La situation qui prévaut au sein du ministère de l’Economie, des finances et du développement (MINEFID), marquée par une grève du zèle des agents, a suscité la réaction ci-dessous de Maxent Somé, un citoyen connu pour sa participation active au débat public.
Ceux qui pensent qu’il y a aujourd’hui plus de scandales politico-financiers au Burkina que sous l’ère Compaoré font une tragique erreur d’analyse. Ils sont victimes d’une illusion d’optique.
En effet, l’une des conséquences de toute alternance politique, c’est de déstabiliser tous les systèmes de corruption et de connivences établis.
Tel fut le cas en France à partir de 1981 lors de la vraie première alternance depuis 1958…
Facteur aggravant, dans un pays à la mentalité étatiste comme le Burkina, un système endogamique politico-administratif et militaire tenait et y tient encore tout, y compris le secteur privé.
Blaise Compaoré a poussé ce système à un rare niveau de raffinement…
Il avait mis en place un système de cogestion particulièrement sophistiqué du pays.
Le politique et la haute fonction publique gèrent le pays en partage avec les syndicats. Chacun son rôle et sa part du gâteau.
Et en cas de crise, on faisait intervenir le troisième larron, les chefferies traditionnelles et religieuses. Ce sont elles qui sont également chargées de faire avaler les couleuvres du genre Journée du pardon au peuple…
Le tout sous la menace de l’armée, et, en particulier, de la garde prétorienne qu’était le RSP.
Les juges, quant à eux, savaient qu’il fallait détourner le regard pour faire carrière.
C’est ainsi qu’il faut entendre le mot consensus sous nos cieux ! Un Équilibre de Nash.
ATT en a été un excellent précurseur. Les PTF nous vendaient même il n’y a pas si longtemps, le modèle de la « Démocratie consensuelle à la malienne »…
Ils en sont revenus depuis 2012 !
Voilà comment aucune réforme profonde de l’administration n’a jamais pu avoir lieu au Burkina.
Savez-vous par exemple que dans la nomenclature des métiers de la fonction publique, nous avons encore des métiers disparus depuis belle lurette comme sténodactylo ?!
Le financement de la vie politique (opposition y compris), des syndicats, des médias et j’en passe, était assuré par cette mise sous coupe réglée de l’économie du pays.
Bref, l’argent circulait… Mais en circuit fermé !
Tout cela fonctionnait comme sur des roulettes, jusqu’au jour où il y a une alternance.
Ce n’est pas l’alternance qui a mis en place les fonds communs, les deals de parcelles, la répartition des places au CSC, au CES, à la CNSS, à la CAMEG, à la CENI, etc.
Nous découvrons cela uniquement parce que les réseaux établis sont en cours de réorganisation. Nous découvrons cela parce que des gagnants d’hier sont des perdants d’aujourd’hui.
Nous découvrons cela parce que veille citoyenne et ASCE/LC aidant, le gâteau se rétrécit car il devient de plus en plus compliqué de voler sans que cela se voie et se sache.
Il y a toujours un aigri pour vous dénoncer…
La crise au MINEFID
C’est dans ce contexte global qu’il faut comprendre ce qu’il se passe au MINEFID depuis 2017. Les syndicats et beaucoup de salariés de ce ministère en sont arrivés à oublier une chose évidente : ils ne sont en fin de compte que des salariés et n’ont en tant que tels, aucune légitimité pour décider de l’orientation politique et économique du pays.
La question est la suivante : pourquoi la base de calcul des fonds communs du MINEFID n’est plus le recouvrement contentieux comme c’était le cas à l’origine ?
Le recouvrement contentieux, c’est ce qu’ils font entrer dans les caisses de l’Etat en poursuivant les fraudeurs fiscaux. Il est donc parfaitement légitime qu’ils aient des primes incitatives au rendement. Mais pourquoi donc sommes-nous passés à 1,7% de l’ensemble des recettes fiscales et douanières aboutissant ainsi à un bond de 103% en un an ?
A cela, il y a deux éléments de réponses :
1) Historiquement, les trois régies financières (Impôts, Douanes, Trésor) disposaient de fonds communs, mais pas les “financiers” du ministère qui ne sont pas une régie financière de recettes à l’évidence, mais de dépenses.
Ces trois régies de recettes reversaient par solidarité, chacune 15% de son fonds commun au ministère pour leur constituer leur fonds commun.
En rappel, la CS-MEF est composée des six (06) organisations syndicales que sont :
• Syndicat autonome des agents du trésor du Burkina (SATB) ;
• Syndicat national des agents des impôts et du domaine (SNAID) ;
• Syndicat national des travailleurs des douanes (SYNATRAD) ;
• Syndicat national des travailleurs de la planification et de la coopération (SYNTPC) ;
• Syndicat national des agents des finances (SYNAFI) ;
• Comité CGT-B/ ENAREF.
Or, en 2017, le gouvernement a signé différents accords jusque- là tenus secrets avec certains de ces syndicats :
• Le Syndicat national des agents des finances (SYNAFI) ;
• Le Syndicat national des agents des impôts et des douanes (SNAID) ;
• Le Syndicat national des travailleurs de la planification et de la coopération (SYNTPC).
Pour faire simple :
a) Le Syndicat national des agents des finances (SYNAFI) a obtenu la création d’un fonds commun en propre et indépendant de ceux des trois régies financières (Impôts, Douanes, Trésor).
b) En conséquence de quoi le SATB, le SNAID et le SYNATRAD refusent désormais de continuer à leur reverser chacun 15% de leur fond commun !
Conclusion, puisqu’il n’était pas question de mettre à plat tous les fonds communs du MINEFID et de les répartir entre les 4 services (car cela reviendrait à dépouiller les agents des trois régies financières d’avantages acquis « de haute lutte »), il a fallu trouver d’autres sources de financement pour servir le SYNAFI !
D’où l’élargissement de l’assiette de calcul des fonds communs du MINEFID.
Voilà donc l’explication de l’explosion de 103% de ces fonds communs en an …
2) Pourquoi donc n’avoir pas maintenu la base de calcul (recouvrements contentieux) mais améliorer son rendement pour satisfaire tous les fonds communs ?
C’est là où ça devient passionnant…
Les syndicats ont raison de refuser que leurs fonds communs soient basés uniquement sur le recouvrement contentieux comme le bon sens le voudrait.
Et cela, pour une raison simple : Ils n’ont pas la maîtrise du processus de recouvrement de bout en bout …Un recouvrement de 100 millions CFA par exemple peut se retrouver ramené à 100 000 FCFA dans le système informatique suite à une intervention « en haut lieu » sans la moindre justification ni la moindre traçabilité.
Qui d’entre nous accepterait que ses revenus soient basés sur une source aussi aléatoire ?
Une solution qui n’a rien résolu, bien au contraire !
Après un débat dans lequel la mauvaise foi le disputait à l’ignorance, plus personne ne parle des fonds communs du MINEFID. Conformément aux recommandation de la Conférence nationale sur les rémunérations des agents publics boycottée par les syndicats du MINEFID, ils sont plafonnés à 25% de la masse salariale depuis la loi de finances 2019.
Madame Rosine Sori-Coulibaly a été débarquée du gouvernement, tout va bien, on passe à autre chose ! Or rien, absolument rien n’est réglé !
Le jusqu’au-boutisme, la virulence et l’outrance de la CS-MEF ont conduit à un raidissement du gouvernement qui a instrumentalisé l’opinion publique, et cela a abouti à une solution perdants-perdants.
Les agents du MINIFID se retrouvent avec une situation pire que celle qu’ils avaient avant leurs accords secrets avec le gouvernement en 2017 qui ont mis ces FC hors de contrôle au point où ils sont arrivés dans le débat parlementaire et le débat public !
Et pour se venger, ils ne sont pas en grève, mais font du sabotage pour faire baisser les rentrées fiscales et ralentir les opérateurs économiques.
Ce qui est extrêmement grave.
Et pourtant, l’opinion publique n’a encore compris toute l’étendue du problème.
Sous le lampadaire, il y a la valse des milliards qui impressionne, les réalisations immobilières et les véhicules rutilants qui suscitent jalousie et indignation.
Mais ça, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg !
La partie immergée de cet iceberg, c’est le risque bancaire systémique car des banques ont octroyé des prêts adossés à ces fonds communs en dépit des règles prudentielles en matière de crédit.
Ces crédits n’ont même pas toujours été utilisés pour le motif pour lequel ils ont été contractés.
Par exemple, on monte un crédit immobilier pour aller financer une campagne électorale avec l’argent ainsi obtenu.
Ces créances sont donc devenues toxiques avec le brusque plafonnement des fonds Communs.
Pire, certains de ces crédits ont été utilisés pour acheter des obligations du Trésor public ou de sociétés d’État. Si bien que les détenteurs de telles obligations peuvent décider de les brader pour se désendetter.
Voilà pourquoi après avoir montré lui aussi ses muscles, le gouvernement est contraint de trouver une solution avec les banques pour ces créances toxiques, alors que ces banques auraient dû être sanctionnées par la BCEAO et l’Etat burkinabè.
Et ce sont les contribuables burkinabè qui paieront au final.
Ceux-là mêmes qui sont pénalisés actuellement par la grève du zèle des agents du MINEFID !
Un statu quo mortifère
Ce qu’il se passe dans l’administration des Finances depuis le vote de la loi de finances 2019 rappelle furieusement l’Égypte sous le gouvernement Morsi.
Pendant la chute de la Livre égyptienne, le Directeur de la banque centrale n’avait aucun interlocuteur à la présidence comme au gouvernement.
Le programme du gouvernement des Frères musulmans était simple : « Allah est la solution ! »On connaît la suite.
À force d’avoir les yeux rivés sur 2020, certains en oublient que les élections de 2020, c’est fin 2020 c’est- à- dire dans presque deux ans !
Deux ans, ce n’est rien, mais dans certaines conditions, cela peut être une éternité.
Depuis le début de l’année en effet, les agents du MINEFID se livrent ouvertement et impunément au sabotage des finances publiques, des procédures de passation de marchés publics, etc. Mais comme ils sont aussi militants et cadres des syndicats et/ou des partis politiques, on les laisse faire.
Maixent SOMÉ
Source: LeFaso.net
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