Le Management performant : résultat d’un savant, cohérent et ambitieux dosage des valeurs prônées par l’organisation, de la politique des Ressources Humaines (RH) et du vécu quotidien des acteurs, est la caractéristique des entreprises qui prospèrent.

Prosaïquement, l’armée est une organisation structurée d’individus visant à conquérir ou à défendre un territoire.

Mais à la différence des entreprises classiques, l’armée est appelée la grande muette, en raison du secret qui entoure son fonctionnement et ses opérations. Les contraintes psychologiques (dépressions et séquelles traumatiques durables), physiques (pénibilité des missions et possibilité d’handicaps lourds) et vitales (bien souvent au péril de leurs vies), à la hauteur des attentes placées en l’armée sont immensément importantes. En dépit et en pleine conscience de ces contraintes fortes inhérentes à leur métier, les troupes ont une motivation intacte bâtie sur l’honneur et la discipline militaire.

A la défaveur du péril sécuritaire qui frappe les pays de l’Afrique de l’Ouest depuis le printemps arabe et la chute du Président Libyen Mouammar Kadhafi en 2011, les armées de ces pays ont été durement éprouvées, mettant à nues leurs carences et leurs faiblesses. Les forces de défense et de sécurité (FDS) du Burkina n’échappent pas à cette situation.

Les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) en général et les Militaires en particulier sont réputés être rigoureux, ponctuels, adaptables, curieux, attentifs, de bons équipiers, de bons stratèges, de bons exécutants, … : autant de qualités aussi utiles qu’incontournables dans la vie civile et donc recommandées pour le Management d’entreprises civiles prospères. Toutes ces qualités ne peuvent pas avoir disparues simultanément et soudainement ; d’où la pertinence de la question de la place ou de la pratique de l’approche Qualité au sein de nos forces armées ?

Dans un environnement sécuritaire délétère, sinon chaotique, si les missions régaliennes et les valeurs prônées dans l’armée restent inchangées, en revanche les stratégies opératoires appellent à des réadaptations. Cette analyse se propose de diagnostiquer comment le Mangement de la Qualité, sans en révéler le caractère secret de l’armée lui permettrait d’optimiser l’exploitation des ressources dont elle dispose sur ses théâtres d’opérations ?

Les conséquences du terrorisme, traduites par les milliers de morts brutales et cruelles d’innocents, la progression tentaculaire et centripète des zones de non droit, les vagues ininterrompues de Personnes Déplacées Internes (PDI), la pauvreté, la grande vulnérabilité et la misère qu’elle engendre pour non seulement ces PDI, mais aussi pour les populations hôtes impréparées, sont aujourd’hui la réalité angoissante de tous les burkinabè.

Ces images sombres, comme les reflets des faillites de notre armée, nous interpellent. Car si faillite de l’armée il y a, ce n’est point par manque de courage, de bravoure et de sacrifices ultimes. En effet, nos FDS au péril de leurs vies portent haut le flambeau du pays. Si faillite il y a, il faut scruter comment le flambeau est porté, c’est-à-dire les procédures opératoires, le management tout court. Le drame d’Inata corrobore plus que jamais que ce sont nos pratiques de commandements et d’exécutions des missions qu’il faut revoir. Car, autant il est une tautologie que l’issue d’une bataille est plus souvent une défaite ou une victoire, autant il est vrai que la victoire résulte d’un impérieux devoir de travail à ne négliger aucun paramètre de combat.

L’idée n’est pas de réécrire un ouvrage, à enseigner dans les écoles de guerre ; mais bien de redécouvrir quelques leviers par lesquels le Management de Qualité peut s’insérer opportunément dans le commandement armé pour des résultats plus nets et éclatants.

La culture de la Qualité ne s’accommode d’aucun laxisme ; bien au contraire elle requiert une forte exigence de respect strict des Procédures Opérationnelles, avec des moyens de contrôle à toutes les étapes et de propositions de mesures correctives le cas échéant.

Dans ce sens, le système de communication aussi bien interne qu’externe doit être maitrisée et sans équivoques, avec des niveaux de décodage des messages bien hiérarchisés selon les sensibilités des informations canalisées. A ce propos, la circulation dans les réseaux sociaux d’informations stratégiques destinées aux plus hautes autorités de défense et de sécurité, révèle le niveau de décrochage abyssal du système de communication.

En plus de la segmentation de l’information, le traitement diligent de la portée des informations doit obéir à une exigence procédurale s’imposant et engageant tout destinataire de message. L’information est une denrée périssable, non traitée à temps, elle n’est d’aucune utilité.

Le cas d’Inata est un exemple emblématique de la situation ; les messages d’alertes de la troupe auraient été utiles, si les autorités de commandements avaient réagi de manière appropriée dès leurs réceptions. En restant assis sur ces informations, elles ont de fait perdu leur utilité de prévention d’une catastrophe annoncée. Après le massacre de la troupe, leur seule utilité serait peut-être, la situation des responsabilités de ce lourd et glaçant drame.

Le leadership du commandement est aussi interpellé dans le système de management de la qualité : le commandement doit apprendre tous les jours, et de tout le monde. A ce titre, il doit être un auditeur attentif et efficace, utilisant le passé pour planifier l’avenir, aidant chacun à se sentir partie prenante de la solution, restant optimiste et adoptant un comportement positif. En la matière, la communication non verbale du leader ne doit pas trahir ses émotions et envoyer des signaux négatifs aux troupes.

Les responsables militaires ont en outre, la responsabilité de donner un sens aux actions quotidiennes de leur équipe au regard des orientations stratégiques, en mettant en avant les soldats, sous-officiers et officiers militaires qui atteignent leurs objectifs en adhérant aux valeurs de l’entité : le tout à travers le filtre de critères clairement définis (promotion, avancement, décorations rémunération, primes…).

Le Management Opérationnel, entendu comme les décisions prises par la hiérarchie intermédiaire dans la gestion courante de la structure, est donc au cœur de la performance de l’ensemble. La sélection des militaires qui vont le porter doit, en conséquence, être au cœur des préoccupations des chefs militaires et des dirigeants. Inutile de définir la meilleure stratégie si elle n’est pas efficacement relayée sur le terrain !

Pour ce faire, la fonction de cadre de proximité reste un levier de choix que le chef militaire actionnera avec parcimonie. Cette fonction nécessite des individus équilibrés, naturels dans les rapports hiérarchiques, qu’il ne faut pas exposer trop longtemps et qu’il faut savoir disséminer au sein de l’armé afin d’opérer une saine contagion.

L’identification de ces relais actifs, se joue tout d’abord lors du recrutement ou de la formation où il faut pouvoir évaluer le degré de savoir-être collectif et d’équilibre du nouveau recru. Cela passe aussi, par des formations d’adaptation et de renforcement de capacités opérationnelles.

Au final, les responsables militaires devront se comporter en Leader en « capteurs de stress et de la peur et diffuseurs de sérénité et de paix » en développant l’esprit d’équipe, facteur de performance, d’efficacité et de résilience des troupes dans l’adversité .

Cela peut comporter nécessairement des principes clés à respecter à savoir :

 Responsabiliser ses frères d’armes/ sa troupe/ses hommes (insister sur le pourquoi et le quoi, laisser de l’initiative sur le comment) ;

 Cultiver la proximité (sans immixtion dans la vie personnelle) avec ses hommes en allant régulièrement au contact. Concrètement, il s’agit d’éviter le management 100 % courriel/téléphonique en faisant quotidiennement le tour de ses collaborateurs, en ayant autant le réflexe de féliciter -de dire « merci » que de blâmer, en organisant de temps en temps des moments de convivialité… ;

 Jouer la transparence en communiquant et en informant régulièrement, y compris sur ses propres activités, afin d’éviter les rumeurs démobilisatrices ;

 Faire preuve d’un certain enthousiasme ;

 Tâcher de se montrer relativement exemplaire au quotidien à travers une cohérence entre ses discours et ses actes, le souci permanent de l’équité et le fait d’assumer ses propres erreurs.

Pendant trop longtemps, même dans les entreprises, beaucoup ont pensé qu’on ne pouvait pas vraiment concilier performance et épanouissement de la majorité des salariés. Il fallait mettre systématiquement « la pression », se montrer dictateur ou distant pour obtenir des résultats. Grave erreur ! Quels que soient les secteurs, l’armée y compris, les leviers de motivation des individus sont transversaux : une reconnaissance au travail qui passe par un égal respect porté à tous les acteurs, un partage des objectifs à travers le développement de l’esprit d’équipe, beaucoup de communication verticale et horizontale afin d’éviter les rumeurs démobilisatrices, tout comme les dissonances entre les valeurs affichées et vécues.

De nos jours la jeune génération est prête à s’investir, mais elle exige un sens à ses actions. Au Management par les objectifs, il semble urgent d’y ajouter un Management par les valeurs, en replaçant les troupes au centre des préoccupations des dirigeants.

Lors de sa cérémonie de prise de fonction en qualité de Chef d’Etat Major de la Gendarmerie nationale du Burkina Faso, le Lieutenant-Colonel Evrard SOMDA disait à juste titre : « A tous les futurs chefs qui seront bientôt responsabilisés, à tous les gradés de contact, je vous confie un secret que j’ai expérimenté à la tête de l’unité spéciale d’intervention de la gendarmerie nationale : Aimez vos hommes comme vos enfants ou comme vos frères et sœurs ; vous serez épatés par ce qu’ils sont capables de faire pour vous honorer » Les cadres de proximité se présentent donc plus que jamais comme des acteurs pivots d’un système de management vertueux !

Dans cette perspective, le Ministère de la Défense si ça ne l’est déjà, doit se doter d’un centre de Formation en Management de la Qualité à tous les niveaux Opérationnels. Ce Management se décline autour de principes simples :

 Clarté des objectifs et réévaluation régulière,

 Rigueur des procédures de décision et de mise en œuvre,

 Définition des responsabilités, surtout quand elles sont partagées,

 Méthodes efficaces de reporting et

 Évaluation des résultats, transparence des comptes.

Le Général De Gaulle l’avait parfaitement compris quand il écrivait dans ses mémoires de guerre que : « Mettre les moyens en œuvre, c’est-à-dire discerner le but à atteindre grâce à eux, les orienter de façon à y parvenir, les conduire et les coordonner dans leur action, c’est le rôle d’un Leader qui voudrait réussir son Management avec sa troupe » .

Et il ajoutait comme une prémonition, que : « La guerre future sera une guerre de méthodes ». Voilà pourquoi aujourd’hui plus que jamais tous les officiers doivent étudier, préciser, appliquer davantage cette philosophie du commandement sans laquelle on transcende le statut de ‘’chefs » pour devenir des Managers voire des Leaders (Avec un chef, on obéit. Avec un manager, on réfléchit. Avec un leader, on grandit. La principale différence entre Chef et Leader réside dans l’attitude. Alors que le chef est au sommet de la hiérarchie et s’appuie sur elle pour donner des ordres, le Leader communique des idées et participe aux processus)

Selon Confucius, « L’expérience est une bougie qui n’éclaire que celui qui la porte », de ce point de vue, Le retour d’expérience largement développé au sein des armées depuis de nombreuses années, doit désormais se structurer au travers d’unités spéciales particulières selon un processus bien défini. Le Lieutenant-Colonel Evrard SOMDA cité plus haut, dans son discours de prise de fonction de Chef d’Etat Major de la Gendarmerie, comme une exégèse des faiblesses des FDS burkinabè, abonde dans le même sens, lorsqu’il martèle : « Désormais, nous devons systématiser les retours d’expérience en tirant leçons de nos succès et de nos revers sur le théâtre des opérations, afin d’améliorer nos procédures et nos engagements futurs. »

La capitalisation et la gestion efficace des savoirs et leçons apprises d’opérations antérieures est manifestement une exigence vitale pour les troupes, pour l’armée tout entière et pour la Nation.

Du Management des Ressources Humaines…

Le ministère de la Défense devrait, accorder une place importante à la dimension humaine de son organisation. Il ne fait nul doute que l’homme est un élément clé de fonctionnement de toute structure ou organisation. Dès lors, savoir tirer le meilleur de chacun est nécessaire et contribue à faire de l’homme un « outil » majeur du développement de la performance.

La gestion des Ressources Humaines a remplacé la Gestion du Personnel depuis plus d’une décennie dans l’ensemble des armées, directions et services. L’ensemble de ces évolutions ont successivement été intégrées sous l’effet de contraintes externes et internes, mais aussi sur la base d’une réelle volonté à savoir : répondre à l’impératif de modernisation de gestion des hommes en prenant en compte les impératifs accrus d’efficacité et d’efficience.

Le recrutement n’est plus pensé comme un moyen de pourvoir les postes vacants, il satisfait un besoin en compétences.

Mais recruter ne suffit pas, l’armée doit travailler à ce que l’attractivité initiale soit maintenue : savoir responsabiliser, récompenser, gérer les carrières… tous ces éléments ne peuvent plus être négligés, ils sont parties prenantes de la motivation des hommes. Ces principes sont à l’origine d’une véritable gestion des compétences à court et à moyen terme, à partir non plus d’une évaluation sanction, mais une évaluation en tant qu’outil de gestion.

Ainsi, sur la base d’objectifs clairs, mesurables, annuellement définis, il devient possible de détecter les compétences acquises, les axes d’amélioration, de mesurer le degré de motivation… et surtout d’agir positivement sur l’ensemble des personnels.

La formation est un outil majeur. Elle favorise une gestion à la fois collective et individuelle des hommes. Elle participe à la préparation de l’avenir, notamment au travers de l’accompagnement des parcours professionnels types qui fonctionnent sur la base d’une mobilité à la fois fonctionnelle et organique.

À l’outil formation s’ajoute ainsi l’outil mobilité. Mais gérer la carrière des hommes au ministère de la Défense va au-delà du parcours professionnel type. Aujourd’hui, les militaires qui quittent relativement jeunes les fonctions opérationnelles, doivent se voir offrir un véritable accompagnement au retour à la « vie civile ». La reconversion doit être pensée, construite et articuler autour d’un véritable processus et projet de vie.

Le ministère de la défense doit Manager ses ressources humaines. Manager ses hommes, c’est préparer l’avenir et l’avenir du ministère et des individus qui le compose est intimement lié.

En définitive, le Management constitue le cœur de fonctionnement de toute structure. Il peut revêtir des aspects très divers allant du management des organisations au management des connaissances, passant par le management des hommes et le management de la qualité.

Pour viser la prospérité et la pérennité, toute entreprise se doit, aujourd’hui plus que jamais, d’être efficiente. En tant que tel, le management est un gage de reconnaissance externe, par l’image qu’il renvoie aux autres et de reconnaissance interne, par l’émulation et l’adhésion qu’il suscite au travers de ses démarches participatives. De lui et pour lui découlent l’ensemble des moyens nécessaires à la réalisation de l’action.

Les forces de défense et de sécurité, doivent revoir les fondamentaux de leurs managements, dépoussiérés de toutes pratiques qui impactent négativement leurs résultats, leurs rayonnements et leurs prestiges. C’est une exigence vitale car la survie, l’existence même de la nation en dépend.

Dr Bougouma Edith Christiane

Pharm.D, Ph.D. en Santé Publique et Microbiologie

(Certifiée en Management de Qualité – Santé- Hygiène -Sécurité
- Environnement et Gestion des Risques/Gestion des Conflits)

Reference

1. Pour les fins d’instructions pédagogiques dans les écoles de guerre, L’Art de la guerre de SUN TZU et De la guerre, de CARL VON CLAUSEWITZ, font fort bien autorité en la matière.

2. Le management au Ministère de la Défense Ouvrage collectif piloté par le CFMD sous la direction du général Baudouin ALBANEL. Jean-Louis MAY Cours d’organisation et systèmes d’information DSY222 Etudiant en Master recherche en Sciences de gestion Juin 2006

3. E GAULLE Charles, Mémoires de guerre. I : L’appel (1940-1942), Paris, Plon, 1954

4. Vennesson, P. (2004). Idées, politiques de défense et stratégie : enjeux et niveaux d’analyse. Revue française de science politique, 54, 749-760. https://doi.org/10.3917/rfsp.545.0749

Source: LeFaso.net