoine ferroviaire du Burkina Faso (SOPAFER-B) au moment des faits, Malick Koanda, selon lesquels « dans les partis politiques, on ne demande pas d’où vient l’argent », en disent long sur le phénomène.
Et le constitutionnaliste, homme politique et député à l’Assemblée législative de Transition, Pr Abdoulaye Soma, est dans cette dynamique de regard holistique du sujet. « Le procès Dabilgou, au-delà du nom, c’est un procès d’un système. Il ne faut pas voir Dabilgou comme un élément mauvais, immoral. Non, c’est le procès d’un système parce qu’on sait que ce qui a été révélé à l’occasion de son procès particulier est une pratique systémique. Et le système électoral que nous avons, disons, prête le flanc à de telles pratiques.
Le système électoral prête le flanc, d’abord parce que nous avons laissé s’imposer l’influence de l’argent dans le résultat électoral ; de sorte qu’aujourd’hui, quand vous voulez vous assurer un résultat électoral, il faut vous assurer de l’argent, la capacité financière. Et la capacité financière, elle est rarement individuelle ; elle est institutionnelle. C’est pourquoi, lorsque les personnes politiques ont accès au budget de l’Etat, elles se prêtent à des manœuvres qui leur permettent de s’assurer cette disponibilité financière qui a automatiquement un impact sur le rendement électoral », a posé le constitutionnaliste Abdoulaye Soma, sur le plateau de l’émission « Le Tribunal de l’actualité » du 10 juillet 2023.
Puis, il propose : « Il nous faut reformer notre système électoral, en sorte à faire que par la disposition des choses, des normes électorales, le pouvoir de l’argent soit réduit dans le résultat électoral, dans la sincérité de l’élection. C’est tout à fait possible, parce que nous avons des systèmes en exemples. Nous-mêmes nous pouvons avoir une réflexion autonome, en fonction de nos réalités, mais quand on regarde un peu à côté, on a des systèmes par exemples d’interdiction du financement privé des activités politiques. C’est quelque chose que nous n’avons pas ; parce que quand un parti politique comme celui de Dabilgou dispose de l’argent, quand on va lui demander officiellement où est-ce qu’il a cet argent, il peut argumenter que c’est tel partenariat privé, tel autre…, il ne va jamais dire qu’il a puisé dans les caisses de l’Etat. Donc, quand il va dire que c’est un ami entrepreneur qui l’a aidé, on ne peut rien dire ; le système ne permet pas de dire quelque chose.
Alors qu’ailleurs, c’est interdit ; parce qu’on sait que quand on est au pouvoir, on a plus d’amitiés dans le secteur privé que les autres. Donc, on prend une longueur d’avance sur les autres en matière de compétitons électorales. On peut interdire le financement privé des élections, réguler le financement public et assurer le contrôle des comptes de campagnes et assurer aussi le plafonnement des dépenses de campagnes. Ce qu’on n’a pas. On n’a aucune de ces règles dans notre système électoral. Ce qui fait que c’est un système électoral trop lâche, trop ouvert à la manipulation, à la fraude et au déséquilibre électoral. Donc, j’espère qu’on profitera des enseignements de ce procès et qu’on remerciera l’occasion de ce procès pour reformer véritablement notre système électoral pour qu’il soit crédible ».
Selon Pr Soma, les problèmes de crédibilité qui se posent aujourd’hui sur la classe politique dérivent de ce que les gens savent que ceux qui gagnent les élections ne sont pas les meilleurs en termes de politique ; ils les gagnent seulement en raison de leur avance sur le plan financier. Alors que le plan financier ne crée pas la bonne gouvernance et la crédibilité politique, convainc-t-il, justifiant ainsi la nécessité de refonder le système.
Le cas Dabilgou et compagnie n’est certainement pas un cas isolé et n’est peut-être que la partie visible de l’iceberg qui doit offrir de cas pratique pour une analyse à tête froide pour des reformes solides sur tous les aspects qui régissent la vie politique nationale. On a en souvenance qu’avant cette affaire, c’est l’ancien ministre de l’Eau et l’Assainissement, un des leaders du PPS et transfuge de l’ancien parti au pouvoir (MPP), Ousmane Nacro, qui a été, épinglé, en janvier 2023.
O.H.L
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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