Ils sont de plus en plus nombreux, ces étudiantes et étudiants, surtout des universités publiques du Burkina, à se lancer dans l’entrepreneuriat. Un domaine qui leur est inconnu pour la plupart, mais qu’ils arrivent à maîtriser grâce à leur courage, leur persévérance et leur détermination. Installé sur l’avenue Charles-de-Gaulle, non loin de l’entrée de l’UFR-SJP et de l’ISSP de l’université Joseph-Ki-Zerbo, l’ancien étudiant en SVT (Sciences de la vie et de la terre) devenu « garbaman » (vendeur d’attiéké) attitré, écoule plus de 200 plats par jour de ce mets très prisé des Burkinabè. Portrait !
Ne dit-on pas que l’homme propose et Dieu dispose ? Ainsi, Dieu a disposé autrement pour Yacouba Ouédraogo dit Socrate. Jeune bachelier en 2012, il avait pour ambition de décrocher une maîtrise en Sciences de la vie et de la terre (SVT) et d’intégrer la fonction publique comme la plupart des étudiants. Mais très vite, le jeune « diaspo » (diminutif du mot « diaspora », surnom donné aux Burkinabè de la diaspora) a dû abandonner ce rêve et faire face à la réalité. Ayant été confronté au chevauchement des années universitaires, à la non-validation de certains semestres et aux difficultés financières, le jeune étudiant en SVT venu de la Lagune Ebrié a été contraint d’abandonner ses études pour tenter sa chance ailleurs.
« Après mon Bac en Côte d’Ivoire, je suis rentré au pays pour poursuivre mes études. A l’université, je me suis inscrit en SVT. Après les semestres 1 et 2, j’ai vu que ça n’allait pas. J’ai donc arrêté. Je voulais entreprendre, mais je n’avais pas les moyens, donc j’ai décidé d’aller travailler dans une société de gardiennage. J’ai fait ce métier pendant deux ans. J’ai économisé un peu d’argent que je voulais investir. Mais je ne savais pas dans quoi investir. En son temps, j’allais manger le garba chez un ami dans un quartier de Ouagadougou, et j’ai trouvé que c’était bien. Je me suis approché de lui pour expliquer mon envie d’entreprendre et il a accepté de m’aider. Je suis donc allé faire un stage d’une semaine auprès de lui et il m’a montré comment le garba se préparait », retrace Yacouba Ouédraogo.
- Yacouba Ouédraogo dit « Socrate », l’étudiant devenu garbaman.
En venant d’Abidjan avec ses rêves en tête, le jeune bachelier qui se voyait déjà fonctionnaire et qui était surnommé « Socrate » depuis le lycée grâce à ses bonnes notes en philosophie, s’est retrouvé dans une situation qu’il n’aurait jamais imaginée. Mais il n’a pas perdu espoir et, grâce à sa détermination, il a pu se frayer un chemin. Durant deux années et à l’insu de ses parents, il a mené des activités de gardiennage. Mais sachant ce qu’il voulait et en vrai philosophe comme son surnom l’indique, il a économisé son argent afin de se lancer dans l’entrepreneuriat. Un domaine qu’il a choisi malgré lui mais qu’il a fini par aimer.
En 2017, il crée son « garbadrome » (lieu de vente d’attiéké) avec un nom évocateur : « Socrate Garba ». Une manière pour lui de garder ce surnom qui lui colle à la peau. Sachant que le garba est beaucoup consommé par les étudiants, l’entrepreneur en herbe à l’époque s’installe non loin de l’université Joseph-Ki-Zerbo, sur l’avenue Charles-de-Gaulle, à l’entrée de l’UFR-SJP (Unité de formation et de recherche en sciences juridiques et politiques) et de l’ISSP (Institut supérieur des sciences de la population).
Courage, persévérance et détermination
Depuis lors, le fils du Yatenga, dans la région Nord du Burkina Faso, gagne sa vie. Il dit même prendre en charge sa famille avec ce que son métier lui rapporte et compte agrandir son business. Si abandonner les études a été un choix difficile en son temps, aujourd’hui, le jeune entrepreneur se dit fier. Avec ses six employés et ses deux restaurants d’attiéké, Socrate vend environ 200 plats de garba par jour, avoue-t-il avec une certaine réserve.
Non sans humour, il confie que son garbadrome est devenu un amphithéâtre, parce que la majorité de ses clients sont des étudiants. Une sorte de pain béni pour le nouvel entrepreneur. La vente se fait sur place et également par livraison en fonction des désirs du client. Avec son sens de l’humour, Socrate passe son temps à taquiner ses clients et à les mettre à l’aise. Cette ambiance conviviale semble les attirer. Ils y viennent aussi à cause des prix qu’ils trouvent très abordables, disent certains d’entre eux. C’est d’ailleurs eux-mêmes qui se chargent de faire la promotion du garba de Socrate de bouche à oreille, entre camarades, selon Yacouba Ouédraogo.
Sayouba Tao, étudiant en licence de biologie, que nous avons rencontré dans la matinée du jeudi 13 janvier 2022 dans le garbadrome, était en train de manger un plat de garba. Il raconte qu’il a découvert le lieu à travers ses camarades. « Et depuis lors, je n’ai plus mangé de garba ailleurs et surtout qu’avec 500 F CFA, j’ai un plat », lance l’amateur de garba, sourire aux lèvres, en continuant de manger son plat avec un appétit manifeste.
- Sayouba Tao, étudiant en 3e année de biologie, client satisfait et admirateur de « Socrate ».
A 10h ce jour, on avait déjà du mal à se frayer un chemin, tant le garbadrome était bondé de monde. Certains mangeaient sur place, et d’autres emportaient. Lassané Sanfo, étudiant en 7e année de médecine et amateur lui aussi de garba, était en train de quitter les lieux quand nous l’avons accosté. Il dit fréquenter le lieu depuis plus de deux ans, parce que le garba est bien fait.
Pour la petite confidence qu’il a acceptée de nous faire, Yacouba Ouédraogo dit avoir débuté son commerce avec un budget de 25 000 F CFA et, aujourd’hui, il encaisse au minimum 100 000 F CFA par jour. Socrate ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Son objectif, dit-il, c’est de mettre en place sa propre poissonnerie qui se spécialiserait dans la vente du poisson thon, très prisé dans le domaine de l’attiéké. L’autre projet du jeune entrepreneur, c’est également d’ouvrir sa propre usine de fabrication d’attiéké sur place, plutôt que d’aller en acheter avec des revendeurs.
Si aujourd’hui l’enfant du Yatenga inspire admiration et envie au sein du milieu estudiantin, son parcours n’a pas été aisé. Mais Socrate montre qu’on n’a pas besoin de beaucoup d’argent pour entreprendre. Selon lui, même avec un peu d’économies, vous pouvez entreprendre, mais cela dépendra de vous-mêmes, parce qu’il faut être courageux, persévérant et patient pour ne pas abandonner très vite.
« Au début, je n’avais pas de client et les voleurs venaient régulièrement casser mon magasin. Quand j’ai commencé, j’ai été cambriolé au moins 19 fois. J’ai voulu même laisser tomber. Mais grâce à Dieu, j’ai pu continuer et aujourd’hui, je rends grâce à Dieu, parce qu’il m’a donné le courage, la persévérance pour que je puisse arriver là où je suis », témoigne-t-il. « Le campus n’est pas la seule voie de réussite, poursuit-il, parce que si tu sais que ça ne va pas, il faut te chercher tôt, car si on avait vite su, aujourd’hui, on était loin ».
« Même pour avoir un prêt, c’est compliqué »
L’autre appel de l’entrepreneur dans le garba est à l’endroit des autorités. Socrate leur demande d’aider les jeunes qui ont la volonté d’entreprendre afin qu’ils puissent mieux s’en sortir. Car, souligne le trentenaire, ceux qui sont déjà dans le domaine ont beaucoup de projets qu’ils n’ont pas de moyens pour les réaliser.
D’après lui, les autorités ne font pas grand-chose pour les jeunes qui veulent entreprendre. « Même pour avoir un prêt, c’est compliqué, il faut avoir le bras long, sinon vous ne pouvez pas avoir le prêt. Nous ne demandons pas trop, il faut qu’elles essaient d’encourager les jeunes qui ont commencé et si les autres voient par exemple que Socrate a commencé et que l’Etat lui a fait un prêt, ils auront le courage eux-aussi de commencer. Aujourd’hui, quand tu pars demander un prêt dans les structures comme le ministère de la Jeunesse, je vous dis si vous ne connaissez pas quelqu’un là-bas, vous n’aurez rien », regrette l’étudiant devenu entrepreneur.
YZ
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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