La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest s’est réunie à Accra, au Ghana, pour son 59e sommet ordinaire des chefs d’État, ce mois de juin. Que peut-on retenir de cette réunion comme solution concrète apportée aux problèmes de la sous-région ? La CEDEAO considère-t-elle le terrorisme comme un conflit qui menace la sous-région ? Pourquoi la sous-région qui comprend la première puissance économique du continent, le Nigéria, et qui détient plus de 35% des milliardaires en dollars du continent, provenant du Nigéria en majorité et du Ghana, n’arrive pas à s’attaquer à ses problèmes économiques et à l’insécurité ?

Voilà quarante-six ans qu’est née la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest, à l’initiative de deux dictateurs qui ne régnaient pas sur leurs pays avec douceur : les généraux Yakubu Gowon du Nigéria et Gnassingbé Eyadéma du Togo. Lancée le 28 mai 1975, l’idée de la CEDEAO a été proposée trois ans plus tôt par ces deux présidents. Si les résultats économiques ne sont pas encore au rendez-vous, les chantiers sont immenses et celui qui fait le plus parler est celui de la monnaie unique, dont la mise en place est sans cesse repoussée par les protagonistes.

La monnaie unique encore repoussée à plus tard

L’histoire de cette monnaie unique de la CEDEAO, l’Eco, a été marquée par une agression française le 21 décembre 2019 à Abidjan par l’annonce du remplacement du franc CFA par l’Eco, qui sera arrimé toujours à l’Euro. Annonce faite par les présidents français et ivoirien Emmanuel Macron et Alassane Ouattara. Les réformettes du franc CFA comme la possibilité pour les États de l’UEMOA de ne pas déposer la totalité de leurs réserves au Trésor français, ne justifient pas ce holdup up sur l’Eco qui est une monnaie commune aux 15 États de la CEDEAO, pas aux 8 de l’UEMOA.

C’est une monnaie au taux de change fluctuant, une monnaie souveraine qui ne dépend pas d’une tutelle extérieure. La France a réussi à semer la zizanie dans le bloc économique sur la question de la monnaie et les pays ouest africains ne regardaient plus dans la même direction.

En se basant sur un des chefs d’État de l’UEMOA adepte de la servilité volontaire comme le dirait Kako Nubukpo, la France a fait retarder le processus. Le dernier sommet a repoussé, compte tenu de la pandémie du Covid -19, la date de lancement de l’Eco à 2027 et mis en place une nouvelle feuille de route et un nouveau pacte de convergence pour la période 2022 et 2026. Les pays de la CEDEAO devraient, à terme, avoir « un déficit en dessous de 3% du PIB, une inflation en dessous de 10% et une dette inférieure à 70% du PIB ».

C’est la deuxième fois que l’Eco est reporté, et ce serait un miracle si dans sept ans il n’y a pas un autre report, car aucun pays ne remplit tous les critères. Seulement quatre pays remplissent certains des critères. La volonté existe-t-elle vraiment ? Même pour les cotisations, il n’y aurait que cinq pays à jour de leurs cotisations. Les pays paient leurs cotisations quand un de leurs ressortissants brigue un poste important dans l’organisation.

Babangida à l’origine de l’ECOMOG

Même si la CEDEAO a pour objectif l’économie, elle a par le passé réussi à s’impliquer au plan diplomatique et militaire dans la gestion des conflits de la région. En mai 1990, sous l’impulsion du général Ibrahim Babangida, la CEDEAO a mobilisé des troupes militaires provenant du Nigéria, du Ghana, de la Sierra Léone, de la Gambie, de la Guinée, du Sénégal et du Mali et qui empêchèrent le NPFL de Charles Taylor de prendre la capitale Monrovia, alors qu’il contrôlait 90% du territoire libérien. Le cleptomane Babangida a eu du leadership et l’esprit d’oser lutter. Malgré ses défauts, il a montré de la compassion pour les populations meurtries du Libéria.

Les chefs d’État actuels de la CEDEAO, notamment le président Muhamadu Buhari qui a été renversé par Babangida en 1985, n’ont pas cette force de persuasion dans la lutte contre le terrorisme. Le Mali a demandé à la CEDEAO depuis septembre 2012, un appui « dans le cadre du recouvrement des territoires occupés du Nord et la lutte contre le terrorisme ». Et lors du sommet de Ouagadougou en septembre 2019, les quinze États de la CEDEAO, auxquels se sont joints le Tchad, la Mauritanie et le Cameroun, ont décidé de rassembler la somme d’un milliard de dollars, soit 500 milliards de francs CFA, pour lutter contre le terrorisme.

Mais on ne voit pas le début d’un engagement de l’organisation ouest africaine dans la bataille contre le terrorisme qui s’étend de plus en plus aux pays au bord de l’Atlantique. Les quinze chefs d’État actuels devraient avoir plus de charisme et de leadership. Face aux difficultés des peuples ouest africains, on demande plus au plus fort, le Nigéria, avec ses plus de deux cent millions d’habitants, au plus puissant et au plus riche, toujours le Nigéria qui est la première puissance économique du continent africain, devant l’Afrique du sud et l’Égypte.

Parce que, dit-on, la puissance et la richesse demandent à celui qui les possède plus de responsabilités. L’actuel président du Nigéria devrait s’inspirer de certaines actions des anciens présidents et s’ouvrir aux problèmes de la région, même si ceux du Nigéria sont aussi nombreux avec entre autres le terrorisme de Boko Haram.

Le passé nous enseigne que la CEDEAO a fortement contribué à libérer le Libéria et la Sierra Léone des mains de Charles Taylor et de Foday Sankoh. Depuis 1980, il n’y a pas de visas entre les pays de la CEDEAO, aucune organisation régionale avant la CEDEAO ne l’avait fait, l’Union européenne a suivi seulement en 2005. En se mettant ensemble et en faisant preuve de solidarité, on peut vaincre les terroristes et tracer le chemin de la prospérité pour les peuples.

La SADC nous donne l’exemple avec la mobilisation des troupes pour soutenir le Mozambique. Si on avait fait pareil en 2012 pour le Mali, peut-être que le Niger et le Burkina auraient été épargnés et que l’on ne parlerait pas d’attaques terroristes en Côte d’Ivoire. Mais il n’est jamais tard pour bien faire.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net