Le drame de Banlo, dans la commune rurale de Bouroum-Bouroum, défraie la chronique depuis que trois personnes ont été lynchées après un accident de la route qui a coûté la vie à un enfant de 10 ans. Ce drame a mis en lumière une certaine forme de stigmatisation dont la communauté lobi est victime.
Alors que le pays traverse une crise sécuritaire qui endeuille de nombreuses familles, le niveau de l’intolérance à l’égard des autres, de la haine et de la violence multiforme semble gagner du terrain au Burkina. Les valeurs traditionnelles de la tolérance s’effritent, mettant en cause le vivre-ensemble et la cohésion sociale.
Le drame de Yirgou en 2019 (qualifié d’extermination ethnique par certains OSC), l’affrontement entre Koglwéogo et population en mai 2017 dans les villages de Goundi et Thialgo, le lynchage des trois agents du CCVA à Banlo, pour ne citer que ceux-ci tendent à démontrer que la vindicte populaire a remplacé le droit et la justice.
Le drame de Banlo, dans la commune rurale de Bouroum-Bouroum (région du Sud-ouest du Burkina), impliquait un enfant de 10 ans à vélo qui a perdu la vie sur le champ et un véhicule automobile avec trois personnes à bord.
Les occupants du véhicule abandonnent l’engin et se réfugient dans un champ de maïs, selon le témoignage du conseiller villageois de développement (CVD) dudit village. Plus tard, leurs corps seront retrouvés sans vie. Le lendemain, l’oncle de la victime de l’accident déclare être l’auteur du lynchage des trois occupants de la voiture. Une dizaine de personnes seront interpellées par la justice.
Le 30 août, le gouverneur de la région du Sud-ouest, Emmanuel Zongo, entreprend une série de rencontres. Des mesures urgentes sont annoncées. Le lendemain, la mairie de la commune somme les habitants aux abords de la nationale 12 de déguerpir des lieux dans un délai de 96 heures. Sur ses comptes Facebook et Twitter, le chef de l’État, Roch Marc Christian Kaboré, condamne l’acte.
Pendant que la justice poursuit les enquêtes, les organisations de la société civile marchent pacifiquement à Gaoua pour dénoncer le lynchage à Banlo qu’ils qualifient « d’acte barbare ».
Le lynchage, pas le propre du Lobi
Depuis les premières heures du drame, des internautes ne cessent de condamner l’acte commis à Banlo. Selon certains d’entre eux, les accidents sont fréquents dans cette zone et les vindictes populaires le sont tout autant. « Si tu cognes accidentellement un poulet dans cette zone, il vaut mieux fuir. Sinon, si la population t’attrape, tu es mort », assure par exemple un internaute. « Une fois, de passage dans la région, j’ai heurté un bœuf dans un village. L’animal n’était pas très blessé. Mais quand je suis descendu de la voiture pour évaluer les dégâts, un boutiquier, qui observait la scène, m’a conseillé de fuir avant que le propriétaire de l’animal ne me voit », clame un autre.
Il y en a même qui vont plus loin, balançant des accusations à caractère discriminatoire, qualifiant le lynchage dans cette zone « d’actes culturels de vengeance. »
Sur la question, le maire de Bouroum-Bouroum, natif de la région, confie ne pas avoir connaissance de cette pratique culturelle chez les Lobi. « Sous le choc, certaines personnes peuvent réagir de façon démesurée. Mais dire que ce comportement est culturel est aussi exagéré. Je n’ai pas connaissance de cette culture de vengeance ancrée dans le Lobi ». et Momo Koko ajoute : « Au contraire, le Lobi est accueillant, il aime et accepte l’étranger. Les actes de vandalisme, les lynchages ne sont pas le propre du Lobi ».
Quant à Fiacre Kambou, un des députés de la province du Poni, il s’inscrit également en faux. D’après lui, « aucune statistique ne peut prouver et attester que des accidents au niveau de la région du Sud-ouest ont été gérés tels que celui de Banlo. Et c’est vraiment passer à côté que de dire que c’est une pratique dans la région du Sud-ouest. »
Manque de confiance en la justice ?
Au Burkina Faso, les cas de violation des droits humains sont nombreux. Ils se traduisent par des vindictes populaires, des lynchages, des détentions illégales par des groupes d’auto-défense… L’on pourrait penser à « un sentiment d’insécurité et de défiance envers la justice », avance un rapport de 2018 du Centre d’information et de formation en matière de formation en droits humains en Afrique (CIFDHA) et un collectif d’ONG.
Les populations semblent préférer la justice privée et expéditive. Et même si les lynchages publics surviennent pour des raisons de colère, il faut reconnaître que la justice privée est interdite. Comme le stipule l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Dans un Etat de droit comme le Burkina, il faut toujours s’en remettre à la justice.
- Fiacre Kambou, député de la province du Poni
On peut se demander si le problème ne relève pas souvent de l’ignorance ou de l’éducation. Si tel est le cas, il urge, comme le recommande le CIFDHA, de « mener des campagnes de sensibilisation sur l’illégalité de la justice expéditive et populaire et sur la responsabilité pénale des auteurs. »
Les cas de stigmatisation de communautés sont aussi légion et semblent même être partis à la hausse depuis l’apparition et l’amplification du terrorisme ; les peuhls étant les plus touchés, en témoigne le drame de Yirgou, où des dizaines de membres de cette communauté, soupçonnés de connivence avec des terroristes, ont été massacrés.
Le Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) a vu le jour à la suite de ce drame. Le 6 octobre 2020, dans une déclaration, le CISC attire « l’attention du gouvernement, des amis et partenaires du Burkina, des organisations de défense des droits humains, des médias et la classe intellectuelle sincère sur les faits de stigmatisation graves sur des populations peuhles à bord des véhicules de transport en commun dans les principales régions en proie à l’insécurité ».
Selon le rapport d’Amnesty international 2020-2021 sur la situation des droits humains dans le monde, au Burkina Faso « des affrontements entre groupes armés ont éclaté régulièrement et la population civile a subi des attaques, souvent sous-tendues par des considérations ethniques et susceptibles de s’apparenter à des crimes de guerre. »
Au-delà de la crise sécuritaire, le Burkina Faso traverse une crise de coexistence. Il convient de cultiver et de promouvoir le savoir-être, la justice et la paix, le respect mutuel dans la différence, la solidarité et l’entraide, le dialogue social, l’égalité et l’équité, le respect de la dignité humaine et de l’intégrité. Par ailleurs, la parenté à plaisanterie est une richesse endogène qui peut contribuer à la cohésion sociale au « pays des hommes intègres ».
Yidalawala Isaac Ki-Zerbo (Stagiaire)
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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