Le ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et de la sécurité a lancé officiellement la plateforme « eContravention » ce mardi 11 juillet 2023. C’est une nouvelle technologie pour le paiement des contraventions sur la voie publique. Lefaso.net a baladé son micro dans les artères de la ville de Ouagadougou ce mercredi 12 juillet 2023 pour avoir l’avis de citoyens. Si pour certains d’entre eux cette plateforme est la bienvenue pour d’autres, elle va plutôt accroître la corruption. Lisez plutôt
Sylvain Dala, consultant
- Sylvain Dala, consultant
« C’est une initiative salutaire de la part du gouvernement. Elle va contribuer dans un premier temps à dématérialiser et à digitaliser l’administration publique. Dans un second temps, elle permettra de réduire la corruption puisque la manipulation directe de l’argent est l’un des facteurs de la corruption. Et dans un troisième temps, c’est une mesure qui permettra de gagner en temps pour les usagers en infraction. En sus, c’est également un moyen de désengorger les commissariats parfois remplis d’engins saisis. Cependant, l’initiative ne résout pas le système de racket qui relève de l’intégrité du policier et du civisme des usagers de la route. Le plus important, c’est de continuer dans la dynamique de la sensibilisation de la population au respect du code de la route pour une meilleure sécurité routière ».
Barthelemy Ramdé, communicateur et social media planer
- Barthelemy Ramdé, communicateur et social media planer
« Depuis l’arrivée au pouvoir du président Ibrahim Traoré, la lutte contre la corruption est l’un des objectifs-phare de gouvernement. Cette volonté affichée a conduit à l’adoption de la loi portant dématérialisation de l’administration publique avec pour objectif d’approfondir les réformes institutionnelles et de moderniser l’administration publique. C’est avec grand plaisir que nous avions suivi la nouvelle portant mise place de la plateforme eContravention avec pour mission principale de régler les amendes en ligne pour, entre autres, éviter la corruption d’agents. Vous conviendrez avec moi qu’au Burkina Faso, l’incivisme routier est un phénomène qui ne dit pas son nom. Le non-respect des feux tricolores est devenu une habitude pour certains usagers.
Au vu de toutes ces infractions enregistrées, les amendes perçues par les agents et destinées aux caisses de l’Etat devraient être d’une grande aide pour le gouvernement. Cependant, ça n’a jamais été le cas au regard de la grande corruption qui règne dans le milieu. Nous espérons bien qu’avec la mise en place de cette nouvelle plateforme, des dispositions sont prises pour s’assurer de la transparence dans le paiement en cas d’infraction, sans quoi la mesure demeurera stérile. Cette initiative pour nous est juste une innovation mais pas une action de lutte contre la corruption. Il faut d’abord de la volonté de la part des agents de sécurité. Il s’agit tout simplement d’une méthode de payement mais rien ne garantit que les acteurs seront prêts à collaborer.
On pourrait bien payer sa contravention via Orange Money mais est-ce que c’est sur le compte destiné ? C’est pourquoi j’insiste bien sur la mise en place de mécanismes de transparence dans le payement. Au Burkina Faso nous avons également une population qui n’a pas encore inclut les TIC dans ses habitudes de vie à cause du taux d’analphabétisme élevé. Tous ces facteurs peuvent être un frein à la mise en place effective de cette initiative. Mais nous restons optimistes quant à l’engagement du gouvernement et sa volonté à opérer des changements sur ce chantier. Le projet étant dans sa phase pilote, nous espérons que les résultats seront positifs et nous conduiront à des réformes de développement durables ».
Wendpanga Carl Ismaël Karanga, agent de projet de développement
- Wendpanga Carl Ismaël Karanga, agent de projet de développement
« Je voudrais saluer et féliciter l’Etat burkinabè pour cette initiative. Elle permet d’être en phase avec la technologie du moment et d’aller vers la digitalisation de l’institution policière et même de l’Etat. Mais personnellement, je suis partagé car beaucoup de questions se posent sur la fiabilité et la rentabilité. Le mécanisme mis en place derrière pour faire accepter cette initiative au niveau de la police et de la population, en gros le mécanisme pour la faire fonctionner. Je veux bien croire que cela va marcher mais si nous faisons une analyse de ce nouveau système, il peut y avoir des questionnements sur l’eContravention qui se veut être une solution dans la lutte contre la corruption.
Est que les agents de police eux-mêmes vont vraiment l’utiliser ? Et comment on s’assure qu’ils les utilisent ? Si le ou la contrevenant n’a pas de compte Orange Money ? Il y a des moments ou le réseau balance pendant un bout de temps comment le ou la contrevenant va payer ? La punition derrière la contravention était que la personne soit privée de son engin pendant un bout de temps. Maintenant qu’il va payer et continuer sa route, c’est quoi la sanction derrière ? Si c’est juste payer parce qu’on a brûlé le feu et continuer sa route, nombreux ne seront plus inquiets de brûler le feu. Si vraiment on arrive à l’utiliser et à résoudre les difficultés liées aux insuffisances, on pourrait devenir un cas d’école pour certains pays ».
Aristide Sié San-Touma Dah, chargé de projets/programmes
- Aristide Sié San-Touma Dah, chargé de projets/programmes
« Tout d’abord, l’initiative du gouvernement burkinabé dans le cadre de la dématérialisation des institutions publiques avec la mise en place de la plate-forme eContravention est à saluer. Pour ma part, la eContravention permettra d’automatiser le processus de contravention et de traitement des infractions, ce qui peut conduire à une plus grande rapidité et efficacité dans le traitement des dossiers. Cela peut aider à réduire les retards et les manipulations liés à la paperasserie traditionnelle, notamment pour ces personnes qui se rendaient sur place pour s’acquitter de leurs obligations. En éliminant également le contact direct entre les contrevenants et les agents d’application des lois, la eContravention pourrait réduire les opportunités de corruption.
Les paiements électroniques et les enregistrements numériques laissent moins de place à la manipulation ou à la falsification des amendes. La eContravention permettra en outre de collecter et d’analyser des données sur les infractions commises, ce qui peut aider les autorités à prendre des décisions éclairées sur les politiques de sécurité routière. Ces informations peuvent également être utilisées pour évaluer l’efficacité des mesures prises et pour améliorer la planification et la prévention des infractions.
Cependant dans un pays comme le Burkina Faso où l’éducation technologique n’est pas véritablement en lumière et dans le quotidien de la population, cela peut rendre difficile l’adoption généralisée de la eContravention, car de nombreux contrevenants pourraient ne pas être en mesure de consulter les informations relatives à leurs contraventions. La mise en place d’un système de eContravention peut être confrontée à une résistance au changement de la part des citoyens et des acteurs impliqués. Certains peuvent être attachés aux méthodes traditionnelles, tandis que d’autres peuvent craindre une augmentation de la surveillance ou de l’intrusion dans leur vie privée. Tout compte fait, il est du devoir de tout Burkinabé d’apporter sa pierre à l’édifice pour un Burkina Faso prospère pour les années à venir ».
Denis Bembamba, gestionnaire-comptable dans une compagnie d’assurance
- Denis Bembamba, gestionnaire-comptable dans une compagnie d’assurance
« D’emblée, je dirai que toute initiative favorisant l’innovation dans le recouvrement dû à l’Etat est à encourager. Ensuite, l’efficacité de cette nouvelle façon de recouvrer dépendra de l’efficacité technologique utilisée incluant la fiabilité et bien évidemment de la bonne foi des usagers ainsi que des agents chargés de l’application. En ce qui concerne la corruption, elle risque de perdurer avec le coût de la transaction à la charge de l’usager. Aussi, pour ma part ce qui serait favorable pour les caisses de l’Etat, c’est tout simplement la réduction du montant des contraventions au prix auquel l’usager est prêt à débourser pour ladite corruption. Supposons par exemple le cas d’une contravention de 12 000 FCFA et dont l’usager est prêt à consentir 2 000 FCFA en faveur de l’agent. Et le cas où la contravention coûte 2 000 FCFA, l’usager n’aura qu’à débourser l’équivalent du montant de la corruption en faveur du bénéficiaire réel qu’est l’Etat. Suivant la deuxième hypothèse, l’Etat y gagne et l’on aurait résorbé le problème de corruption. Il y va donc de la bonne foi des uns et des autres pour un civisme davantage tangible, moteur d’un progrès collectif en toute équité ».
Tiba Kassamse Ouédraogo, communicant digital
- Tiba Kassamse Ouédraogo, communicant digital
« Dans le fond, c’est une bonne option pour minimiser les risques de corruption entre usagers de la route et agents de sécurité, notamment la police nationale et municipale, surtout que nous sommes dans un monde 2.0. Mais il faudrait du temps pour que les populations puissent comprendre le fonctionnement. Avec les soucis de réseau que nous avons, la méthode sera pas très efficace immédiatement. Mais avec le temps sûrement, les autorités en charge de la question vont se soumettre aux critiques des usagers. La corruption est une vieille pratique et les amateurs vont sans doute se conformer à cette nouvelle méthode de paiement. Ce qui fait que les usagers tentent la corruption le plus souvent, c’est le montant des infractions et la procédure pour récupérer les engins. Pour minimiser la corruption, ce sont des axes sur lesquels l’autorité compétente doit jeter un œil ».
Wilfried Sebgo, spécialiste en genre paix et sécurité
- Wilfried Sebgo, spécialiste en genre paix et sécurité
« Pour le principe, je pense que c’est une très bonne idée de digitaliser le paiement des contraventions routières. Cette eContravention devrait normalement permettre de pouvoir réduire la corruption, éviter les tracasseries routières. Cela permet également la traçabilité des infractions et de gagner en temps. Mais dans la pratique, je doute fort que cela puisse avoir un impact significatif. En effet, comment la plate-forme s’assure qu’il ne peut pas avoir y avoir d’arrangements entre les agents de sécurité et l’usager en infraction ? Tant que l’application ne prévoira pas un système qui prend en compte cet aspect, c’est peine perdue. L’usager en infraction va préférer un arrangement entre lui et l’agent à qui il va donner 2000 ou 3000 francs CFA et partir incognito plutôt que de payer légalement les 6000 francs CFA.
Cependant, une sensibilisation accrue sur le civisme fiscal pourra inciter les usagers à payer légalement car cela permet aussi de développer le pays avec ces ressources. Par ailleurs, s’il est vrai que le téléphone portable et les mobiles money sont de plus en plus utilisées par les Burkinabè, il faut aussi reconnaître qu’ils ne sont pas nombreux ceux qui circulent avec de l’argent dans leur mobile money. Généralement, c’est quand tu veux envoyer de l’agent à quelqu’un que tu l’utilises. Aussitôt le dépôt reçu, ce dernier va le retirer dans l’agence la plus proche.
Du coup, quand il est arrêté, il a de l’argent sur lui mais pas dans son mobile money. Il doit chercher une agence mobile money pour charger et revenir payer. Si tu n’as pas d’argent sur toi, tu es obligé de faire appel à une tierce personne qui va payer ou qui va t’envoyer l’argent. Finalement, cette plateforme qui était censé permettre de gagner en temps en gaspille davantage. Pour être plus efface, cette plateforme doit pouvoir permettre de détecter automatiquement l’infraction et de l’enregistrer de telle sorte que personne y compris l’agent de sécurité ne puisse effacer cette infraction. Ce qui veut dire que l’usager doit obligatoirement payer sinon on comprendra que l’agent l’a laissé partir sans payer ou moyennant une somme. L’application devrait permettre aussi de pouvoir couper directement dans un compte (généralement bancaire) de l’usager en infraction, comme cela se passe dans les pays développés.
Cela aide l’agent de sécurité. Lorsque vous brûlez le feu par exemple et que vous refusez de vous arrêter, l’agent n’a plus besoin de risquer sa vie pour vous arrêter ou vous poursuivre. Automatiquement, la plateforme te flashe, enregistre l’infraction et te le notifie par message et mail. Ensuite, on débite le coût dans votre compte et le tour est joué. Tout compte fait, cette initiative est à saluer pour un début. Il faut donc travailler à combler les failles que la phase pilote va révéler et travailler à la rendre plus pratique et efficace. Enfin, cette plateforme doit travailler en synergie avec d’autres plateformes telles que Smart Burkina (caméras publiques) pour pouvoir être plus efficace ».
Propos recueillis par Carine Daramkoum
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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