Quelle est notre politique envers la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ? Si les choses sont claires au niveau du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR2) en ce sens où il y a une collaboration avec un médiateur désigné en la personne de l’ancien président nigérien Mahamadou Issoufou, une certaine opinion ne voit pas d’un bon œil l’organisme régional pour ses démêlés avec le pouvoir de transition au Mali.
Si l’on en croit certains, la CEDEAO serait une maison hantée par l’impérialisme français, et les principaux chefs d’Etat de l’Afrique de l’Ouest ne seraient que des pantins aux mains du président français Emmanuel Macron.
Aussi, selon eux, aucune collaboration ne peut se faire avec eux, même dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Une telle opinion peut-elle être celle d’un Etat comme le nôtre, enclavé, partageant ses frontières avec six pays ? Même si nos relations sont bonnes avec le pouvoir existant chez notre voisin malien, pouvons-nous mener cette lutte contre le terrorisme en faisant fi du reste de notre environnement ?
Si le Mali, première nation touchée, a plongé suite aux attaques des groupes armés, n’est-ce pas parce qu’il n’a pas été soutenu par ses voisins ? Pourquoi refuser l’union des forces contre le fléau commun si la CEDEAO veut participer au combat ? L’insécurité que nous vivons et la guerre qui nous est imposée ne sont-elles pas des problèmes qui concernent notre espace régional dans sa totalité ?
Le 18 juillet 2023, le nouveau président en exercice de la CEDEAO, fraichement élu président du Nigéria, Bola Ahmed Tinubu, a réuni autour de lui, à Abuja les chefs d’Etat du Bénin, Patrice Talon, de Guinée Bissau, Umaro Sissoco Embalo et du Niger, Mohamed Bazoum ainsi que le président de la commission de la CEDEAO, Omar Alieu Touray. Ce comité restreint s’est penché sur deux questions : la situation des pays en transition suite aux coups d’Etat, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ; la menace sécuritaire dans la région et la réactivation de l’Ecomog (Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group) en français Brigade de surveillance du cessez le feu de la CEDEAO.
Nigeria is back
Cette réunion suite à sa prise des rênes de l’organisation régionale sonne comme un retour du plus grand Etat sur la scène régionale, première puissance économique du continent africain, pays comptant le plus de milliardaires sur le continent. Le mandat présidentiel du général déclinant Muhummadu Buhari n’a pas été marqué par un grand intérêt du Nigéria pour les questions régionales où le pays n’a exercé aucun leadership, malgré son poids économique. Le nouveau président veut, avec ce geste, signifier qu’il faudra désormais compter avec le Nigeria qui ne s’occupera pas seulement que de Boko Haram, mais aussi d’Aqmi (Al Qaeda au Maghreb islamique) et de l’EIGS (Etat islamique au Sahel et au grand Sahara).
Il faut remarquer que cette réunion au premier point innove concernant les pays en transition en voulant renouer les fils du dialogue au plus haut niveau avec les chefs militaires putschistes, sans remettre en cause l’action des médiateurs désignés. Le chef de l’Etat béninois est à la manœuvre pour ramener les militaires au pouvoir en Guinée, Burkina et Mali dans le cercle des chefs d’Etat de la CEDEAO. C’est une initiative nécessaire qui peut décrisper les relations tendues entre certains dirigeants et permettre de dépersonnaliser les débats et de parler de l’intérêt général des peuples de la sous-région.
Résurgence de l’ECOMOG
Le deuxième point de l’ordre du jour est la volonté de la CEDEAO d’apporter une réponse régionale à la lutte contre l’insécurité. Il est heureux enfin que tout le monde, au sein de l’organisation régionale, soit arrivé à comprendre que les groupes terroristes n’ont pas pour objectifs et buts ultimes les Etats du Sahel, mais que même les pays côtiers sont dans leur ligne de mire. Aussi les quatre présidents ont convenu que : « La réponse régionale comprendra l’opérationnalisation rapide d’un plan d’actions révisé de la CEDEAO pour l’élimination du terrorisme dans la région ainsi que la collaboration avec d’autres initiatives de sécurité. La réponse peut également inclure un soutien direct aux États membres dans leur lutte contre le terrorisme », précise le communiqué.
On ne sait pas quelles formes prendra cette réponse, mais on peut penser que des troupes militaires de la région iront au secours des pays confrontés à la menace terroriste. Il est évident que ce ne seront pas des militaires en tourisme comme ceux de la MINUSMA, comme le dit le président ougandais Musewéni, mais des hommes qui viennent se battre, pour vaincre militairement les groupes armés et libérer les pays. Du reste, après le renvoi de la MINUSMA par le Mali, même l’ONU ne proposera pas un tel mandat encore à un pays puisque la RDC (République démocratique du Congo) aussi a obtenu le départ du contingent onusien.
Le comité technique mis en place sur la question rendra sa copie dans deux mois. Si cela se concrétise, ce sera un retour du Nigeria en Afrique de l’Ouest pour jouer le rôle qu’il a exercé en 1990 pour mettre fin aux guerres civiles et rébellions au Libéria et en Sierra Léone. Le Nigeria était le contributeur principal des troupes de l’Ecomog, auquel 14 autres pays avaient envoyé des contingents dont deux non membres de la CEDEAO. L’Ecomog a été une succes story quoi qu’on dise. Elle a montré que l’union fait la force et peut aider à emmener la paix et la sécurité.
On entend des discours qui s’opposent à cette main tendue sous des prétextes qui ne résistent pas à l’analyse. Le Burkina Faso est condamné à s’entendre avec ses voisins et à vivre avec eux. Nous ne sommes pas sur une île, notre avenir et notre destin sont en Afrique de l’Ouest. C’est là que se mène le combat. Si nous avons des choses à dire, à faire valoir, c’est avec nos frères africains que nous devons le faire.
Si nous sommes sûrs de nous-mêmes et de notre bon droit, pourquoi éviter de nous confronter aux autres ? Défendons nos droits et nos idées devant tout le monde et laissons les autres avoir leurs opinions, si elles ne sont pas justes, elles ne passeront pas. Ce serait bizarre de rejeter à l’avance des propositions que l’on n’a pas encore entendues. L’expérience du Mali et du Burkina fait réfléchir les autres pays, les autres chefs d’Etat, il faut croire au changement et à la capacité des hommes à changer et accueillir avec enthousiasme ce désir d’innover.
Sana Guy
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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