De Yirgou, on en reparle. Une mission conjointe Commission nationale des droits humains (CNDH) et Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale (HCRUN) a séjourné du 15 au 22 février 2019 dans cette localité qui a fait l’amère expérience d’un massacre communautaire en début d’année. Ce 6 mai à Ouagadougou, les enquêteurs étaient face à la presse pour révéler ce qu’ils ont vu, entendu, et ce qu’ils recommandent à l’Etat pour panser les plaies déjà ouvertes, et éviter d’autres drames de la même nature.

Connaitre les causes profondes du massacre de Yirgou pour prévenir de tels drames. Prendre des mesures immédiates pour préserver la dignité des victimes et alléger leurs souffrances. C’est ce qui a sous-tendu la mission conjointe de deux structures. La Commission nationale des droits humains (CNDH) en tant qu’institution de promotion , de protection et de défense des droits humains, et la structure chargée de la réconciliation nationale (HCRUN) , ont mis en synergie leurs efforts afin de faire un diagnostic de la situation et de proposer des mesures urgentes en vue de la sauvegarde des liens sociaux .

Pour ces deux organismes, le drame de Yirgou interpelle toutes les consciences individuelles et collectives, au niveau local comme national. Il interpelle en particulier l’Etat burkinabè quant à sa capacité d’anticipation, de prévention et de gestion républicaine.

Le président du HCRUN, Léandre Bassolé, et Namoano Kalifa Yemboado Rodrigue, président du CNDH, étaient face à la presse avec leurs différentes équipes pour la restitution de leur mission conjointe. Du 15 au 22 février, les équipes des deux structures ont fait immersion dans 7 localités, comprenant l’épicentre du drame et les localités environnantes. Il s’agit de Yirgou, Bagrin, Korko, Foubè, Biguélé, Barsalogho, Kaya. 150 personnes au total ont été enquêtées. « L’objectif de la mission n’était pas d’aller chiffrer les victimes. En matière de droit humains, lorsqu’une seule personne perd la vie, c’est déjà grave », a prévenu Namoano Kalifa Yemboado Rodrigue, président du CNDH tout en précisant que c’est l’ampleur du phénomène qui leur importait.


Il s’est agi de « faire l’état des lieux des violations et atteintes diverses aux droits humains dans le cadre du drame de Yirgou, d’évaluer les initiatives en cours pour y apporter des solutions », a expliqué Léandre Bassolé qui a lu la déclaration liminaire. En sus de cela, la mission s’est attelée à établir les circonstances qui ont mené aux abus allégués dans la localité de Yirgou ; à collecter des informations sur la situation et les abus aux droits de l’homme commis ; à évaluer les réponses apportées aux besoins des populations dans les camps de déplacés ; à formuler des recommandations.

La responsabilité de l’Etat

Les conférenciers ont noté des violations graves aux droits à la vie, à la sécurité, à l’intégrité physique et morale, à la propriété, à la liberté de circulation, à l’éducation, à la santé…

« Les différentes atteintes aux droits humains recensées traduisent l’insuffisante réponse de l’Etat face à l’insécurité qui règne dans la localité, conformément à son obligation de protéger les individus contre les atteintes aux droits humains (…). La lente réactivité des FDS et la tolérance affichée à l’égard des groupes d’autodéfense en armes révèlent un manquement de l’Etat à cette obligation et qui a favorisé l’ampleur des massacres commis », lit-on dans le rapport.

A l’endroit du gouvernement donc, la CNDH et le HCRUN ont recommandé entre autres : la nécessité de diligenter les enquêtes judiciaires pour la manifestation de la vérité sur les événements et entreprendre toute action afin que justice soit rendue ; prévoir un mécanisme d’assistance judiciaire au profit des victimes ainsi qu’un mécanisme de protection des témoins et des victimes ; recenser et prendre en charge les personnes ayant besoin de prise en charge psychologique ; étendre l’assistance humanitaire aux familles d’accueil.


En outre, ils plaident pour l’amélioration de l’aménagement des camps en prévision de la saison des pluies ; l’organisation des campagnes de délivrance gratuite de documents d’état civil et de documents d’identification ; le renforcement du maillage sécuritaire de toute la zone. Aussi, il urge selon les missionnaires, de faciliter le retour des personnes déplacées dans leur village d’origine, de prendre des mesures pour la réouverture immédiate des écoles de la zone, et surtout d’engager une réflexion générale au niveau de l’Etat sur la question des groupes d’auto-défense.

En retour, la CNDH et le HCRUN s’engagent à entreprendre des actions de sensibilisation des populations sur les questions de droits humains , de réconciliation et de cohésion sociale et à assurer le suivi de la mise en œuvre des recommandations.

Il faut vite retisser le lien social brisé suite à ces évènements. Parce que, à en croire les conférenciers, sur le terrain, les communautés peulh et mossi se regardent en chiens de faïence, chacune accusant l’autre d’être à la base du malheur qui s’est abattu. La méfiance est désormais de mise. « Les membres de la communauté peulh sont loin de faire confiance à la communauté mossi. Peu d’entre eux comptent un jour partager un espace commun avec leur agresseur….Du côté des membres de la communauté mossi, la communauté peulh est strictement liée à l’extrémisme violent et est complice de toutes les exactions commises », peut-on lire dans le rapport de la mission conjointe.

Outre la méfiance, il y a le sentiment d’injustice et d’insécurité qui reste prégnant. Les membres de la communauté peulh estiment que l’Etat, notamment le système judiciaire, fait peut d’effort ou pas du tout pour arrêter ceux qui ont initié les représailles pour tuer les peulh. « Certains se pavanent encore avec les armes qui ont été utilisées pour assassiner nos proches », se désolent certains rescapés.

Tiga Cheick Sawadogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net