Depuis l’accession des militaires au pouvoir, le 24 janvier 2022, la classe politique porte, à tort ou raison, la charge de la situation de crise que vit le Burkina Faso. Contrainte à un service minimum, la classe politique ne manque cependant pas d’argument contre ceux qui veulent lui porter, à elle seule, toutes les tares du Burkina. Dans une interview qu’il a accordée aux confrères de jeune Afrique sur la situation du pays, l’ancien chef de file de l’opposition politique au Burkina Faso et ancien ministre d’Etat en charge de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale, Zéphirin Diabré, apprécie, dans le style direct et précis qu’on lui connaît, l’actualité burkinabè à travers plusieurs de ses volets.

Demandé à commenter les accusations portées par l’armée, et le capitaine Traoré en particulier, sur la classe politique d’être corrompue et incapable à faire face à l’insécurité, « Zèph » a d’abord fait observer que si les populations ont accueilli le coup d’État du 24 janvier avec un certain soulagement, en pensant que l’arrivée des militaires au sommet de l’État permettrait de vaincre rapidement le terrorisme…, le constat aujourd’hui est que la situation sécuritaire se détériore.

Sur la question de la corruption, l’ancien Chef de file de l’opposition politique au Burkina Faso prend le pouvoir Ibrahim Traoré aux mots : « Quant à la supposée incapacité de la classe politique et la nécessité d’avoir recours à l’armée… Je trouve l’argument curieux dans un pays où des militaires, du général Lamizana au capitaine Traoré, ont dirigé l’État pendant plus de 50 ans des 62 années d’indépendance. Notre pays en est à son neuvième coup d’État réussi et, dans six de ces putschs, des militaires ont renversé d’autres militaires. Lorsqu’il a pris le pouvoir, le président Ibrahim Traoré a dénoncé la corruption au sein de l’armée. Il a même déclaré qu’il y avait des milliardaires en son sein. L’opinion a applaudi. Mais à ce jour, aucun de ces fameux officiers milliardaires n’a été interpellé. Dans le même temps, les révélations qui paraissent dans la presse sur la supposée gabegie opérée par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) dirigé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, renversé par Traoré et ses hommes, laissent vraiment pantois. (…). Vaincre le terrorisme n’a aucun lien avec le fait que le pouvoir soit civil ou militaire. C’est conditionné à la gouvernance, à l’union sacrée des citoyens, civils et militaires, dans un même combat. Dans un pays organisé et bien gouverné, l’armée n’a pas besoin d’être au pouvoir pour gagner une guerre ».

Sur la question des élections qui doivent se tenir en 2024, le président de l’UPC pense que la priorité concerne, aujourd’hui, la situation sécuritaire. « Cela dit, comme toute transition finit par des élections, il faut un chronogramme, même indicatif. C’est d’ailleurs un engagement pris auprès de la Cedeao (La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Et les bailleurs de fonds, qui seront forcément sollicités le moment venu, ont besoin de ce calendrier pour se préparer. Jusqu’ici, il n’y a eu aucune rencontre directe et formelle entre la classe politique et le MPSR 2. Les activités des partis politiques sont d’ailleurs suspendues. Ce qui me pose problème, c’est l’incohérence du MPSR et de ses chantres qui se plaignent du silence et du manque de soutien des partis politiques, alors même que les activités des partis politiques sont suspendues ! On ne peut pas vouloir une chose et son contraire… », relativise-t-il.

Sur le sentiment anti-politique française au Burkina, qui se traduit notamment par la demande de départ des forces spéciales et de l’ambassadeur Luc Halladé, Zéhirin Diabré affirme que la France est rattrapée par son histoire et par sa politique. « Au moment des indépendances, elle a décidé de partir de l’Afrique francophone tout en conservant une certaine mainmise sur ses anciennes colonies, au contraire du Royaume-Uni qui a coupé le cordon ombilical. Le problème de Paris vient de cette volonté de préserver son ‘’pré-carré » et de maintenir sa zone d’influence. Cela l’a conduit à toutes sortes d’immixtions dans les affaires politiques africaines, à des compromissions avec des dirigeants peu recommandables, à des interventions militaires pour sauver des dictateurs en péril ou pour installer des alliés… Cela a conduit aussi la France à vouloir conserver un lien monétaire qui apparaît, aux yeux de ses contempteurs, comme une rente… Même si la France se défend et affirme que certaines choses relèvent de pratiques d’une Françafrique aujourd’hui disparue, son image n’en reste pas moins associée à une forme de néocolonialisme. Et, pour dire vrai, la France peine à se défaire du paternalisme et d’attitudes qui frisent l’arrogance et l’infantilisation de ses partenaires africains », analyse l’ancien directeur Afrique et Moyen-Orient du groupe français AREVA.

Comme une sorte d’indigestion, le président de l’UPC rappelle ce geste à polémique (boutade jugée méprisante) du président Macron envers le président burkinabè : « Regardez comment le président Macron s’est comporté avec son homologue Roch Marc Christian Kaboré, lors de son discours à l’Université, en 2017 ! ».

Pire encore, poursuit M. Diabré, la France a cette propension à fouiner dans le marigot africain pour tenter d’influencer les choses, notamment sur le plan politique. « C’est cela qui lui est reproché à intervalles réguliers », souligne-t-il, précisant que la présence militaire française est de plus en plus décriée par des opinions publiques qui ne la comprennent pas et qui doutent de son efficacité dans la lutte contre le terrorisme. Parlant d’ailleurs de coopération en matière de lutte contre le phénomène terroriste, Zéphirin Diabré pense que la seule solution valable pour endiguer le terrorisme, c’est l’engagement des Burkinabè. Il salue à cet effet, la « franchise » du président Ibrahim Traoré à travers son regard porté sur la situation actuelle des attaques, apprécie la nouvelle stratégie en cours de déploiement (réorganisation de l’armée, recrutement des Volontaires pour la défense de la patrie) et encourage les forces en combat sur le terrain. « Tout le reste, y compris l’aide de pays étrangers, ne peut être qu’un complément. C’est aussi, pour nos États sahéliens, savoir se saisir de cette occasion pour bâtir de véritables industries de l’armement », avise le leader politique.

Rassemblés par Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net