Que fait la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest par rapport au Mali ? Les chefs d’État se réunissaient très souvent sur le Mali et depuis fin mars, c’est le silence. On a entendu parler de la CEDEAO concernant les coups d’État de Guinée et du Burkina Faso où elle demandait un chronogramme précis de la transition à ces pays.
Mais sur la situation du Mali, la CEDEAO semble être en pause, sinon en panne. Personne ne sait pourquoi le dossier n’évolue pas, plus de quatre mois après les lourdes sanctions prises en réalité contre le peuple malien et les peuples ouest africains. La junte qui était visée par la CEDEAO se porte même mieux et est en passe de n’avoir plus personne pour lui disputer le pouvoir à Bamako.
Ne faut-il pas lever ses sanctions qui ne touchent pas les personnes ciblées ? Avec le coup d’État du Burkina survenu après celui de la Guinée, les sanctions sont-elles encore dissuasives par rapport au fléau putschiste ? La CEDEAO peut-elle sanctionner le Mali et laisser le Burkina et surtout rester impuissante face à la Guinée sur laquelle elle n’a aucune emprise (pas enclavé, possédant son port, et sa monnaie) ? Avec le temps les sanctions touchent de plus en plus aussi les pays des pères fouettards comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Togo pour ne citer que ceux-là.
Continuer dans cette voie des sanctions qui sont contre productives ne contribuera-t-elle pas à affaiblir sinon liquider la CEDEAO ? La CEDEAO a-t-elle pris conscience qu’avec la guerre Russie-Ukraine, les compétitions impérialistes sur le continent s’exacerbent ? Faut-il laisser le Mali s’isoler et tomber comme une mangue mûre dans les bras de la Russie, au lieu de préserver l’idéal panafricaniste qui est à la base de la création de la CEDEAO en levant les sanctions ?
Le 9 janvier 2022, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a adopté de lourdes sanctions contre le Mali, parce que la junte au pouvoir ne pouvait pas respecter la date limite de février 2022 pour les élections visant au retour des civils au pouvoir. Ces sanctions se composaient d’un embargo commercial (sauf sur les produits de première nécessité et les hydrocarbures) et sur les transactions financières. Le gros des sanctions porte sur le gel des comptes du Mali auprès de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest qui coupe le Mali du reste du monde en lui enlevant la passerelle financière par laquelle il agissait.
La Cour de justice de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) a le 24 mars 2022 ordonné la suspension des sanctions de cette institution, mais ni l’UEMOA, ni la CEDEAO n’ont réagi à cette décision. Pourquoi une absence soudaine de proactivité de la CEDEAO alors qu’elle était à la manœuvre toute affaire cessante pour les sanctions ?
Les peuples ouest africains souffrent assez des sanctions du Mali, il est urgent de les lever car elles se sont avérées inopérantes et ne ciblent pas le pouvoir. Du reste le Sénégal est aussi touché par la baisse des recettes douanières enregistrée par ces sanctions. Il semble que le Sénégal ne respecterait pas l’embargo selon certaines informations.
Si la politique des sanctions est maintenue, le Burkina serait le prochain et les ports de Lomé, d’Accra et d’Abidjan devraient aussi connaître des baisses de recettes. Si le Mali est toujours debout, c’est dû à la forte capacité de résilience du peuple malien qui a appris à vivre et à se battre sans compter sur l’État, depuis la dictature de Moussa Traoré. Et le Mali est un don du fleuve Niger (avantage naturel) qui coule toute l’année et arrose le pays sur des milliers de kilomètres.
Les maliens font de la culture irriguée avec les eaux du Niger et le potentiel de terres aménageables pour l’irrigation peut nourrir toute l’Afrique de l’Ouest. Au Mali l’État peut ne pas payer les fonctionnaires, les Maliens vivront, mais au Burkina le pouvoir qui va l’essayer sait ce qui l’attend. Est-ce raisonnable que la CEDEAO impose de telles souffrances aux peuples ? Le pire est que la solution adoptée par la CEDEAO n’empêche pas le mal de s’étendre. Ne serait-il pas temps de réfléchir vraiment à la situation de nos pays confrontés au terrorisme ?
L’existence de la CEDEAO est menacée
Nous sommes tous d’accord que les militaires ne devraient pas abandonner le front de la lutte contre les groupes terroristes pour prendre le pouvoir et empêcher les peuples de choisir librement leurs dirigeants. Si le métier des armes ne leur convient plus, qu’ils laissent les armes du peuple et le treillis pour se lancer dans la bataille électorale à armes égales avec les civils. Cette vérité doit-on l’imposer à n’importe quel prix ? Si les régimes issus d’élections tombent si facilement dans une indifférence générale, la CEDEAO ne devrait-elle pas penser à l’essentiel, la préservation de l’institution ?
La démocratie peut-elle s’imposer par la force et l’embargo alors que les terroristes et les crises économique, sanitaire, humanitaire se sont emparées des pays de la CEDEAO ? Le plus important est de préserver les pays, leur intégrité et par conséquent la CEDEAO et non les élections.
Le Mali est dans une posture de fuite en avant, il faudrait rassurer la junte au pouvoir à Bamako qui vient de se retirer du G5-Sahel, de ne pas faire un autre saut dans l’inconnu en quittant l’UEMOA et la CEDEAO. Si le pays le fait, il serait d’autant plus fragile qu’il se trouverait face à un seul partenaire qui lui dicterait ses conditions. La CEDEAO devrait tout faire pour éviter cela au peuple malien et à l’Afrique de l’Ouest. Ce serait une régression de l’idéal panafricaniste dont notre région est la championne. Essayons de préserver un peu de la mémoire de Kwame N’Krumah et de Modibo Keita.
L’urgence est de rebâtir la CEDEAO car elle est utile aux peuples, pour voyager ne serait-ce que cela déjà. Il faut que les États s’unissent face aux nouveaux défis de la sous-région : le terrorisme et ses conséquences humanitaires et les compétitions impérialistes pour faire main basse sur nos richesses. Si la France a échoué dans nos pays, ce n’est pas une raison pour se jeter dans les bras d’une autre puissance impérialiste russe ou chinoise.
Aucune puissance impérialiste n’aime les peuples, si Poutine était un « petit père des peuples », il ne ferait pas la guerre à l’Ukraine. C’est ne pas se faire confiance que de penser qu’on ne mérite pas l’indépendance et la liberté. Libérons nos pays des groupes terroristes nous-mêmes, c’est ainsi seulement que nous pourrons préserver l’intégrité de nos pays et notre souveraineté. Si c’est les autres (Français, Russes et autres) qui le font nous paierons le prix pour des générations. Nous devons nous organiser pour cette bataille patriotique dans l’union. Laisser le Mali s’isoler inexorablement avec les sanctions, c’est l’affaiblir et le laisser avaler par l’ogre russe.
Sana Guy
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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