Se qualifiant de « citoyen lambda », Winsoma JC Somda, l’auteur de ces lignes, adresse une requête au président et au procureur du Tribunal militaire devant lequel doit s’ouvrir, en octobre 2021, le procès de l’assassinat du président Thomas Sankara. Il souhaite que ce procès soit équilibré et à double sens : il doit d’abord offrir aux témoins à charge, la possibilité d’être auditionnés. Il doit ensuite permettre à tous ceux dont le cœur reste meurtri par le silence entourant tous les crimes de sang non élucidés et commis sous le CNR de s’exprimer publiquement et de formuler librement leurs griefs éventuels incriminant la personne du président assassiné.

Aux honorables Président et Procureur du Tribunal militaire

Objet : Affaire assassinat du Président Thomas SANKARA

Me référant à la parution dans le journal en ligne Lefaso.net du communiqué du parquet du Procureur Militaire en date du 17 août 2021 informant l’opinion de l’ouverture du procès de l’assassinat du Président Thomas SANKARA et de ses douze compagnons le 11 octobre 2021, je voudrais vous soumettre la présente requête avec l’espoir qu’elle rentre dans le champ de compétence du Tribunal Militaire, qu’elle relève de son pouvoir de décision et soit compatible avec les contraintes de temps et de ressources de celui-ci.

Vivement que ce procès de l’assassinat du Président Thomas SANKARA puisse se dérouler comme un procès équilibré et à double sens, c’est à dire :

 offrant la possibilité pour des témoins à charge d’être auditionnés ;

 ouvrant droit à tous ceux dont le cœur reste meurtri par le silence entourant tous les crimes de sang non élucidés et commis sous le système nébuleux du CNR de s’exprimer publiquement et de formuler librement leurs griefs éventuels incriminant la personne du président assassiné.

Pourquoi une telle requête ?

Elle se fonde sur le principe de l’égalité des droits et des devoirs des citoyens, les plus illustres comme les plus anonymes, ceux exemplaires comme ceux vils à leurs propres yeux.

Elle répond aux critiques de tous ceux pour qui aucune vie humaine n’en vaut plus qu’une autre.

Elle est certainement conforme aux valeurs et convictions du président assassiné qui ne s’autorisait pas de passe-droit pour lui-même ni pour ses proches.

Lui qui n’a pas reculé devant le sacrilège outrageant pour ses prédécesseurs de les traduire en justice pourrait-il être dispensé de s’aligner comme eux pour rendre compte de sa gestion du pouvoir ?

Assurément non, il doit en répondre par raison d’amour et de respect du peuple qui a droit à connaître la vérité sur sa gouvernance de la sécurité, même si tout le monde s’accorde sur son intégrité en matière d’argent. Accomplir cette quête de vérité et de justice mettrait fin au supplice de sa famille et apaiserait les cœurs de tous ses admirateurs et partisans qui aspirent à le voir réhabilité. Car, opérer dans les esprits la mutation d’une opinion populaire favorable en sanction judiciaire vaut plus, et de loin, que l’octroi spécieux du titre de héros national initié par son présumé assassin.

Comment y procéder ?

Un appel à témoins à charge contre Thomas SANKARA pourrait être lancé en référence aux déclarations publiques du journaliste Issiaka LINGANI. Lors d’une récente émission de « Presse échos » du 8/8/21 de BF1, il affirmait détenir des éléments concrets et être prêt à citer des témoins vivants de cas réels de nombreuses tentatives d’assassinat de Blaise COMPAORE par Thomas SANKARA.

Ces révélations, ainsi que les preuves du supposé complot éventé du 15 octobre 1987 à 20h ayant motivé son anticipation par des éléments de la garde rapprochée du principal accusé dans cette affaire, pourraient lui faire reconnaître le droit de légitime défense et ainsi corriger la tournure du procès.

Nonobstant l’acte déjà posé le 30 mars 2001 par le président Blaise COMPAORE, au nom de la continuité de l’Etat (et les sept mesures d’accompagnement y relatifs) en ces termes : « … nous demandons pardon et exprimons nos profonds regrets pour les tortures, les crimes, les injustices, les brimades et tous les autres torts commis sur des Burkinabè par d’autres Burkinabè, agissant au nom et sous le couvert de l’Etat, de 1960 à nos jours », et concomitamment au jugement de l’assassinat, tous ceux qui nourrissent de fortes présomptions de culpabilité personnelle contre le président défunt concernant la fin de vie de leurs proches dans des conditions extra judiciaires devraient pouvoir déposer contre lui et formuler leurs doléances éventuelles à l’endroit des ayants cause.

Il importe, en effet, que les familles de victimes de violence en politique du fait du défunt président se voient faciliter à leur tour la célébration du deuil des leurs.

Que peut-il en résulter ?

L’image de notre justice dont l’indépendance, la dépolitisation et l’impartialité sont de fortes attentes citoyennes de toujours s’en trouvera revalorisée. Organiser avec succès un tel procès, de surcroît après l’ère des juges acquis, serait une grande avancée pour notre Nation en soif de réconciliation entre le peuple et sa Justice. Son coût, certes plus élevé, sera moindre que celui de deux procès disjoints de Thomas SANKARA comme victime puis comme auteur de crimes de sang.

Le réussir permettrait de panser les douloureuses fractures sociales aux causes multiples, aux racines profondes, aux conséquences incalculables qui plombent toutes nos stratégies opportunistes de réconciliation nationale. Quel que soit le verdict qui en sera rendu, que nul ne prenne le risque de saboter la portée pédagogique de cette démarche dont des leçons seront tirées pour le traitement équitable et accéléré des autres dossiers en souffrance du régime du CNR, puis de la longue ère du président Blaise COMPAORE durant laquelle certains se vantaient de pouvoir ôter des vies innocentes en toute impunité.

Qui sait si, dans le cadre d’un bilan des crimes de sang enregistrés sous le CNR, le phénomène imprévisible observé lors du TPR du Président LAMIZANA ne va pas se reproduire en faveur du bouc émissaire qu’incarne Thomas SANKARA !

En soutien au premier accusé des TPR qui déclarait avec sincérité : « Je n’ai pas volé un franc », des témoins par centaines se sont manifestés pour reconnaître avoir bénéficié de sa générosité pleine d’humanisme et de compassion dans des situations difficiles. Il en sortit totalement acquitté et grandi, même aux yeux de ses ennemis.

Thomas SANKARA ne sera pas présent physiquement à ce procès, il ne pourra donc pas plaider pour lui-même : « Voici mes mains, dites de quel sang innocent elles sont tachées », pour paraphraser l’intrépide Black So Man. Le principal accusé ne sera pas présent non plus, sauf tremblement de terre à Cocody ou miraculeux sursaut de dignité patriotique pour le décider à rentrer de son exil volontaire.

Seuls leurs affidés respectifs pourraient, dans le cas de l’élargissement proposé du procès annoncé, aider à la manifestation de la vérité. Leur honnêteté et leur loyauté seront déterminantes pour poser un diagnostic national fiable de la vertu d’intégrité des Burkinabè d’aujourd’hui. Nous verrions tous qui nous étions, qui nous sommes devenus, pour enfin choisir qui nous décidons d’être. Puisse ce miroir nous interpeler chacun mieux que les diverses instances de recours que nous avons expérimentées depuis le Conseil des sages sans y adhérer du fond du cœur.

Oui, comme l’affirmait avec justesse le président de cette institution, Mgr Anselme SANOU : « Nous sommes tous coupables pour ce que nous n’avons pas fait, mal fait, omis de faire ou laissé faire. Responsables, intellectuels, chefs coutumiers, communautés religieuses, qu’avons-nous fait pour être utiles ou nuisibles pour ce pays ? Combien de personnes au pouvoir comme à l’opposition, n’ont pas contribué à tuer, à spolier, à exiler, à juger et condamner, à réduire à la misère morale et matérielle d’honnêtes concitoyens et leurs familles dans ce pays ? »

Veuillez agréer, Honorables Président et Procureur Militaire du Tribunal militaire, les assurances anticipées de ma déférente gratitude.

MWINSOMA JC SOMDA.

Source: LeFaso.net