Sylvain Zongo est un pionnier de l’Internet au Burkina Faso. Après avoir obtenu un DESS en Informatique et ses applications en France en 1993, il rentre au bercail pour occuper un poste à l’IRD avant de voler de ses propres ailes en mettant sur pied son entreprise ZCP. Depuis quelques semaines, des acteurs des TIC ont entrepris de lui rendre hommage à travers diverses activités. Nous sommes allés à sa rencontre. Dans cet entretien, il revient, entre autres, sur son aventure dans le domaine, les débuts de l’Internet au Burkina, les principaux défis techniques, les principales évolutions technologiques et stratégiques observées au fil des années.

Lefaso.net : Pouvez-vous nous parler de votre parcours académique et professionnel avant de vous engager dans le développement d’Internet au Burkina Faso ?

Sylvain Zongo : J’ai fait le bac C en 1987 au lycée Ouezzin Coulibaly, puis le DEUG 2 en physique-chimie à l’IMP de l’université de Ouaga avant d’aller commencer ma licence en informatique à Rennes, en France. J’ai eu un DESS en Informatique et ses applications et suis de retour à Ouaga en septembre 1993. Recruté à l’IRD (ex ORSTOM) le 9 avril 1994 en tant que responsable informatique. La politique de l’IRD était de remplacer tous les techniciens français par des Burkinabè ! Dès mon arrivée, le combat a débuté sur deux plans. Le premier était purement technique, car je devais prouver que le Noir que j’étais pouvait bien faire tout ce que le Blanc faisait. Parallèlement, je me battais contre la politique salariale qui était en place. L’ORSTOM avait l’habitude de recruter du personnel africain pour des postes de bas niveau et j’étais le premier avec un baccalauréat plus 5. Donc j’avais un salaire très élevé sur la grille de salaire du personnel local et très bas par rapport aux expatriés. Donc j’ai mené seul le combat, et mon employeur avait trouvé comme solution de faire un ajout à mon salaire, une prime mensuelle qui n’apparaît pas sur les papiers ! J’étais bien connu du siège à Paris comme étant le cas Zongo.

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous intéresser aux technologies de l’information et de la communication (TIC) ?

Quand j’ai découvert Linux par l’intermédiaire d’un chercheur hydrologue (pas un informaticien. Comme quoi la philosophie des logiciels libres dépasse largement l’informatique), j’ai fait l’installation sur des PC pour remplacer les mini-serveurs SUN qui étaient de service. Ce qui permettait d’utiliser des machines facilement disponibles. À l’époque, il y avait un seul vendeur de mini-serveurs pour toute l’Afrique de l’Ouest (LIPTINFOR). Cela ayant bien fonctionné, l’idée de basculer l’ensemble des services internet sous logiciels libres a commencé à trotter dans ma tête. À travers l’installation des logiciels libres, j’avais la main directement sur les logiciels, ce qui me permettait de m’affranchir de la tutelle de mes premiers responsables basés à Montpellier. C’était aussi l’occasion d’approfondir mes connaissances et, au passage, cela faisait un gain économique pour mon employeur. Les choses marchaient bien à Ouagadougou. Il m’a été proposé de donner un coup de main à mes collègues de la sous-région, à savoir le Mali, le Niger, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Après cinq ans de service, j’ai estimé qu’il était temps de voler de mes propres ailes. D’où l’aventure ZCP.

À quel moment avez-vous pris conscience du potentiel d’Internet pour le Burkina Faso et l’Afrique en général ?

Mon expérience à l’IRD Ouaga était si claire que les avantages des logiciels libres s’imposaient :

1) la réduction des coûts en utilisant les logiciels libres. En effet, on peut utiliser des machines plus faciles à trouver, donc moins chères, et aussi supprimer le coût des licences.

2) Une occasion de formation pour enrichir les connaissances personnelles. À l’époque, j’avais un jour de la semaine (le vendredi) qui était dédié à l’autoformation. J’ai beaucoup appris en autodidacte. J’ai l’exemple de M. Palé qui est arrivé à l’IRD comme gardien de nuit. Il avait raté son baccalauréat et ses parents ne voulaient plus payer les frais pour qu’il reprenne la classe. Il était obligé de trouver du travail. Il est arrivé à l’IRD comme veilleur de nuit et il ne comprenait pas pourquoi des jeunes, au lieu d’aller dans des boîtes de nuit, pouvaient rester au bureau jusqu’à 3 h du matin ! Il a voulu savoir ce qui m’occupait ainsi. Quand il y a eu un besoin de personnes pour faire des saisies des fiches des chercheurs, nous l’avons intégré dans l’équipe de saisie. Ce fut l’occasion pour lui de toucher un ordinateur. Suite à cette expérience, il a voulu continuer à apprendre l’informatique et je l’ai initié petit à petit. Au bout de deux ans, il voulait partir en France. Il a pu avoir les papiers et est parti en décembre 1999 en France. Avec ses connaissances des logiciels libres, il a pu travailler directement. Il nous faisait parvenir des questions sur les aspects qu’il ne comprenait pas et on lui répondait. Aujourd’hui, il vit toujours en France ! Juste pour dire qu’avec la passion, on peut aller très loin.

3) Il y a aussi l’aspect sécurité. Dans tous les grands pays, les points névralgiques fonctionnent avec des systèmes qui leur sont propres. On peut prendre un système libre et le modifier pour maîtriser tous les aspects. Tel est le cas de la Chine qui utilise son propre système et pas Windows pour éviter la dépendance technologique. La difficulté principale est d’avoir le courage de travailler tous les jours. Le blocage est que beaucoup d’informaticiens préfèrent travailler dans la routine. Les actions à faire au quotidien.

Quelles ont été les premières initiatives pour introduire Internet dans le pays ? On dit que vous avez fait la première connexion du Burkina à Internet ; comment cela s’est-il passé ?

La plupart des ONG et ceux qui travaillaient avec l’extérieur avaient des besoins urgents d’accès à la messagerie. Avant l’arrivée d’Internet, on utilisait UUCP pour réaliser les transferts entre les serveurs de Ouaga et ceux de Montpellier sur des lignes de type X25. Il y avait à peu près 50 lignes X25 au Faso. Le 9 avril 1996, il y avait une rencontre à Miderande en Afrique du Sud et les chercheurs de l’ORSTOM devraient accéder à une base de données se trouvant sur le serveur de Ouagadougou. C’est à cette occasion que j’ai fait la configuration pour que la connexion puisse se faire. On peut même retrouver cette date sur internet ! Quand l’ONATEL a voulu connecter le pays à Internet, j’ai travaillé sur quelques aspects (la gestion du nom de domaine .bf) par moments avec le responsable du projet Internet de l’ONATEL (feu Pierre Ouédraogo). Quand M. Ouédraogo est parti à la francophonie, cela a été l’occasion d’étendre mon expérience de l’IRD à d’autres endroits. Ce fut l’occasion de parler des logiciels libres dans tous les pays de la francophonie. Nous avons fait des formations sur Linux sur tous les continents, en Afrique plus particulièrement. Des clubs de Linux ont été installés.

Quels étaient les principaux défis techniques, financiers et réglementaires auxquels vous faisiez face à l’époque ?

A cette occasion, j’ai réalisé une connexion TCP/IP sur la ligne téléphonique classique RTC et j’ai remplacé la connexion X25 par des appels RTC sur Montpellier directement. Ainsi, on a pu passer des factures de l’ordre du million mensuel à 250 000 francs CFA. Cette opération a permis la réduction de moitié du prix au réseau RIO (Réseau intertropical d’ordinateurs).

Comment les autorités publiques ont-elles perçu et soutenu (ou non) l’essor de l’Internet dans les années 1990 et 2000 ?

Aucune aide des autorités. Le blocage fondamental est que 0 % de beaucoup est égal à zéro, alors que 10 % de beaucoup fait beaucoup ! Beaucoup d’acteurs avaient intérêt à voir les factures élevées. Je me rappelle des soucis vécus quand on a mis en place la première cabine téléphonique sur IP ! À un moment de la crise entre le Faso et la Côte d’Ivoire, il y a eu coupure totale de téléphone entre les deux pays. Le seul endroit où on pouvait téléphoner en Côte d’Ivoire c’était dans la cabine téléphonique de ZCP. La file d’attente était très longue et on était obligé de limiter la durée des appels à 30 mm par personne. J’ai eu droit à une convocation à la gendarmerie (suite à une plainte de l’ONATEL). Nous avons aussi mis en place le premier cybercafé (Cyberfrite) en collaboration avec mon frère et ami Simplice Méda, visionnaire, passionné en création d’entreprises. Nous avions une connexion permanente. Avec les pommes de terre de mon ami, nous avons décidé de ramener le prix de la connexion et des frites à 500 francs l’unité. Ainsi, on pouvait manger des frites tout en naviguant ! Nous avions 20 ans d’avance, je crois…

Quel rôle avez-vous joué dans le développement des infrastructures et des services Internet au Burkina Faso, notamment avec votre société ZCP ?

Nous n’avons pas influencé les aspects matériels. Nous avons fait le choix dès le début de travailler sur la partie logicielle et la formation. Nous avons donc été les premiers à développer des sites web. Le premier site web burkinabè est celui du FESPACO.

Pensez-vous que les ambitions initiales du développement numérique ont été atteintes ? Pourquoi ?

Nous n’avons pas pu aborder les aspects sécurité. Le problème n’était pas perçu par les utilisateurs, si bien que ce n’était pas évident de faire des prestations sur ce service.

Quelles sont les principales évolutions technologiques et stratégiques que vous avez observées au fil des années ?

L’arrivée des connexions mobiles avec les téléphones portables a rendu l’internet plus accessible. De nouveaux services sont apparus et nous ne devons que consommer. Nous assistons à l’expansion de l’intelligence artificielle. Les retombées sont énormes et le monde risque d’évoluer vers un monde qui nous échappe.

Quels sont aujourd’hui les principaux défis pour l’essor d’un Internet inclusif et accessible à tous au Burkina Faso ?

Un des problèmes reste toujours l’accessibilité. Il y a beaucoup d’efforts effectués, mais il reste encore d’actualité. Il faut aussi régler le problème de disponibilité en assurant la présence de courant. Après ces deux éléments, il faut avoir un débit suffisant pour faciliter l’utilisation des outils qui sont de plus en plus gourmands en ressources.

Vous qui êtes membre du chapitre burkinabè de ISOC, quel regard portez-vous sur la question de la régulation et de la gouvernance de l’Internet dans le pays ?

Je trouve que ISOC travaille dans le bon sens et la gouvernance est bonne. IL faut simplement accentuer la communication pour faire mieux connaître le .bf.

Quelles recommandations feriez-vous aux jeunes entrepreneurs et innovateurs du numérique au Burkina Faso ?

Il faut les féliciter et les encourager à utiliser toutes les facilités qu’ils peuvent avoir.

Avec le recul, quel bilan tirez-vous de votre parcours et de votre engagement pour Internet au Burkina Faso ?

On aurait dû avoir une plus grande utilisation des logiciels libres. Un centre de formation sur les logiciels libres aurait pu voir le jour ! Le bilan aurait pu être plus important. Et il n’est pas tard !

Quels sont vos projets actuels et futurs dans le domaine du numérique ?

Un projet qui peut rapporter gros, c’est la lutte pour notre indépendance. On peut faire le choix des logiciels libres dans les endroits sensibles. Mais aussi pour faire des économies en utilisant ces logiciels. Par exemple, on peut utiliser LibreOffice dans toute l’administration afin d’éviter l’achat des licences. Cela permettra d’occuper les jeunes et de bien placer le pays dans le monde du numérique.

Quel message aimeriez-vous adresser aux générations futures concernant l’importance du numérique et des TIC ?

Le numérique donne beaucoup de possibilités et on peut apprendre énormément. Chacun doit trouver son domaine de passion et s’auto-former là-dessus. Maintenant que la connexion est disponible, la nouvelle génération doit se mettre au travail pour être des artisans du monde à venir et non de simples utilisateurs des nouvelles possibilités. Il y a beaucoup d’opportunités et nous devons cesser d’être des utilisateurs simples.

Lefaso.net

Interview réalisée par Cyriaque Paré

Source: LeFaso.net