L’ambassadrice de Cuba au Burkina Faso, Ana Maria Chongo Torreblanca, dans une interview accordée à la rédaction des éditions Lefaso.net, le 13 août 2019, à l’occasion du 93e anniversaire de la naissance de Fidel Castro, a livré sans langue de bois ses analyses sur l’évolution des relations entre Cuba et le pays des hommes intègres, l’ouverture de Cuba au monde et l’embargo américain contre l’île.
Lefaso.net : Comment va Cuba aujourd’hui, après le décès de Fidel Castro, l’arrivée de Raoul Castro au pouvoir et le blocus des Etats-Unis ?
Ana Maria Chongo Torreblanca : Il faut dire que le processus de la révolution a eu à son actif beaucoup de transformations sociales qui continuent leur cours. Après Fidel Castro, avec Raoul Castro qui est un homme très humble, nous sommes dans la continuité du processus de la révolution. En plus, il faut dire qu’il ne s’agit pas ici d’un président qui fait quoi que ce soit, mais c’est le peuple cubain qui a participé à la lutte révolutionnaire depuis la première guerre d’indépendance qui a débuté dans l’Est de Cuba, le 10 octobre 1868, sans repos jusqu’au triomphe définitif de la révolution le 1er janvier 1959.
C’est pour ça que nous disons que les Etats-Unis se trompent. Fidel Castro et Raoul Castro ont juste préparé le peuple cubain. Je vais vous dire une chose : pendant la visite du président Obama, il nous a demandé d’oublier l’histoire. Mais les Cubains ne peuvent pas oublier l’histoire, parce qu’un peuple sans histoire, n’est qu’un peuple vide. C’est en référence à cette histoire que nous disons que ce ne sont pas seulement les personnalités qui décident pour Cuba, mais nous avions un peuple très préparé à la révolution, un peuple qui a juste marché sous la direction de Fidel Castro.
Quelles étaient vos attentes en venant au Burkina Faso pour assumer vos fonctions de diplomate ?
C’est de continuer ce que mes prédécesseurs ont fait. Il s’agit de relations historiques qui ne cessent d’être développées entre deux peuples, deux pays. J’attends donc de pouvoir contribuer, notamment dans le domaine de la santé ; pas seulement développer les hôpitaux régionaux, mais aussi pour la formation des médecins. Nous sommes très contents de voir que les Cubains qui sont venus ici ont pu aider le Burkina et aussi renforcer leurs expériences. De plus, nous voudrions appuyer le domaine sportif.
Le sport est devenu une tradition que Castro à instaurer à Cuba. Nous avons aussi octroyé des bourses à des jeunes burkinabè. Nous ne pouvons pas donner de l’argent parce que nous sommes un pays pas très riche ; et en plus, nous sommes soumis à un blocus. Mais nous partageons ce que nous avons dans le domaine humain : la santé, l’éducation, le sport. Nous avons des projets pour appuyer aussi la culture et la coopération interparlementaire. Je sais que le président de l’Assemblée nationale de Cuba a envoyé une invitation au président de l’Assemblée nationale burkinabè pour visiter Cuba.
Ce sera le lieu pour développer pas seulement la coopération parlementaire, mais aussi la coopération dans d’autres domaines au bénéfice des deux pays. Nous voudrions apporter plus de soutien au Burkina Faso, surtout financier, mais le blocus imposé par les Etats-Unis contre Cuba depuis 1962 affecte notre capacité économique, commerciale et financière.
Les dernières mesures imposées par l’administration étasunienne enferment Cuba dans un carcan financier, en imposant des mécanismes de surveillance et contrôle aux activités bancaires internationales de Cuba et, depuis quelques années, en infligeant des amendes de plusieurs millions de dollars aux banques étrangères.
Que vous reste-t-il en mémoire quand on évoque la coopération entre Cuba et le Burkina Faso au temps de l’amitié entre Thomas Sankara et Fidel Castro, entre 1983-1987 ?
Personnellement, la première fois que j’ai vu les enfants de Sankara, j’ai pleuré. On a fait de grandes photos des enfants de Sankara ; parce que c’est le projet de Sankara et de Castro que d’octroyer des bourses aux jeunes, afin de préparer l’avenir. J’ai moi aussi bénéficié d’une bourse en Union soviétique. J’ai pensé à cela lorsque j’ai vu les enfants de Sankara hisser le projet de Sankara et de Fidel Castro. Pour développer un pays, il faut préparer la jeunesse.
Pendant le 50e anniversaire de la mort de Che Guevara et le 30e de Sankara, j’ai prononcé un discours, pas pour rebeller la jeunesse, mais pour dire à la jeunesse qu’il faut étudier, il faut se préparer ; pas pour aujourd’hui, mais pour l’avenir et développement du pays. Il faut préparer les jeunes, afin qu’ils contribuent au développement de leur pays, ce sont les idées léguées par Fidel Castro et Thomas Sankara.
32 ans après l’assassinat de Thomas Sankara, qui fut jadis apprécié à Cuba, quel regard portent les Cubains d’aujourd’hui sur le Burkina Faso sans le capitaine Sankara ?
L’héritage de Thomas Sankara est vif en Amérique latine, pas seulement à Cuba. Fidel Castro n’a pas eu l’occasion de venir au Burkina Faso. Tous les 4 octobre, ce n’est pas seulement à Cuba, mais beaucoup de jeunes africains et sud-américains commémorent la pensée de Thomas Sankara. L’héritage qu’il a laissé aux Africains est grand. Et ses discours sont mémorables pour la jeunesse cubaine.
A l’époque révolutionnaire, des chantiers furent amorcés, notamment la culture du soja au Burkina, l’industrie sucrière, la santé, l’agriculture, l’éducation, les transports, l’agrandissement de l’aéroport de Bobo-Dioulasso, la solidification du chemin de fer et la création d’un centre de production de céramique. Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Nous sommes en train de développer aussi d’autres chantiers dans le domaine de l’agriculture. C’était un projet même de l’ancien président de l’Assemblée nationale. Il ne faut pas oublier que le Burkina peut aider Cuba dans d’autres domaines aussi. Ce sont des relations au bénéfice de deux pays et de leurs peuples.
Plus de 600 jeunes Burkinabè, parmi lesquelles 135 filles, ont effectué leurs études à Cuba, mais 293 sont toujours au chômage. Comment comprenez-vous cela ?
Non, nous ne pouvons pas faire d’analyse parce que c’est une affaire interne à l’Etat burkinabè. L’engagement a été pris entre les deux Etats, mais cette affaire est une affaire interne. En tant que diplomate, je ne peux pas faire d’analyse sur cette affaire.
Notre sentiment, c’est que nous avons pu accomplir notre engagement. Pour faire une autre contribution dans ce sens, Cuba et Burkina Faso ont signé, en 2017, un accord sur la reconnaissance réciproque des études, des titres et diplômes de l’enseignement supérieur entre les deux pays. Cet accord permettra de renfoncer la coopération entre les deux pays et servira de base juridique pour augmenter les chances de jeunes burkinabè formés dans le système éducatif technique et supérieur à Cuba.
Cuba a été victime de plusieurs attaques extérieures, par le passé. Quelles sont les formes d’appui de votre pays à l’endroit du Burkina Faso qui est aujourd’hui en proie aux attaques terroristes ? Et en faveur des déplacés internes ?
Je ne peux pas donner de conseils. Je voudrais que Cuba réaffirme sa plus ferme condamnation du terrorisme sous toutes ses formes et réaffirme son engagement à poursuivre ses efforts pour renforcer le rôle central de l’ONU dans l’adoption de mesures et la mise en place d’un vaste cadre juridique pour la lutte contre le terrorisme international. Nous invitons la communauté internationale à apporter son soutien afin d’arriver à bout de cette insécurité dans l’espace G5-Sahel.
Entre mars 1983 et novembre 1986, Thomas Sankara et Fidel Castro semaient les bases d’une coopération bilatérale fructueuse. Aujourd’hui, quel bilan vous en faites ?
Je sais que mes prédécesseurs ont fait beaucoup d’efforts pour maintenir la relation bilatérale. Malgré la situation difficile que nous avons vécue, la coopération entre nos deux pays est toujours effective. Ce sont des domaines emblématiques comme la santé, l’éducation, l’enseignement supérieur, le sport. A cet effet, le Burkina Faso bénéficie de l’expertise de treize médecins cubains qui exercent et qui contribuent au renforcement des capacités des centres hospitaliers.
Trois spécialistes cubains couvrent l’athlétisme et la boxe. En ce qui concerne l’enseignement supérieur, il faut signaler la présence à Cuba de quinze étudiants burkinabè en formation dans les universités cubaines, notamment dans les domaines de la santé. Pour l’année 2019, Cuba a octroyé quatre bourses de médicine au Burkina Faso.
Quelles peuvent être les perspectives d’avenir ?
Il y a des chantiers ambitieux dans plusieurs domaines, tels que l’agriculture, la santé, le sport et d’autres. Nous devons examiner, avec les autorités, afin de prioriser les intérêts communs.
Après tant d’années passées au Burkina Faso, vous avez certainement côtoyé les médias burkinabè et quelques journalistes. Qu’est-ce que ces contacts suscitent en vous comme commentaires et appréciations ?
Ce sont des jeunes qui ont l’envie de connaître et de faire connaître tous les points de vue. Parfois, je lis la presse et je constate que les opinions sont divergentes.
2020 est une année électorale au Burkina Faso. Très souvent en Afrique, les périodes électorales sont des périodes de hautes tensions politiques, voire sociales. Que souhaitez-vous pour ces élections au Burkina Faso ?
Je dirais seulement que c’est une affaire interne, donc je ne peux pas m’exprimer là-dessus. D’ailleurs, notre politique extérieure est de ne pas nous immiscer dans les affaires internes des Etats. Je ne peux donc pas m’exprimer sur cela. Il s’agit d’une décision souveraine du peuple burkinabè.
Comment se manifeste aujourd’hui l’ouverture de Cuba, jadis sous le joug communiste ?
Nous avons toujours été ouverts à tout le monde. Ce sont les Etats-Unis qui nous ont fermé la porte, en imposant de nouvelles mesures subversives, dans l’objectif de parvenir à l’asphyxie économique […] et à discréditer la Révolution, ses dirigeants et son glorieux héritage historique ; dénigrer les politiques économiques et sociales en faveur du développement et de la justice.
De nombreux gouvernements du monde entier se sont prononcés contre les mesures annoncées par le gouvernement des Etats-Unis, et des voix se sont élevées de ce pays, en solidarité avec Cuba. Nous continuons à développer nos amitiés avec les autres. Nous continuons à perfectionner notre modèle de développement économique et social, afin d’édifier une nation souveraine, indépendante, socialiste, démocratique, prospère et écologiquement durable ; en fortifiant notre système politique institutionnel qui est absolument participatif et qui jouit du plein appui de notre peuple.
Sous votre coupe, quelles sont les grandes actions de Cuba au Burkina Faso dont vous en êtes fière ?
Je voudrais toujours découvrir la philosophie des Africains, l’histoire des Africains parce que l’histoire de l’humanité commence ici. L’Afrique est d’ailleurs le continent d’où viennent mes ancêtres. Elle n’a besoin ni de conseils, ni d’ingérence dans ses affaires internes ; elle a juste besoin de transfert de technologies et de ressources financières et d’un traitement juste. C’est d’ailleurs la demande de Fidel Castro, de Sankara et je soutiens cela.
Comment faites-vous pour découvrir le continent d’où viennent vos ancêtres ?
On m’a donné l’occasion de venir ici. J’ai parlé avec tout le monde. Mon équipe et moi, nous nous sommes intégrés dans le pays. Nous avons essayé de comprendre la manière de vivre des gens d’ici, leur manière de penser, et leur l’histoire. Je crois que nous avons enrichi notre compétence diplomatique.
Qu’est-ce qui caractérise votre personnalité en tant que diplomate ?
Moi, je n’aime pas parler de moi. Un jour, les Soviétiques m’ont dit : « Vous ne serez pas un bon diplomate ». Je leur demandai pourquoi. Et ils me disaient que je suis trop émotive. Quand on attaque la révolution, je ne peux pas me taire ; j’ai l’envie de réagir en dénonçant les injustices.
Mais ici, je sens que je serai un bon diplomate, parce que j’ai la capacité de réagir avec la force d’un diplomate qui représente le gouvernement et le peuple cubain. Je remercie alors le Burkina Faso parce qu’il m’a donné l’occasion, pas seulement d’étudier plus sur l’Afrique et sur la diplomatie, mais aussi d’enrichir mes connaissances spirituelles, d’être une personne plus humaine, plus calme et plus préparée.
Donc nous pouvons attendre d’ici-là votre livre sur le Burkina Faso ?
Non ! Ce que je veux dire, c’est qu’il est possible un jour que je revienne à nouveau au Burkina Faso.
Interview réalisée par
Edouard Kamboissoa Samboé (samboeedouard@gmail.com)
et Mariam Sagnon
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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