Un dozo tué à domicile dans la commune de Di et un autre tombé lors d’une embuscade tendue par des assaillants à Kain. Sans oublier la double attaque dans le centre nord qui a fait 29 morts et celle de Koutougou qui a coûté la vie à 24 soldats. « Trop, c’est trop », dira Maitre Drabo Yacouba dit « Le Bonck », président de l’Union panafricaine de la confrérie des Dozos sans frontière du Burkina. Que renferment ces propos ? Quelles pistes de solutions pour lutter efficacement contre le terrorisme ? Des questions que nous avons posées à Maitre Drabo, le mardi 10 septembre 2019 à Ouagadougou.
Lefaso.net : Votre confrérie a été touchée par l’assassinat d’un chef dozo dans le village de Di, le vendredi dernier. Quelle est la situation actuelle dans la localité ?
Effectivement, nous avons perdu notre frère Mandé Douôtchè dans la commune de Di dans la province du Sourou (Région de la Boucle du Mouhoun). La nuit dernière (vendredi 6 septembre 2019, ndlr), aux environs de 22h, il y a des hommes armés qui sont allés à son domicile. Et devant sa famille, ils l’ont assassiné. C’est très choquant. Ce dozo est un homme très respecté au sein de la confrérie. Il a été aussi utile pour la Nation dans le cadre de la lutte contre le grand banditisme. Et il a également joué un rôle important au sein de la police de proximité.
Ce n’est pas la première fois que la grande famille des dozos est attaquée depuis le début de cette crise sécuritaire. D’ailleurs, alors que nous pleurons le décès de Mandé, dans la soirée du 8 septembre, aux environs de 16h, une autre attaque a eu lieu. Un affrontement entre dozos et terroristes dans la province du Yatenga, précisément dans le département de Kain, situé à une quinzaine de kilomètres de la frontière du Mali. Six dozos, en voulant regagner un village, ont été attaqués en pleine brousse par une vingtaine d’individus. Cela n’a pas été du tout facile car le combat a duré plus de deux heures. Au finish, nous avons perdu un dozo et nous avons évacué d’urgence un blessé grave sur Ouahigouya. Côté ennemi, quatre assaillants sont tombés et plusieurs ont été blessés. Le meneur des terroristes est tombé et les dozos ont pu empêcher les autres d’emporter son corps. En général, ils ramènent les corps de leurs camarades mais cette fois-ci ils n’ont pas réussi à le faire. Et je peux même vous montrer les images du corps de leur chef (Nous avons choisi de ne pas les diffuser, ndlr). Ils ont également abandonné du matériel et nous, nous avons perdu des motos dans ce combat.
Lefaso.net : Ne craignez-vous pas un retour en force de ces terroristes pour se venger des membres de la confrérie ?
Pour quelles raisons continuent-ils de nous tuer ? Quand vous les craignez et que vous fuyez, ils vous poursuivent. Que vous les craignez ou pas, ils n’épargnent personne. Nous avons suivi une formation sur la police de proximité où nous avons toujours sensibilisé nos membres à collaborer avec les autorités et les forces de défense et de sécurité. On ne peut pas dire que tout le monde est honnête mais quand je sors pour défendre un dozo, cela veut dire que c’est un de nos membres et que je le connais. Si je n’ai pas confiance en quelqu’un, je ne me mêlerai pas de ce qui ne me regarde pas.
Il est temps de nous lever et de nous donner la main. Nous devons nous rendre compte que les autorités et les FDS ne peuvent pas à elles seules protéger le Burkina. Il ne faut pas qu’on se dise que c’est la cause d’un tel ou que les terroristes veulent un tel ou un tel. Ils veulent tout le monde. Ils ne trient pas leurs victimes. Ils s’en prennent à tout le monde et il est donc temps pour nous tous de nous lever.
Lefaso.net : Dans une de vos publications sur Facebook vous écriviez ceci : « Nous n’allons pas lapider le margouillat et laisser l’arbre, car c’est derrière l’arbre que se cache le margouillat ». A quoi faites-vous allusion ?
Quand nous parlons de l’arbre derrière lequel se cache le margouillat, nous voulons juste dire que nous savons que ces hommes armés ne peuvent pas agir sans complices. Prenons le cas de Di. Le chef dozo est revenu d’un voyage de la Côte-d’Ivoire. Comment les bandits ont-ils su qu’il est de retour au point de traverser tout le village sans se renseigner pour aller l’abattre dans son domicile sans complices ?
C’est dans le trou de l’arbre que le margouillat trouve refuge. Il y a des gens qui hébergent ces personnes-là en oubliant qu’elles seront également leurs proies. L’arbre, c’est ceux qui sont conscients et complices et qui donnent tous les renseignements aux terroristes.
Lefaso.net : Les connaissez-vous ?
Nous n’avons pas besoin de les connaitre parce que si nous les connaissions, nous n’allions pas les laisser. Mais nous les interpellons, nous les mettons en garde. Qu’ils arrêtent car le pays nous appartient tous.
Peu importe les actions des dozos, nous sommes soumis aux autorités. Nous n’allons pas poser des actes qui vont à l’encontre des lois. Nous lançons un appel aux autorités pour leur dire que nous sommes ciblés. Il faut se poser la question de savoir pourquoi c’est le cas. Notre initiation ne nous permet pas de détruire, de faire la violence et de tuer. Et si aujourd’hui les terroristes s’en prennent à nous, c’est que quelque part, c’est parce que nous sommes en train d’accompagner l’autorité.
Je demande aux dozos de ne pas baisser les bras. Quand un homme, avec un fusil de calibre 12, arrive à tenir tête à des terroristes, c’est dire que pour vaincre l’ennemi, il faut du courage, de la volonté et de l’engagement ferme. Il faut que le Burkinabè commence par là.
Lefaso.net : Insinuez-vous que nos forces de défense et de sécurité manquent de courage ?
Non ! Il n’y a pas que nos forces de défense et de sécurité. Il y a aussi la population. Quand vous voyez les bandits et que vous refusez de collaborer avec les FDS parce que vous avez peur, sachez que même si vous ne les dénoncez pas, vous ne serez pas épargnés. La plus grande arme pour affronter l’ennemi, c’est le courage. Vous pouvez prendre un char pour aller en guerre, mais si vous n’êtes pas courageux, vous fuirez à la vue d’une perdrix. Notre meilleure arme, c’est d’être franc les uns envers les autres. Tous ceux qui luttent contre ce fléau doivent d’abord s’entendre, se donner la main, se respecter, se pardonner pour qu’on puisse sortir de cette crise.
Lefaso.net : Toujours dans votre publication sur Facebook, vous disiez, je cite « trop, c’est trop. Il est temps pour nous d’agir ». Pourquoi est-ce après l’assassinat d’un des vôtres que vous pensez qu’il est temps d’agir ?
Ce n’est pas par rapport à l’assassinat de notre frère que nous disons que trop c’est trop. A chaque fois qu’un dozo tombe, je parle. A chaque fois que c’est un militaire, je me déplace. Quelle que soit la région, je vais dans la localité pour soutenir les corps militaires et paramilitaires. Tout le monde est égal à mes yeux.
Nous voulons lancer un appel aux autorités de penser au cas des dozos. Nous avons toujours tendu la main. Nous sommes disponibles à les accompagner. Quand nous disons que trop c’est trop, c’est parce que la situation ne fait que s’aggraver. La semaine dernière, combien de personnes ont été tuées ? La grand-mère de Chaka Zoulou lui a dit ceci : « Désormais, on va rendre des coups ». Nous avons assez encaissé.
Je lance un appel aux dozos qui arriveront à saisir des armes ou du matériel chez les bandits, qu’ils les remettent aux autorités les plus proches.
Lire aussi : Burkina : Quatre terroristes tués dans un affrontement avec des Dozos
Lefaso.net : Pour finir quelles sont les pistes de solution de la confrérie des dozos pour lutter contre le terrorisme ?
On ne peut pas tout dévoiler ici. Si on vous donne les solutions, ça ne sera plus un secret. Ce n’est pas une seule personne qui peut trouver une solution. Nous demandons aux autorités d’inviter les personnes ressources, les chefs coutumiers, les religieux afin d’échanger. C’est en cela que nous pourrons murir les idées et trouver une porte de sortie. Chacun doit s’y mettre. Le Burkinabè est un battant. Souvent la solution se trouve à la base. Mais quand on ignore cette base au niveau village et qu’on veut tout résoudre par la force des armes, on n’y arrive pas.
Pourquoi demande-t-on aux terroristes d’arrêter ? Prenez une femme et un enfant. Si vous les terrorisez, ils auront peur. Quand ils vous voient venir, ils tremblent. Mais si vous exagérez, ils peuvent devenir plus dangereux que vous. Quand on va au-delà de la peur, on devient un cabri mort. Quand vous verrez cette femme et cet enfant avec des armes en pleine guerre, cela voudra dire qu’ils sont allés au-delà de la peur. Ceux qui pensent qu’ils peuvent continuer à nous tuer, qu’ils sachent qu’un jour les populations prendront des gourdins, des bois, des machettes pour résoudre le problème.
Si vous doutez d’un membre de votre famille, si vous voyez qu’il a des comportements bizarres, il faut l’avertir ou le dénoncer. Si vous restez les bras croisés, le jour où on viendra le tuer et que vous sortez dire qu’on a tué votre parent parce qu’il est X ou Y, je dis non. Mieux vaut prévenir que guérir. Que personne ne soit surpris. Tu sais ce qu’il fait, tu es au courant de ses va-et-vient mais tu ne dis rien. Et le jour où on le tue, tu sors pour te plaindre en disant que c’est un règlement de comptes. Qui peut dire qu’il n’a pas perdu un proche depuis le début de cette crise ? Pourtant, ça ne fait que commencer.
HFB
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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