« Veille citoyenne pour l’imputabilité politique et la redevabilité socioéconomique : la valeur ajoutée des TIC », c’est sous ce thème que s’est tenue l’édition 2016 d’Africapacités, un processus engagé en 2012 par Diakonia (une ONG suédoise de développement) pour capitaliser les meilleures pratiques pour le changement social à travers le partage des expériences de suivi et d’influence des politiques. Au lendemain de la troisième édition d’Africapacités, tenue du 30 juin au 1er juillet 2016, nous avons approché Luther Yaméogo, directeur pays Burkina de Diakonia, pour mieux comprendre ce processus.
Pouvez-vous nous expliquer le concept « Africapacités » ?
« AFRICAPACITES » est la conjonction des vocables « Afrique » et « Capacités » pour traduire de manière schématique la liaison féconde entre ces deux noumènes. Sans question de préséance, il s’agit de soutenir que l’Afrique dans son agenda de développement doit s’appuyer sur ses propres capacités et les renforcer de manière endogène.
Africapacités est donc conçu comme un Forum annuel qui réunit les acteurs majeurs autour de thématiques à même de catalyser les capacités africaines. Ses objectifs sont les suivants :
Contribuer au diagnostic sur la problématique du renforcement des capacités en Afrique ;
Repositionner le renforcement des capacités comme levier de changement en adéquation avec les stratégies de croissance économique fondée sur l’équité et le développement durable ;
Identifier les enjeux et les défis majeurs de la rationalisation, la professionnalisation et de l’institutionnalisation des capacités en Afrique ;
Proposer des perspectives de perfectionnement des capacités adaptées au marché de l’emploi et au développement ;
Capitaliser les meilleures approches pour l’institutionnalisation du processus de capacitation des acteurs de la gouvernance.
Pourquoi avez-vous engagé un tel processus ?
Les capacités humaines et institutionnelles restent un maillon faible des efforts de développement de l’Afrique. Le développement durable et la réduction de la pauvreté demeurent hors d’atteinte tant que l’Afrique ne réussira pas à retenir et entretenir les capacités humaines et institutionnelles utiles pour le processus de croissance et de développement. Dès lors, des défis stratégiques se font jour avec le besoin d’y apporter une solution structurelle. C’est en vue de relever ces défis que ce Forum est institué pour faire un état des lieux des approches de renforcement des capacités. Ce diagnostic permet une déconstruction des a priori et des incompréhensions qui entourent le concept et ses pratiques, de faire face aux défis contemporains et contextualisés en partageant des expériences croisées pour en dégager des perspectives.
Il faut noter que le renforcement des capacités est défini comme « le processus par lequel les particuliers, les groupes, les organisations, les institutions et les sociétés accroissent leurs aptitudes à exercer des fonctions essentielles, résoudre des problèmes, définir et remplir des objectifs ; et à comprendre et à gérer leurs besoins en développement dans un contexte global et de manière durable ».
La politique Nationale de Renforcement des Capacités adoptée au Burkina Faso en Janvier 2010 définit aussi le renforcement des capacités comme « un processus par lequel les acteurs du développement économique et social œuvrent à la mise en place d’un environnement social, économique et politique qui permette le développement de leurs aptitudes en vue d’assumer leurs tâches respectives ».
Dimension essentielle du processus de développement, le renforcement des capacités est donc un impératif à la gestion axée sur les résultats, il est essentiel à la performance des acteurs de la gouvernance et à l’efficacité de l’aide. La capacitation définie en sciences sociales par homonymie, renvoie aux concepts de « responsabilisation », « autonomisation » et « empowerment » et peut se définir par référent sociologique comme la prise en charge de l’individu par lui-même, une fois qu’il est « habilité » ou « capacité ».
La 3e édition vient de se tenir à Ouagadougou du 30 juin au 1er juillet 2016 ; quel bilan établissez-vous ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que le thème de cette année était intitulé « Veille citoyenne et imputabilité politique : la valeur ajoutée des TIC ». Dans la lignée des éditions précédentes (depuis 2013), le Forum a posé une problématique contemporaine. Pendant plusieurs décennies en effet, les relations entre technologies de l’information et de la communication (TIC) et démocratie ont été abordées de façon déterministe et spéculative. Il en est maintenant différemment étant donné que le développement du téléphone mobile, du « sms » ou d’Internet a permis de mener des recherches qui sont basées sur des observations empiriques mais étant entendu également que plusieurs initiatives d’utilisation des TIC pour la démocratie ont permis d’en tirer des leçons analysables avec possibilité de mitigation et passage à l’échelle. Les TIC avec les exemples des « situation room électorales », de la « e-gouvernance » ou des « villes connectées » ou encore des « paiements électroniques » etc…ouvrent des fenêtres d’opportunités ; mais quelle est la part du mythe et celle de la réalité ? Les pratiques évoquées permettent-elles aujourd’hui d’en garantir leur perpétuation et leur reproductibilité à l’aune des coûts induits, de l’accessibilité en milieu urbain et rural, de la fiabilité des données secrétées ou encore de la sécurisation des informations produites ?
A l’issue de cette 4è édition du Forum AFRICAPACITES, il convient, selon le rapport général du Forum, de saluer tout d’abord la constance, la vision stratégique et le sens de l’anticipation de Diakonia qui porte le Forum AFRICAPACITES, qui est devenu un rendez-vous incontournable pour la promotion des valeurs démocratiques et des droits humains en Afrique. L’enthousiasme et l’engouement sans cesse croissants que suscite ce forum en Afrique le corroborent avec une rare éloquence. C’est en effet avec un engagement sans faille et un dévouement sincère que l’ensemble des participants à cette rencontre qui fera date dans l’histoire ont apporté leurs contributions pour en assurer le succès, cela dans un esprit constructif, critique mais aussi empreint de convivialité.
Les TIC sont devenus un instrument de construction de la citoyenneté mais aussi de résistance populaire face aux dérives des certains gouvernants encore nostalgiques des régimes autoritaires que les peuples africains ont combattu de hautes luttes. Ainsi, ce processus en cours secrète une nouvelle forme de participation citoyenne qui se caractérise par l’individualisation de l’engagement politique, tout en renforçant les dynamiques organisationnelles et oppositionnelles face aux élites politiques.
AFRICAPACITES est donc à inscrire au nombre des espaces de construction démocratique et de diffusion des idéaux des droits humains en Afrique. Comme le dit le politologue français Guy Hermet, « la démocratie est consolidée lorsqu’elle s’impose comme le régime sans alternative aussi bien pour les élites que pour les citoyens ». AFRICAPACITES contribue assurément à impulser ce processus politique en véhiculant le référentiel démocratique en tant que « vision du monde » et paradigme de régulation des affaires publiques.
Comme l’ont affirmé avec insistance et à l’unanimité tous les participants au forum, AFRICAPACITES doit se perpétuer et ouvrir de nouveaux chantiers de réflexion stratégiques pour rendre irrévocable la dynamique de changement structurel qu’il porte, à savoir faire avancer les peuples vers plus de démocratie, de bonne gouvernance et de droits humains. Cette forte et légitime attente sera sans nul doute comblée, au regard de l’engagement hors pair de Diakonia et de ses partenaires, pour un monde d’égalité et de liberté.
Quelles sont les perspectives d’Africapacités ?
La vision d’AFRICAPACITES, c’est une société civile capacitée et à même de jouer sa partition dans le nécessaire dialogue avec l’Etat et le Secteur Privé. C’est pourquoi, ce Forum offre une place de choix aux organisations de la société civile tout en créant des passerelles de dialogue avec les autres acteurs.
L’objectif final de cette initiative est l’opérationnalisation d’un « Institut » de référence pour le développement des capacités en Afrique et au Burkina Faso en particulier. Par développement des capacités, il faut entendre « les processus par lesquels les individus, les organisations et la collectivité dans son ensemble libèrent, créent, renforcent, adaptent et préservent les capacités au fil des ans ». Il s’agit donc d’une démarche holistique qui ne se confine pas à la formation, aux recyclages, aux séminaires et autres ateliers ou à l’assistance technique, mais qui met en synergie une diversité de méthodes et d’outils permettant d’améliorer les capacités d’analyse, d’être, de faire, de gérer, de renouveler et d’anticiper des acteurs et des institutions.
Cette démarche vise l’amélioration durable de la performance des institutions et des acteurs (capacité à atteindre leurs objectifs, à s’adapter à leur environnement changeant) et prennent en compte trois niveaux interdépendants : la compétence des individus, le fonctionnement de leur organisation et les caractéristiques de leur environnement. Il s’agit de renforcer des compétences, d’améliorer l’organisation du travail, de disposer de nouveaux outils et méthodes, d’ajuster les procédures, de capitaliser et évaluer, de développer les partenariats, de faire la veille stratégique, d’accroître en continu les performances et à les adapter à des environnements de plus en plus évolutifs et exigeants.
Depuis quelques années, Diakonia s’est engagé à fond dans le processus démocratique au Burkina Faso ; quelles sont ses motivations ?
La vision de Diakonia est que les femmes et les hommes vivent dans des conditions dignes à l’abri de la misère, de la violence et de la pauvreté. Sa mission induite est de contribuer à changer les structures politiques, économiques et sociales injustes. Pour ce faire, cinq thématiques sont identifiées : la démocratie, les droits humains, le genre, la prévention des conflits et la résilience. Il est donc évident que le processus démocratique en Afrique, où Diakonia intervient dans 9 pays et dans le monde où nous sommes présents dans une quarantaine de pays, soit une préoccupation majeure. La démocratie est le meilleur monde des droits humains et sa consolidation inclue la justice économique et sociale qui est notre crédo.
Quelle appréciation faites-vous des différentes consultations que nous avons connues au Burkina ?
Les superlatifs rivalisent pour qualifier les élections historiques que nous avons connues en 2015 et 2016. Comme nous l’avons maintes fois souligné, c’était des « élections pas comme les autres » avec des enjeux vitaux. La réussite est au rendez – vous et nous sommes fiers d’avoir avec humilité, mais un engagement constant, contribué à cette démarche collective du peuple burkinabè. Ces élections ouvrent des fenêtres d’opportunités qui nécessitent une solide approche de développement institutionnel et de renforcement organisationnel afin d’utiliser les forces du processus pour en éliminer les faiblesses, mitiger les risques et saisir les opportunités.
Nous assistons aujourd’hui à de nombreux conflits dans la mise en place des conseils municipaux ; comment analysez-vous cela ?
Ces conflits pour la plupart post électoraux sont à déplorer mais doivent être analysés avec le nécessaire recul. Les causes sont plus profondes qu’il n’y paraît et à trop vouloir se hâter, l’on risque de lâcher la proie pour l’ombre en agissant sur les conséquences au détriment des sources causales. Ainsi, un bilan complet permettra certainement de renforcer, avant tout, la culture démocratique en termes de compréhension de la démocratie et de ses pratiques à l’aune des valeurs et des responsabilités qui y sont liées. Cette reculturation améliorera notre vivre – ensemble.
Quel peut l’apport d’institutions comme Diakonia dans la gestion de tels phénomènes ?
Diakonia poursuivra avec l’ensemble de ses partenaires son œuvre pour une citoyenneté active et responsable et continuera son approche proactive pour éviter et prévenir les conflits en identifiant surtout des actions mitigatrices en cas de survenance. La démocratie repose sur un certain nombre de valeurs, d’attitudes et de pratiques qui peuvent prendre différentes formes et expressions selon les cultures et les sociétés du monde : la tolérance, la solidarité, le compromis, l’égalité et l’équité, le respect… Ces valeurs sont aussi celles que l’on retrouve dans la déclaration universelle des droits de l’homme. Il est certain que chaque personne a ses idées, sa manière de voir, des intérêts à défendre et il faut trouver les moyens de vivre ensemble en paix. La démocratie implique donc aussi des discussions, des confrontations, des conflits d’opinion. Le conflit est un processus normal et n’est pas négatif s’il est géré autrement que par la discrimination et la violence.
Dans une démocratie, des convictions divergentes, voire opposées, peuvent coexister du moment que chacun respecte la liberté d’opinion d’autrui. Sur le plan politique, les systèmes démocratiques permettent d’élaborer des compromis les plus équitables possibles, qui sont ensuite acceptés par un vote au parlement ou un vote des citoyennes et citoyens. Le seul fondement qui rend ceci possible, pour éviter la compromission, c’est l’inlassable recours aux valeurs.
Ces valeurs sont d’autant plus cardinales lorsque la démocratie offre la perspective de mettre en œuvre « le pouvoir du peuple par le peuple et pour le peuple ».
Comment appréciez-vous les rôles d’acteurs comme les partis politiques et les OSC dans le renforcement de l’Etat de droit ?
Le Burkina Faso a une opportunité de consolider la démocratie en renforçant le jeu des acteurs. L’Etat, le secteur privé, les partis politiques, les organisations de la société civile, les citoyens individuels ont des rôles mais aussi des responsabilités. Il faut renforcer alors les mécanismes d’imputabilité et de redevabilité par la veille citoyenne. Ainsi, chacun dans son rôle, en vertu de la subsidiarité active, apportera sa pierre à l’édifice.
J’en saisis l’occasion pour reconnaître et saluer le rôle avant-gardiste de la presse et des médias qui ont joué un rôle majeur dans l’avènement des changements en cours et qui maintiennent leur vigilance citoyenne. Parmi eux, une mention spéciale doit être adressée en toute objectivité à Lefaso.net, pionnier de la presse numérique ainsi qu’à son promoteur dont les lauriers régulièrement récoltés, sont amplement mérités.
Comment voyez-vous l’avenir démocratique du Burkina ?
L’avenir, s’il est démocratique comme vous le dîtes, ne pourra qu’être heureux. J’ai la ferme conviction que nous savons d’où nous venons et que nous souhaitons progresser à tous les niveaux vers un meilleur devenir. Je note également qu’il y a une impatience voire des inquiétudes sur là où nous en sommes car la pression sociale est très forte et tout le monde veut le changement tout de suite et maintenant, et de préférence en commençant par ses propres intérêts. Je souhaite enfin que les dirigeants et les élites en général indiquent une vision et une trajectoire cohérente pour parvenir au futur désiré. La prospective et la capacitation seront des adjuvants certains. André Malreaux disait que ce que l’histoire ne pardonne pas aux peuples, c’est de mépriser le rêve. Rêvons donc de ce Burkina Faso réconcilié avec ses valeurs et travaillons toutes et tous à en être les acteurs. L’histoire est en marche et notre trajectoire démocratique sera alors irréversible.
Entretien réalisé par Cyriaque Paré
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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