Bien que les partis politiques soient réduits à leur plus simple expression depuis le coup d’Etat de janvier 2022, des leaders ne se sentent pas moins attachés à la situation nationale qu’ils suivent avec une attention soutenue. Du reste, ils ne manquent pas d’occasions pour partager leur diagnostic et faire des propositions de sortie de crise. Est de ces organisations politiques, l’Alternative patriotique panafricaine/Burkindi (APP/Burkindi), fidèle également à sa ligne depuis sa création en juin 2018. Dans cette interview qu’il nous a accordée, le vice-président chargé de l’orientation politique et de la cohésion nationale, Dr Naguesba Issoufou Tao, donne la lecture du parti de la situation nationale, assortie de propositions et dont certaines ne sont pas à caresser dans le sens du poil, les partis politiques eux-mêmes.

Lefaso.net : Comment se porte l’APP/Burkindi et quel est le lien qu’il entretient aujourd’hui avec ses militants et sympathisants, dans ce contexte où les activités des partis politiques sont suspendues ?

Dr Naguesba Issoufou Tao : Avant tout propos, je voudrais saisir l’opportunité que vous m’offrez pour m’incliner devant la mémoire de toutes les victimes du terrorisme dans notre pays, civiles comme militaires ; nous traduisons notre compassion aux familles respectives. J’ai également une pensée à l’endroit de nos compatriotes déplacés internes, à qui nous souhaitons bon courage et traduisons toute notre solidarité et tout notre soutien.

Pour revenir à votre question, je dirai que l’APP/Burkindi se porte à l’image du pays. Nous gardons tant bien que mal le contact avec nos militants, malgré la situation générale difficile.

Cette situation de suspension des activités tient au fait que la classe politique serait responsable de la situation actuelle du pays. Quelle observation avez-vous sur cette opinion ?

Il est difficile de dédouaner le politique dans la situation que vit notre pays depuis les indépendances. Mais il est bon de nuancer à deux niveaux. Dans un premier temps, il ne serait pas juste de jeter la faute sur les seuls hommes politiques. Il importe de rappeler que notre pays n’a connu que deux présidents civils, que sont Maurice Yaméogo et Roch Kaboré, si l’on ne tient pas compte de la transition de 2015 présidée par Michel Kafando. La part belle de la gestion de notre pays revient donc aux militaires avec six coups d’Etat et une tentative qui a échoué, celle de Gilbert Diendéré qui a dû abdiquer face à la pression populaire.

Nous traversons, là, une crise sécuritaire sans précédent et la responsabilité première de cette situation incombe aux militaires avant tout, qui ont la charge de protéger notre nation. C’est pour cela d’ailleurs que la rupture de l’ordre constitutionnel a été tolérée, voire applaudie, en janvier 2022. C’est donc dire que la situation du pays ne saurait être la conséquence de l’échec des seuls politiques. Deuxièmement, vous ne pouvez pas mettre les politiques à la même strate pour les juger et les tenir responsables au même titre.

Des militants comme nous, refusons d’être logés à la même enseigne que ceux qui ont présidé aux destinées de ce pays plusieurs décennies durant et dont les bilans sont connus. La tragédie que nous vivons fait partie des conséquences de choix politiques de ces derniers. Il faut alors être clair sur cette question. La classe politique ne peut être tenue pour seule responsable de la situation de notre pays et les politiques ne peuvent pas tous être considérés comme des caïmans de la même mare et traités comme tels. Les responsabilités historiques peuvent être situées avec objectivité et discernement.

Malgré la volonté affichée des autorités en place, la situation sécuritaire n’affiche pas bonne mine, avec surtout ces villages qui continuent de se vider. Comment peut-on expliquer cette persistance dans la dégradation de la situation ?

Je pense que nous devons être optimistes. Il y a, comme vous le dites, une volonté manifeste au sommet de l’Etat de lutter contre ces bandes criminelles depuis l’avènement du MPSR II et cela est à reconnaître. La volonté est le premier ferment de tout succès et il faut reconnaître cela au capitaine Traoré. Maintenant, dans une guerre asymétrique comme celle que nous traversons, il y a plusieurs paramètres à prendre en compte pour savoir que même dans une dynamique victorieuse, il y a des hauts et des bas et je crois que c’est à ces bas que vous faites allusion. Savez-vous que certains villages étaient sur place encore par la seule volonté des groupes terroristes ?

Et quand l’étau se resserre sur eux, dans leur repli, ils sont capables de déplacer ces mêmes populations avec qui ils avaient déclaré une sorte de non-agression pour faire mal à la nation. Cela pourrait expliquer la hausse constatée au niveau du nombre de PDI (personnes déplacées internes). Il vous souviendra également que chaque fois que les groupes terroristes sont acculés, ils changent de cibles, passant des cibles fortes (position des FDS, VDP…) aux cibles molles que sont les populations civiles, comme nous le constatons ces derniers temps, pour une fois de plus semer le maximum de désolation.

Sinon, notre point de vue est que nos FDS (Forces de défense et de sécurité) et nos VDP (Volontaires pour la défense de la patrie) ont entamé une marche radieuse et inexorable vers la libération du pays et l’occasion est belle pour notre parti de saluer et d’encourager cet engagement patriotique. Des populations sont réinstallées dans leurs localités sans grands renforts médiatiques et il ne faut pas occulter cela. Nous perdons parfois des batailles, mais en tant que peuple, en tant que nation, nous gagnerons cette guerre.

Dans une déclaration en date du 2 octobre 2022, votre parti déplorait le dévoiement du lieutenant-colonel Damiba, prenait acte de l’arrivée du capitaine Traoré avant d’estimer que « Une mobilisation populaire de combat et une clarification de nos alliances extérieures sont incontournables. Sans une guerre populaire et patriotique généralisée, sous la direction des FDS et de dignes représentants du peuple, notre calvaire risque d’être encore plus long et meurtrier ». Le MPSR II a pris une nouvelle dynamique diplomatique et a procédé à la popularisation de la guerre par le recrutement massif de VDP. Peut-on dire que le pouvoir est sur la même lancée que votre parti et en êtes-vous satisfait ?

Notre parti a fait des propositions de sortie de crise au président Damiba. Nous avons reconduit ces propositions au président Traoré. Nous notons aujourd’hui, et nous l’avons dit en janvier, une prise en compte de certaines de nos propositions. Effectivement, notre conviction au niveau de l’APP/Burkindi est que notre salut passera par l’armement des populations pour qu’elles puissent se défendre par elles-mêmes (par le peuple, pour le peuple).

Le président Thomas Sankara l’a compris très tôt et l’a dit : « Un peuple conscient ne saurait confier la défense de sa patrie à un groupe d’hommes, quelles que soient leurs compétences. Les peuples conscients assument eux-mêmes la défense de leur patrie ». Un peuple qui plus est dans une guerre asymétrique où l’ennemi est avec vous et use de perfidie. Alors, nous notons le recrutement ‘‘massif » de VDP comme un début de mobilisation populaire généralisée, mais il faut aller au-delà et plus vite. Il faut également prendre en compte les aspects de la lutte sur le plan communautaire et économique et accélérer les différents processus.

Sur le plan de l’équipement de nos forces patriotiques combattantes, nous notons également de gros efforts et des progrès sensibles. Lors d’une rencontre avec la classe politique, en présence des ministres de la défense, de l’administration du territoire d’alors, le ministre d’Etat et ministre de la Fonction publique a affirmé que notre pays a désormais les moyens de surveiller son territoire et ce sont, là, de bons signaux.


Dans un message adressé aux Burkinabè à l’occasion du nouvel an, le 1er janvier 2023, par la voix de son président, l’APP/Burkindi s’est également félicité de ce qu’une partie de ses propositions de sortie de crise sont prises en compte par le MPSR II du capitaine Ibrahim Traoré. Neuf mois après, l’APP/Burkindi peut-il dire que la trajectoire se poursuit, comme elle souhaite ?

Comme je l’ai dit plus haut, nous pensons que la trajectoire est prometteuse. Le discours est clair et cohérent. Il y a, visiblement, plus d’engagement sur le terrain ; les équipements sont en train d’être rassemblés…Ce n’est pas tout. Il y a cette main tendue de la République à ses enfants égarés (s’ils sont prêts à ouvrir la leur) à travers le CNA (Centre national d’appels) et des mécanismes autres que la puissance de feu. Le rythme n’est peut-être pas à notre convenance, mais les divers leviers actionnés nous positionnent vers une issue heureuse de fin de deuil et d’intégrité territoriale retrouvée.

Dans le même message de vœux de nouvel an, vous appeliez à « ne pas céder aux manipulations et aux pièges de la division ». Aujourd’hui, la situation est telle que de nombreux Burkinabè redoutent une guerre civile, du fait de dérives contre des membres d’une communauté. Avez-vous la même crainte ?

Il faut déplorer certains comportements de nature à diviser davantage les Burkinabè. Il y a des accusations sans fondements sur certaines communautés et sur nos FDS et VDP. Il faut fondamentalement éviter le délit de faciès. Les victimes de cette guerre sont multiconfessionnelles et multi-ethniques. Il faut également dénoncer avec force les attaques souvent infondées contre nos FDS et leurs supplétifs. Ces accusations émanent en réalité d’officines obscures qui poursuivent des intérêts étrangers à ceux du peuple burkinabè. Et il faut vraiment éviter de tomber dans ces pièges.

Ces pièges qui sont souvent tendus par les groupes criminels eux-mêmes et leurs soutiens pour accentuer les divisions, achever de déchirer le tissu social et accélérer la déliquescence de notre Etat. Nous croyons en la capacité des Burkinabè à transcender les situations difficiles comme la crise de l’article 37 ou l’apocalypse avait été prédite. On peut citer également la résistance au coup d’état de 2015 pendant laquelle notre peuple a su préserver l’essentiel. La crise sécuritaire complexe que traverse notre pays ne dégénérera pas en effondrement de l’Etat, si l’unité des communautés, des patriotes et de tout le peuple autour des FDS est acquise. Telle est notre conviction !

Il est reproché aux partis politiques de ne pas faire conséquemment, non seulement en termes de propositions de sortie de crise, mais également dans la prise en charge de la situation humanitaire. Quel commentaire cette perception vous inspire ?

Notre parti a toujours fait des propositions de sortie de crise, du pouvoir du président Kaboré à la transition actuelle. Nous sommes constants à ce propos, et nous en avons parlé plus haut. En plus de la guerre populaire généralisée, nous avions proposé au président Kaboré à l’époque, une réforme de l’armée, entre autres. Par rapport à la situation humanitaire, en tant qu’humains tout court et affectés par la situation de nos compatriotes, nos militants se tiennent aux cotés des PDI, en tout temps et en tout lieu. Mais il revient à l’Etat, qui est le garant du bien-être des populations, d’apporter une réponse appropriée à la situation.

Vous êtes enseignant-chercheur, membre d’organisations sociales également, on vous aperçoit souvent sur le terrain, apportant soutien aux déplacés internes. Si ce n’est un secret, est-ce des actions au titre du parti, d’une organisation quelconque ou à titre personnel ?

Nous ne pouvons pas rester insensibles à la situation que nous vivons, à quel que titre que ce soit. Il est de notre devoir de rester aux cotés de ces nombreuses PDI devenues vulnérables par la force des choses et nous essayons de faire notre mieux, quels que soient le cadre et le lieu. Nous profitons de votre tribune pour traduire notre reconnaissance à tous ceux qui nous accompagnent dans le sens de soulager, un tant soit peu, ces PDI. Nous leur souhaitons beaucoup de courage et fondons avec elles, l’espoir d’un retour très prochain dans leurs localités d’origine.

Les partis et formations politiques sont sollicités par le ministère en charge des libertés publiques pour apporter leurs réflexions au projet de relecture du Code électoral et du régime juridique des partis politiques. Etes-vous de ceux qui pensent que des réformes sont nécessaires sur ces volets ?

Il est évident qu’il faut opérer des reformes politiques. Il faut donner à la scène politique, un visage humain et patriote. L’argent ne peut pas être un critère pour remporter des élections dans un pays qui veut et qui doit se construire. Pendant longtemps, la politique a été érigée en fonds de commerce et nos populations en bétail électoral. La conséquence, c’est la corruption, les détournements et le pays poursuit sa descente aux enfers, en témoigne la situation dans laquelle il est plongé depuis maintenant de longues années. Il faut que cela cesse et ça passe par des réformes audacieuses.

Un certain nombre d’acteurs doivent être traduits devant les tribunaux, condamnés le cas échéant et frappés d’indignité politique, des partis politiques doivent être dissouts. Les anciennes pratiques ne doivent plus avoir cours dans le Burkina Faso de demain. La priorité du moment reste sans conteste la question sécuritaire, mais vous ne pourrez avoir une terrasse propre tant que vous n’aurez pas construit de pare-vents solides pour contrer ces vents qui vous servent ces ordures. Ce ne sera qu’un perpétuel recommencement et c’est ce qu’il faut éviter.

Des composantes politiques ont saisi l’opportunité de cette correspondance pour demander à l’autorité de d’abord lever la suspension qui frappe les activités des partis et formations politiques. Votre parti s’inscrit certes dans l’un des grands ensembles de la classe politique, l’ONA, dont on n’a pas encore connaissance de la réaction sur le sujet, mais nous n’allons pas nous empêcher de demander l’analyse de l’APP/Burkindi par rapport à cette équation qui se pose…

Je comprends la position des composantes politiques demandant la levée de la mesure de suspension afin que le processus soit participatif. Je comprends également la position du gouvernement. Mais je risque de vous surprendre… Notre peuple a beaucoup souffert et soufre encore, et l’heure et les esprits ne sont véritablement pas à l’agitation politique. J

e crois que dans un processus concerté, on doit pouvoir trouver une passerelle pour que les formations politiques puissent consulter leur base pour toute question essentielle, sans pour autant plonger nos villes dans une effervescence politicienne au nez de nos PDI qui ne demandent qu’un toit et quelques céréales en scrutant l’horizon de fin de calvaire. L’ex-ONA (Opposition non-affiliée) à laquelle appartient notre parti, se prononcera certainement de manière officielle sur cette question.

L’opportunité de l’adoption de la nouvelle Constitution sous ce pouvoir de la transition se pose également. Pensez-vous que cela est un impératif ?

Je crois que l’occasion est bonne pour adapter notre Constitution à nos valeurs et réalités. Il ne faut pas oublier que l’insurrection d’octobre 2014 trouve ses fondements dans les failles que la Constitution avait laissées à la liberté d’interprétation. La transition de 2015 l’a révisée à minima pour verrouiller l’article querellé, mais cette transition devra tropicaliser une bonne fois notre loi fondamentale et la loi électorale, afin que nous puissions tourner le dos et à la guerre et à l’instabilité constitutionnelle pour véritablement pour poser les jalons d’une nation au travail, stable et prospère.

De plus en plus de Burkinabè se convainquent également que la transition en cours travaille à son propre prolongement tandis qu’une catégorie de Burkinabè estiment qu’il n’y a pas lieu de parler d’élections en 2024, tant que le territoire n’est pas recouvré. Quelle est votre analyse sur le sujet ?

Je ne ferai pas de procès d’intention à la transition. En cas d’impossibilité de tenir des élections en 2024, des concertations avec toutes les composantes de la société peuvent être initiées pour ce faire. Autrement dit, vous convenez avec moi qu’il est malsain de parler d’élections dans ces conditions. Faut-il aller encore payer des élections à ceux qui nous endeuillent ? Où allons-nous battre campagne ? Je crois qu’il faut être sérieux et conséquent.

Ce type de discours dans le contexte qui est celui de notre pays ressemble à des manœuvres de gens qui ont perdu des privilèges et qui caressent l’espoir de les retrouver le plus tôt possible. Et ces espèces de politiciens n’ont justement plus leur place sur l’échiquier politique. Ils ont été incapables d’éteindre le feu qu’ils ont allumé ou contribuer à allumer, qu’ils aient aujourd’hui la bienséance de respecter la mémoire de nos morts et de compatir à la douleur de la nation.

Qu’avez-vous comme message pour clore l’entretien ?

Je voudrais féliciter et encourager votre organe le faso.net pour tout le travail qui est abattu dans le sens d’apporter l’information juste et utile aux Burkinabè. Je voudrais ensuite vous remercier pour l’opportunité offerte à l’APP/Burkindi d’opiner sur la situation nationale. Enfin, je voudrais rappeler que notre pays est dans une lutte pour sa survie en tant que nation. C’est un moment décisif de l’histoire ; là c’est le navire Burkina Faso qui est menacé de chavirement et alors il est plus que jamais urgent que tous, je dis bien tous les Burkinabè de l’intérieur comme de la diaspora puissions taire nos divergences, somme toute secondaires pour soutenir le moral de nos forces combattantes dans l’élan et l’effort de libération de la patrie.

Je vous salue !

Vive le Burkina Faso !

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net